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SOLITER, un projet pour négocier la solidarité territoriale dans les intercommunalités

Interview de Hélène REIGNER

Politiste

<< On ne peut plus raisonner selon le schéma classique qui oppose l'égoïsme de l'intérêt communal d'un côté à un intérêt communautaire vertueux de l'autre >>.

Interview réalisé dans le cadre de la démarche Grand Lyon Vision Solidaire. Propos recueillis le 11 mai et le 15 novembre 2012 par Cédric Polère.

Hélène Reigner, politiste, chargée de recherche à l’Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux (IFSTTAR) travaille sur les politiques urbaines (notamment celles de transport et de déplacements) et sur l’intercommunalité. Avec Matthieu Leprince, elle a dirigé le projet de recherche SOLITER « Négocier la solidarité territoriale dans les intercommunalités »  qui a pris fin courant 2012. Nous l’interrogeons sur les acquis de ce projet en matière de connaissance des intercommunalités.

Date : 15/11/2012

En quelques mots, pouvez-vous me dire comment est venue la thématique du projet SOLITER : « Négocier la solidarité territoriale dans les intercommunalités » ?

Dans un contexte où les gouvernements intercommunaux s’affirment, avec des ressources, des compétences lourdes et structurantes, ils font l’objet de questionnements scientifiques croissants, mais selon des approches distinctes voire contradictoires.
Une première approche rassemble les travaux français qui, historiquement, se sont saisis de l’intercommunalité alors qu’elle était un objet émergent. Ces travaux de science politique se sont intéressés à la sociologie politique de la production nationale des réformes intercommunales. Ils insistent sur le poids du lobby des maires pour domestiquer, contrer, apprivoiser ces réformes afin qu’elles ne bousculent pas leur pouvoir. Ces travaux sur l’intercommunalité dans une perspective de sociologie politique, centrés sur les élus, forment une lignée qui démarre avec Daniel Gaxie en 1997 (« Les chemins tortueux de l’intercommunalité » et « Luttes d’institutions »), et se poursuit avec ceux de Fabien Desage et David Guéranger par exemple aujourd’hui sur le thème de la « confiscation de l’intercommunalité ». Ces travaux sont remarquablement homogènes dans leurs hypothèses comme dans leur cadre d’analyse.
Plus récemment, cette fois en dehors de la France, des travaux radicaux sont menés dans le champ des « urban studies ». Dans cette approche, les chercheurs s’intéressent moins aux institutions intercommunales qu’aux métropoles, au processus de métropolisation, au pouvoir d’agglomération, dans le contexte postindustriel de la ville post fordiste. Dans ce champ, il est possible de repérer deux veines : l’une qui travaille sur l’identification socio-spatiale de la fragmentation urbaine, le partage des aménités, l’autre qui vient se greffer sur le constat de dualisation de la ville, et s’inspire des travaux de géographie radicale qui nous disent que les politiques urbaines tendent à entretenir les processus de dualisation, de fragmentation, d’éclatement de la ville. Il s’agit de travaux néomarxistes très critiques sur l’action publique et le rôle des politiques urbaines, qui s’inspirent des marxistes français des années 70 n’ayant pas eu de relève directe en France.
Ces deux champs partagent une attitude critique mais ne se parlent pas beaucoup, même si des chercheurs comme Gilles Pinson ou moi-même faisons office de passeurs.
 

Que vient faire le projet SOLITER dans tout ça ?

C’est là où interviennent le hasard et les rencontres, qui sont aussi suscitées par des envies scientifiques. Il se trouve que je suis une ancienne rennaise. Il y a à Rennes des économistes spécialistes des finances locales qui travaillent sur la mesure de la péréquation, notamment horizontale, fixée par les intercommunalités (Alain Guengant, Matthieu Leprince notamment). Ils ont essayé d’évaluer cette péréquation, l’ont comparé avec la péréquation verticale de l’État réalisée à travers la dotation globale de fonctionnement (DGF) et sont arrivés a des résultats qui ne collent pas avec les conclusions dominantes des travaux issus de la science politique, puisqu’ils nous disent que les effets de cette péréquation horizontale peuvent être notables, et même supérieurs à ceux de la péréquation verticale. C’était un point de départ de SOLITER. Le projet trouve donc son origine dans ces controverses, au sein d’une même discipline et entre disciplines, et de l’envie d’échanger pour éclairer des objets qui jusqu’alors étaient peu étudiés.

 

Avez-vous pris partie pour l’une ou l’autre de ces théories ?

Nous avons choisi de produire un diagnostic sans trancher à l’avance en faveur d’une théorie ou d’une autre. Nous avions par ailleurs envie d’investir ces objets nouveaux sans a priori, en « allant voir ». Cela a donné lieu à des travaux empiriques. Nous avons réalisé un travail coopératif, à cinq ou six, en mettant en commun nos entretiens, avons veillé aussi à travailler sur un échantillon diversifié d’intercommunalités, avec de grosses communautés d’agglomération mais aussi des communautés de communes, du périurbain et du rural . C’est novateur, parce que jusqu’à présent, seules quelques grosses communautés étaient étudiées, avec au final des conclusions très tranchées à partir d’une ou deux monographies : la monographie lilloise de Fabien Desage, la monographie de Chambéry de David Guéranger, les travaux de Gilles Pinson sur Nantes… Ensuite, de la controverse, il y en a toujours forcément : quand je fais état des travaux anglo-saxons sur la ville néolibérale et ses politiques entrepreneuriales d’offre, le seul mot néolibéral pour qualifier l’action urbaine des collectivités françaises fait hurler les économistes.

 

Avoir choisi les intercommunalités comme objet de recherche est-il une manière de reconnaître leur importance grandissante dans la conduite de l’action publique ?

Bien sûr ! L’intercommunalité est doublement intéressante : c’est d’abord un échelon de gouvernement qui s’est affirmé et met en œuvre des politiques publiques décisives dont les maires savent bien qu’elles ne peuvent pas être conduites à l’échelle communale. Jacques Caillosse a montré que le statut juridique des établissements intercommunaux devient intenable compte tenu des compétences exercées, des ressources dont ils disposent… L’EPCI, qui n’existe en principe que par la volonté des communes, est une fiction juridique, mais on arrive aux limites de cette fiction. La mise en place du suffrage universel pour 2014 dans les communautés révèle toute la limite de ce statut d’EPCI.
L’intercommunalité est ensuite, assez largement, une boite noire scientifique. La spécialisation disciplinaire (économie, sciences politiques, sociologie politique, urbanisme) assortie d’une sous-spécialisation thématique (les métropoles, la ville, l’urbain…) suscitent un morcellement de la connaissance. Heureusement, la recherche évolue. Alors qu’en France la lignée des travaux qui portaient sur l’intercommunalité s’intéressaient surtout à la production nationale des réformes, SOLITER a décalé le prisme en s’intéressant à ce qui sort de la machine communautaire, aux politiques menées, aux instruments y compris financiers utilisés, en nous aventurant sur des domaines comme la péréquation, jusque-là réservés aux économistes. Le programme a pris l’objet intercommunal à bras le corps avec une forte intégration des sciences économiques et des sciences politiques. Grâce à ses acquis, nous aurons du recul pour caractériser le mode de fabrique des politiques, leur contenu, leur substance, savoir pour qui et pour quoi elles sont menées…

 

Quel est votre point de vue sur l’intégration communautaire, est-ce un processus en marche ?

Oui, même si ce processus est loin d’être linéaire. Nous avons rencontré des techniciens et des DGS, qui disaient : « ceux qui s’activent le plus pour leur commune sont aussi ceux qui s’activent le plus pour la communauté ». Ça peut faire tarte à la crème, mais il se joue des choses importantes du côté de la socialisation des élus. Si au début on peut identifier une dissociation nette entre un intérêt communal et un intérêt communautaire, deux facteurs interviennent ensuite de manière puissante : le temps et le rôle bénéfique de l’intercommunalité pour réduire ou lisser l’incertitude. Eric Kérrouche dit que l’intercommunalité par nature est un gouvernement incertain, un pari sur un hypothétique avenir, d’hypothétiques ressources liées à la dynamique de  la taxe professionnelle (TP). L’intercommunalité lisse cette incertitude par des mécanismes de garantie de ressources (pour qu’elles ne fluctuent pas trop à la baisse) et par des garanties sur le service rendu à l’usager.
Avec le temps, parce que les intercommunalités ont su ménager les intérêts communaux, susciter l’adhésion, gagner la confiance, mener des politiques communautaires, stabiliser des ressources et des financements, les communes se rendent en partie dépendantes de l’intercommunalité au point qu’il n’est plus possible de faire marche arrière. L’intercommunalité est probablement encore inachevée, mais nul doute que l’intégration communautaire a fait son chemin. Sur un autre plan, la somme des discussions et des débats portant sur la question « qu’est-ce qu’on veut faire de notre territoire ? » démontre que l’intercommunalité est un pari gagné. À partir de là, les lignes se brouillent, on ne voit plus s’opposer l’intérêt communal à l’intérêt d’agglomération.

 

Vous ne partagez pas la vision d’un intérêt communal antagoniste de l’intérêt communautaire ?

Nous avons mis en évidence que l’on ne peut plus raisonner selon le schéma classique qui oppose l’égoïsme de l’intérêt communal d’un côté à un intérêt communautaire vertueux de l’autre. La réalité est beaucoup plus nuancée. Les frontières entre intérêt communal et communautaire sont brouillées, elles s’enchevêtrent, se superposent… Ce schéma tout simplement ne fonctionne pas ! J’ajouterais qu’il est illusoire de penser qu’existe un « intérêt communal » à l’échelle d’une agglomération. Tous les maires auraient-ils le même intérêt ? En réalité, on observe des intérêts multiples, avec des assemblages d’intérêts communaux en fonction des problèmes qu’ont à résoudre les maires. Et de manière un peu provocatrice, on peut parallèlement s’interroger sur la nature vertueuse de l’intérêt communautaire quand on voit la place qu’occupent les enjeux de compétitivité, d’image et d’attractivité dans les agendas et les politiques métropolitaines. Les territoires qui n’ont pas de « potentiel » identifié pour servir ces objectifs ne ressortent pas forcément gagnant du jeu intercommunal. Les maires qui représentent ces territoires peuvent donc assez légitimement résister à l’ordre communautaire.

 

SOLITER a-t-il renouvelé la compréhension de la fabrique de la décision dans les intercommunalités ? Avez vous validé notamment l’idée très répandue chez les chercheurs qu’elles ne respectent pas le jeu démocratique ?

Pourquoi l’intercommunalité est-elle si fortement critiquée par certains de mes collègues politistes ? C’est qu’elle ne respecte pas, ou ne semble pas respecter les règles usuelles d’une démocratie fondée sur la règle majoritaire et l’arithmétique électorale, avec des disciplines de vote, des groupes droite-gauche, des clivages partisans nets, comme on en trouve dans un Parlement ou une Assemblée nationale. Le fonctionnement de l’assemblée communautaire heurte une certaine vision de ce que peut être une démocratie représentative.
Nous observons effectivement des alliances qui s’émancipent assez facilement des clivages partisans, ou des décisions qui sont prises à l’unanimité ou à la quasi unanimité par les assemblées. Est-ce pour autant le signe d’un dysfonctionnement démocratique, de l’absence anormale d’opposition ou de débat public en ces lieux, soit la thèse dominante dans les travaux en science politique sur l’intercommunalité ? Là aussi SOLITER nous a apporté des billes. Je ne conteste pas le constat, mon désaccord porte sur l’interprétation quelque peu machiavélique qui en est faite : ces armistices partisans témoigneraient d’une volonté commune des maires de neutraliser l’institution communautaire, ils seraient le signe de décisions prises en coulisses selon des compromis plus ou moins inavouables… Oui, l’intercommunalité n’est pas alignée sur les logiques électorales et les clivages partisans, mais tous les maires de droite devaient-ils avoir une même vision de l’intérêt communal, distincte de la vision qu’en portent les maires de gauche ? Grâce à SOLITER, nous avons identifié des profils de communes dont la proximité des problèmes à résoudre, les conduit à faire alliance pour défendre leur cause et leurs intérêts auprès des intercommunalités, vis-à-vis de communes dont le profil est différent.
Autrement dit, nous avons montré combien pesaient les variables socio-économiques qui caractérisent les espaces communaux pour comprendre l’agrégation (et la non agrégation) des intérêts de leurs représentants, les maires.

 

Pourriez-vous donner des exemples ?

En général, les communes riches en TP, dont la richesse va de pair avec une dynamique de TP importante, apportent beaucoup au pot intercommunal, même si par ailleurs elles peuvent avoir des populations pauvres et des problèmes sociaux lourds. Il n’y a pas si longtemps, la sociologie électorale de ces communes était celle des « banlieues rouges », où des profils socioéconomiques similaires se traduisaient par des couleurs politiques assez homogènes. Cela ne marche plus à coup sûr. Par exemple dans le pays d’Aix, Vitrolles, ville riche de ses industries, qui accueille une importante population précarisée est aujourd’hui PS, après un épisode FN. Même si les élus partagent toujours les mêmes problèmes, le lien semble se distendre entre la couleur politique du maire et les caractéristiques socio-économiques des territoires. L’idée avec SOLITER était de prendre au sérieux ces variables socio-économiques et de mettre en arrière-plan les variables partisanes.
 

Revenons à votre typologie : quelles sont ces profils de communes ?

Nous avons distingué quatre profils socioéconomiques de communes en fonction du critère riche/pauvre en TP et riche/pauvre du point de vue de la population. On obtient une typologie en quatre classes :
-    des communes riches en TP mais dont la population est globalement pauvre : c’est le profil « ville industrielle » ;
-    des communes pauvres en TP, accueillant des populations plus riches que la médiane communautaire : c’est le profil « commune résidentielle ». Certaines d’entre elles connaissent un accroissement de population bien plus rapide que la dynamique de leurs ressources et peuvent rencontrer des difficultés à satisfaire les besoins en matière d’équipements publics, c’est la problématique de certaines communes périurbaines ;
-    des communes pauvres en TP qui accueillent des populations plus pauvres que la médiane communautaire : c’est le profil «  communes rurales » et dans une moindre mesure, celui des communes concentrant massivement le parc de logement social ;
-    et enfin des communes riches économiquement et riches du point de la vue de la population qu’elles accueillent. Cela peut correspondre à des communes de première couronne qui accueillent de l’économie tertiaire.
Un peu hors catégorie, on trouve le cas de communes petites par leur population qui ont une TP très importante parce qu’elles accueillent des établissements exceptionnels. À cette catégorie, il est demandé de participer à l’effort intercommunal, de donner sans rien réclamer.

Chacun de ces profils peut légitimement prétendre à la « solidarité intercommunale ». Selon que la commune est riche ou pauvre en TP ou en population, urbaine ou rurale, elle ne s’y prend pas de la même manière pour avoir quelque chance d’être entendue par les autres communes et par l’intercommunalité. Les communes rurales par exemple feront passer l’argument selon lequel elles peuvent être le lieu d’un tourisme vert, récréatif, de la part de citadins ayant besoin de se mettre au vert. De ce point de vue, elles supportent des charges (aménagement de sentiers, d’aires de pique-nique, …) qui peuvent être prises en charge par la communauté.

 

Peut-on dire que les communes riches et puissantes sur le plan économique et par leur population font mieux prévaloir leurs intérêts, retirent plus de ressources de l’intercommunalité que les autres ?

C’est une question que nous nous sommes posée. Pour tester une hypothèse issue de travaux néomarxistes sur la distribution spatiale des services et équipements intercommunaux, nous avons réalisé des cartographies en nous demandant si l’intercommunalité était la « loi du plus fort et du plus riche ». Si on part de l’hypothèse dominante (dans la littérature scientifique) selon laquelle l’égoïsme et la loi du plus fort l’emportent sur d’autres logiques, cela devrait apparaître dans la répartition des aménités publiques, tant du côté des équipements valorisants ou désirables comme les activités culturelles, sportives (stades, piscines…) ou les grands lieux fonctionnels, que du côté des équipements que l’on s’arrache moins. Nous nous sommes ainsi demandés si les communes pauvres accueillaient davantage que les autres les aires d’accueil des gens du voyage et les déchetteries communautaires, et si les communes riches, ou bien situées, ou stratégiques, récupéraient pour leur part des équipements valorisés. Les travaux de SOLITER sont parvenus au résultat que l’intercommunalité n’est pas la loi des communes les plus fortes et les plus riches. C’est beaucoup plus nuancé. On assiste à une recherche d’équilibre, à la fois pour se partager ce que tout le monde veut, comme la piscine d’intérêt communautaire, et ce que personne ne veut, comme l’incinérateur ou l’aire d’accueil des gens du voyage … Dans la mesure où notre hypothèse de départ ne marche pas, nous cherchons à comprendre comment opère cette distribution. Ce qui semble compter le plus, c’est l’armature urbaine, les axes de circulation déjà présents. Mais cela reste à creuser.

 

Les intercommunalités sont-elles capables de mener des politiques redistributives ?

Oui dans une certaine mesure, mais les enjeux d’attractivité, de rayonnement, de palmarès, les politiques d’offre et les politiques entrepreneuriales tendent à supplanter la question sociale. L’idée sous-jacente est celle des « effets de ruissellement » : si le territoire intercommunal est attractif, cela profitera à tout le monde. Or, ce raisonnement est très discutable.
On peut l’illustrer avec les politiques urbaines contemporaines de transport et de déplacements.
Les politiques dites durables de transport aboutissent selon moi à un tri social et spatial dans la ville entre les espaces qui méritent d’être (re)qualifiés et des espaces sous-gouvernés qui bénéficient beaucoup moins de ces investissements publics. C’est net quand on regarde où sont déployés les projets prestigieux en transport public (tramway notamment), les aménagements menés au nom de la « qualité urbaine », les requalifications de la voirie et des espaces publics, les quartiers « apaisés ». À Marseille, l’une des seules villes en France où le centre ville reste assez populaire, le tramway vise assez explicitement à requalifier l’espace pour changer l’image du centre-ville, accueillir des populations, des touristes, des croisiéristes, des emplois stratégiques, qui ne correspondent absolument pas au profil des populations actuellement présentes. En valorisant les prix immobiliers et fonciers, ces investissements publics tendent à chasser dans les franges urbaines les groupes sociaux qui ne peuvent pas se payer cette ville « où il fait bon vivre ».

 

Concernant les intercommunalités, quelles pistes de recherche vous paraissent les plus prometteuses pour les années à venir ?

Les points de controverse actuels sont très stimulants, et appellent à réaliser des recherches. Les politiques urbaines contemporaines et les canons de l’attractivité métropolitaine favorisent-ils une dualisation de la ville et des inégalités croissantes ? Assiste-t-on à une dérive oligarchique ou post-démocratique des gouvernements urbains, ou bien la force historique des institutions et des régulations publiques locales et nationales dans notre pays constitue-t-elle un socle favorable à l’affirmation « d’agglomérations providence », comme on parlait d’État providence ?... Ce sont autant de vrais chantiers. L’approche critique anglo-saxonne, extrêmement stimulante, se déploie dans le contexte des villes américaines ou des pays émergents, où le poids des acteurs privés est énorme par rapport au poids des acteurs publics. Ces travaux amènent une nouvelle génération de chercheurs à faire du terrain dans les villes européennes, non pas pour trouver absolument la ville néolibérale mais pour comprendre ce qui se passe. Pour saisir par exemple où est le curseur dans les intercommunalités entre ces deux grands objectifs que sont la performance et les économies d’échelle d’une part, et le projet solidaire de territoire d’autre part. Quand on aura compris grâce à des études globales et multisectorielles (habitat, transports, etc.) où est le curseur et comment se posent les enjeux, il faudra expliquer les différences locales entre Rennes, Aix, Lyon, Marseille, etc., bref trouver les facteurs explicatifs. Pour les chercheurs radicaux, il n’y a pas vraiment de différenciation puisque le fonctionnement du capitalisme urbain touche toutes les villes et réduit l’autonomie locale à peu de chose. Nous aimerions le vérifier : jusqu’où la variable politique opère-t-elle et par quels vecteurs ?