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Recherche et innovation dans les biotechnologies et la chimie verte

Interview de Pierre LUZEAU

Président de Novacap group

<< J'attends une politique industrielle ambitieuse et cohérente, qui privilégie une filière, en chimie ou en pharmacie. Un message clé serait de réaffirmer que la chimie, en tant que filière intégrée, depuis ses raffineries, ses plates-formes jusqu'aux PME, est au coeur de l'économie de Rhône-Alpes et plus particulièrement de la région lyonnaise >>.

Le Grand Lyon, dans le cadre de sa réflexion sur l'avenir de l'industrie en Rhône-Alpes interroge des acteurs-clé de secteurs en plein développement.
Dans cet entretien, Pierre Luzeau fait le point sur la situation et les besoins de la filière de la chimie en Rhône-Alpes. Il explique les choix originaux faits par Novacap pour se développer dans un contexte de crise économique et aborde les questions d’innovation et de recherche, notamment en lien avec les biotechnologies et la chimie verte. 

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Date : 29/09/2012

Pouvez-vous présenter Novacap ?

Novacap est née en 2003 du désengagement de Rhodia, ex-Rhône-Poulenc et maintenant Solvay, de ses activités de chimie lourde pour se refocaliser sur la chimie de spécialité. Avec certains dirigeants de l’époque et le soutien du fonds d’investissement Bain Capital, nous avons repris trois actifs et restructuré le groupe autour de nos différentes activités  : la  pétrochimie avec la société Novapex autour de la production de phénol, d’acétone et de solvants, la chimie minérale avec la société Novacarb pour la production de carbonate, bicabornate et sulphate de sodium, et enfin la chimie organique avec la société Novacid pour la production de chlore et de coagulants, notamment pour le traitement de l’eau. En 2011, nous avons étendu notre activité à la production d’aspirine, de paracétamol et autres acides et esters avec l’acquisition de Novacyl et pris ainsi pied dans le domaine de la pharmacie et de la cosmétique. Avec un chiffre d’affaires d’environ 700 millions d’euros, Novacap n’est pas un grand groupe mais une entreprise de taille intermédiaire (ETI) dont la signature est simple : nous fabriquons des molécules de base de la chimie correspondant à des produits essentiels de la vie de tous les jours comme l’acétone, l’aspirine, le bicarbonate de soude… Notre activité est très fortement ancrée en Rhône-Alpes avec quatre sites de production dans la région et le siège social à Lyon.

 

Qu’est ce qui a motivé ce développement vers le secteur de la pharmacie ?  

Auparavant, le groupe avait une empreinte marché essentiellement tournée vers les secteurs de la construction, de l’automobile et des produits de chimie de transformation. Progressivement, nous réorientons notre activité vers les secteurs à plus haute valeur ajoutée et plus résilients aux crises économiques que sont la pharmacie & la santé, l’alimentaire & la nutrition animale, les services à l'environnement, la détergence, les arômes, parfums & cosmétiques.
 

En quoi ces secteurs sont-ils résilients ?

La résilience est la capacité d'une entreprise à amortir les effets des cycles économiques. Nous cherchons des activités idéalement en croissance et avec des bonnes positions compétitives. La résilience à la crise, il faut aller la chercher. Ce n’est pas le secteur en soi qui est résilient mais certaines niches, des marchés plus petits, qui permettent de se développer avec un risque limité. Le marché des analgésiques est une bonne illustration : la demande est pérenne car il y en aura toujours besoin, le marché est mondial et notre offre est consolidée avec une très bonne technologie et une position de leader mondial puisqu’un tiers de la production mondiale d’aspirine sort de nos usines !. Avec le soutien de notre nouvel actionnaire majoritaire, AXA Private Equity, nous avons investi au moment où les autres ne le faisaient pas et cette initiative a été couronnée de succès.

 

Votre stratégie de développement va donc à l’encontre de celle pratiquée par les grands groupes pharmaceutiques et autres ?

Oui, je dirais qu’elle est « différenciante » ! Le secteur de la chimie n’est pas un secteur facile et nos niveaux de rentabilité ne sont pas comparables avec ce que demandent les grands groupes internationaux. Ce qui nous apparaît comme résilient le serait peut-être moins pour d’autres secteurs peu soumis à la conjoncture. Sur certaines activités, notre chiffre d’affaire peut varier d’un facteur deux pour un périmètre de volume équivalent, mais nos résultats, eux, sont résilients. C’est ce qui nous donne la capacité de piloter, transformer et rentabiliser ces actifs délaissés par les grands groupes qui préfèrent s’internationaliser. En tant qu’un acteur très significatif de la région Rhône-Alpes, 80% de nos achats en Europe se font en Rhône-Alpes, Novacap souhaite y consolider ses positions industrielles.

 

Concrètement, comment cela se traduit-il ?

Nous ré-internalisons beaucoup de fonctions comme la comptabilité ou la maintenance et réinvestissons massivement en France, soit en investissant dans des outils de production pour des nouvelles fabrications, soit par le biais de prise de participation dans des sociétés ou par des acquisitions pleines. Il n’y a pas de règle absolue. Sur ces trois dernières années, nous avons investi à contre-cycle près de 50 millions d’euros sur tous nos sites français. Pour une société comme la nôtre, c’est très significatif ! C’est un signe d’autant plus fort que ce ne sont que des investissements stratégiques et non pas ceux nécessaires au bon fonctionnement des usines.  

 

Investissez-vous dans la recherche ?

Notre métier exige peu de recherche fondamentale. Nous nous intéressons surtout au développement des process industriels et à l’amélioration des produits pour mieux répondre aux besoins de nos clients. Nous avons des partenariats avec des laboratoires privés, comme Rhodia, ou nos propres clients pour s’assurer que les projets de recherche aboutissent à une commercialisation. Nous finançons aussi des thèses de doctorat. Par ailleurs, notre développement dans les secteurs de la pharmacie et de la santé nous conduit à être plus actif en R&D.

 

Le développement des biotechnologies est-il un enjeu pour l’avenir de votre activité ?
Pas vraiment. Les biotechnologies ne remplaceront, ni demain, ni après-demain, les produits de la chimie de base actuels. Par exemple, et même si à l’avenir plusieurs technologies pourront coexister, il n'est pas possible, ni envisagé, de remplacer le chlorure ferrique, premier produit utilisé pour traiter les eaux potables usées, et sur lequel nous sommes un des leaders français. Sans compter que des innovations sont aussi possibles en chimie de base.

 

Quelle est votre position par rapport à la chimie verte ?

Nous sommes membres du pôle de compétitivité Axelera qui est un très bon dispositif d'aide à l'innovation, en particulier pour le développement d'une chimie verte. Le cluster permet de mettre en contact les entreprises avec les organismes de recherche et de développer des filières chimie-environnement. Pour Novacap, une chimie verte passe aussi par le développement d’une énergie verte, pour nous, chimistes. L'idée serait de remplacer progressivement les combustibles comme le charbon ou le pétrole, utilisés en grandes quantités par les chimistes pour fabriquer leur vapeur, par de la biomasse ou par le gaz. Aujourd'hui, il n’y a pas de filières organisées et solides, ni d’aides efficaces pour aider à structurer ce nécessaire développement. Donc si j’investis dans cette voie, ma production sera plus chère. Or, le client est sensible au prix et non à la proximité territoriale ou aux efforts environnementaux de ses fournisseurs ! Dans un marché très concurrentiel, c’est une réalité qu’on ne peut ignorer. C’est pourquoi nous attendons beaucoup du débat sur la transition énergétique, pour mettre fin à de longs mois d'indécision sur ces sujets. Il est urgent de dire aux industriels quelle voie la France choisit en la matière. Nous voulons une industrie forte, une industrie compétitive, une chimie soucieuse de son développement durable.

 

Avez-vous l’impression que le territoire rhônalpin délaisse sa  chimie ?

C'est une vraie question. Est-ce que Lyon, qui est le berceau et la capitale de la chimie française, veut le rester ? La région Rhône-Alpes veut-elle toujours de la chimie sur son territoire ? Que voulons-nous pour cette industrie qui existe ici depuis plusieurs siècles ? J’entends la chimie telle qu’elle est aujourd’hui. Le discours autour de la chimie verte me semble encore peu pertinent car, pour le moment, cela ne correspond à aucune réalité économique. Rappelons-nous que la chimie est l'industrie des industries : elle irrigue de ses produits l'ensemble du tissu industriel français. Sans chimie forte, pas d'industrie forte. Sans affirmation forte pour une chimie en France, le risque de sa disparition progressive existe sans aucun doute, à l’instar de la production de médicaments. En 10 ans, la Chine et l’Inde ont pris le leadership. Les centres de décisions partent d'Europe et face à cette réalité, faire machine arrière est difficile mais pas impossible.

 

Quels signes attendez-vous ?

J’attends une politique industrielle ambitieuse et cohérente, qui privilégie une filière, en chimie ou en pharmacie. Un message clé serait de réaffirmer que la chimie, en tant que filière intégrée, depuis ses raffineries, ses plates-formes jusqu’aux PME, est au cœur de l’économie de Rhône-Alpes et plus particulièrement de la région lyonnaise. Des leviers simples permettraient de redonner de la vigueur aux sociétés. Améliorer la compétitivité des unités de production, notamment en s’attaquant au coût de l'énergie, et favoriser les outils, y compris législatifs, permettant le développement de la filière chimie, est évident. Soutenir la R&D est bien entendu un autre point clé, tout en s'assurant que cela génère de la création d'emplois et l'ouverture de nouvelles usines en France et non à l’étranger, comme c’est parfois le cas. C’est important aussi de développer les plateformes industrielles existantes, de « sanctuariser » les activités chimiques là où elles sont pour éviter leur dispersion. Mais il y a d'autres leviers comme d'aménager notre législation à bon escient pour garantir l'attractivité de nos territoires. Je pense plus particulièrement à l'inflation considérable des textes et règlements à laquelle sont soumises nos industries. En la matière, la France est toujours en avance, y compris sur les applications des directives, ce qui nous place parfois dans une situation difficile puisque nos concurrents non-européens, eux, échappent à ces contraintes. Ceci dit, cela ne nous empêche pas d'être pro-actif : depuis près de 10 ans, nous dépensons, annuellement, plusieurs millions d'euros pour améliorer la sécurité et l’environnement de travail dans nos unités de production. Enfin, il faut développer la formation, attirer nos jeunes vers les métiers de la chimie qui sont passionnants : il y a des opportunités, du travail et pourtant nous n’arrivons pas toujours à recruter. L’attractivité passe par des messages forts. En France, nous sommes face à un paradoxe inimaginable : le nucléaire est presque bien vu alors que la chimie est dévalorisée ! Nous devons être fiers d’avoir une chimie qui fait partie de l’histoire du territoire lyonnais. L’histoire, c’est la continuité des choses, la tradition, la colonne vertébrale, ce qui permet de se tenir debout. L’affirmer serait rendre de la fierté et ça c’est indispensable !