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Forces et faiblesses de l’étrangeté française

Interview de Philippe d’IRIBARNE

Philippe d'Iribarne- droits réservés Trafik/Grand Lyon)
© Cédric Audinot
Directeur de recherche au CNRS "gestion et société"

<< La vision qui, en France, associe la liberté à la noblesse est porteuse d'une sensibilité exacerbée à ce qui est source de grandeur ou au contraire facteur d'humiliation >>.

La conviction prévaut qu’avec la mondialisation, le brassage des populations, la circulation des idées, le métissage des arts, il n’existerait plus qu’une culture mondiale. Une culture au sein de laquelle chacun sélectionnerait et recomposerait, en matière d’idéaux politiques, philosophiques ou religieux comme en matière de cuisine ou d’habillement, les matériaux culturels qui vont lui permettre de se construire une identité. Parler de différences culturelles, ce serait vouloir enfermer les hommes dans un destin, oublier qu’ils construisent leur histoire, ou encore préférer un choc des civilisations à la paix entre les peuples. Et pourtant !

Comme le montrent les travaux novateurs de Philippe d’Iribarne, lorsqu’on observe les façons dont les hommes s’organisent, dans le monde, pour vivre ensemble, la vision radicale d’une unification de l’humanité a du mal à tenir. Même dans ce qui constitue le fer de lance d’une mondialisation oublieuse des frontières, l’expérience montre combien les conceptions du pouvoir, de l’équité, des rapports sociaux sont loin d’être identiques sur la planète. Selon Philippe d’Iribarne, ces profondes divergences puisent leurs racines dans l’épaisseur des différentes histoires culturelles des sociétés. À cet égard, l’esprit français se distingue par une conception de l’homme accompli et des différences sociales qui, loin d’avoir rompu avec l’Ancien Régime, reste fondée sur un principe de noblesse composant une hiérarchie entre d’un côté ce qui est grand, ce qui élève, honore, et de l’autre ce qui est bas, vil, ce qui abaisse. Imprimant sa marque de multiples manières dans la société française — dans le travail, l’éducation, l’ouverture au monde, etc. —, ce caractère national n’est pas sans poser de difficultés, notamment lorsqu’il fait que l’inégalité est vécue dans notre pays comme une inégalité de dignité. Pour autant, rejeter en bloc cette spécificité française, lui dénier toute fécondité et toute possibilité d’amendement constituerait une erreur fondamentale.

Polytechnicien, ingénieur des Mines et diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, Philippe d’Iribarne est directeur de recherche au CNRS, où il anime l’équipe « Gestion et société ». Membre du Conseil scientifique de l’Agence française de Développement et du Comité éditorial international du International Journal of Cross Cultural Management, Philippe d’Iribarne a par ailleurs occupé diverses fonctions au service de l’Etat, notamment au Secrétariat général de la Présidence de la République.

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Date : 29/04/2013

Un point essentiel de vos recherches a été de montrer que la manière avec laquelle nos sociétés conçoivent l’existence humaine et s’organisent revêt une dimension éminemment culturelle. Comment définissez-vous ici la culture ?

Quand on parle de culture, il est question, d’une manière ou d’une autre, de ce qui relie l’individu à un ensemble plus vaste. Il s’agit de ce qui détermine la façon dont il se situe dans l’existence, de ce qui pour lui va de soi, et qu’il partage avec certains de ses congénères sans que ce soit avec l’humanité tout entière. De multiples conceptions de cette notion coexistent, qui diffèrent par l’idée que l’on se fait de ce qui est partagé. Des pratiques, valeurs, sens, identités ? De simples matériaux dont chacun fait usage à son gré ou des forces qui orientent de manière décisive les pensées et les actes ? De mon point de vue, la cultureest un système de sens que l’individu reçoit de sa communauté d’appartenance et qu’il transmettra à son tour, un système de sens doté d’une certaine résistance au temps et à travers lequel il perçoit et interprète les situations et les actions, indépendamment de sa personnalité et de ses valeurs.

 

Vous expliquez que cette approche de la culture n’a pas la cote à l’époque contemporaine, notamment dans les sciences sociales. Comment expliquez-vous cela ?

L’image mythique de la communauté, où chacun est rigoureusement guidé par un mode de penser et d’agir qu’il a hérité de ses ancêtres, véhicule une vision totalitaire de ce qui est partagé et hérité. Elle est aux antipodes de la vision des Lumières selon laquelle la Raison et le contrat social permettent aux individus de s’émanciper des ténèbres de « l’Ancien Régime ». Désormais affranchis des préjugés et des pesanteurs du passé, les citoyens seraient susceptibles de poursuivre leur propre chemin, de choisir leur forme particulière d’existence et d’adopter les valeurs de leur choix. Les sciences sociales contemporaines sont marquées par cette opposition. On y trouve un grand désir d’exorciser la vision de la communauté, et elles tendent à déconstruire ce qui se présente comme «traditionnel», comme relevant de «coutumes» immémoriales. Elles magnifient l’autonomie des acteurs, leur capacité à rejeter les manières de faire établies, à innover, en un mot veillent à donner toute sa place à l’action. Mais, ce faisant, elles substituent une autre image mythique à la précédente, celle de la société comme union rationnelle d’individus libres de toute attache. Mes travaux s’efforcent justement de montrer que l’idée de culture propre à un peuple, qui marque de manière durable sa manière de concevoir l’existence et d’organiser la société, exprime toujours un aspect du réel. Les dimensions proprement modernes des sociétés – les droits de l’homme ou l’économie de marché – restent malgré tout imprégnées par des manières traditionnelles, propres à chacune d’elles, de regarder le monde, d’interpréter les évènements, de distinguer les situations, les actions et les positions sociales.

 

Quels sont donc ces éléments de la culture des nations qui influent directement sur leur conception de l’existence et de leurs organisations ?

Les différences entre les manières d’organiser les entreprises, et plus largement la vie en société, que l’on peut observer de par le monde sont liées au fait que chaque peuple a, de façon durable, une conception de la vie en société qui lui est propre. Qu’est-ce qu’un homme libre ? Un homme accompli ? Qu’est-ce qu’être égal ?Si toutes les sociétés apportent des réponses à ces questions, chacune a les siennes. Et ce qui les sépare en la matière a des répercussions dans tous les domaines de la vie sociale, à l’échelle de la vie quotidienne comme à celle des organisations. A cet égard, il est particulièrement significatif de prendre en considération les sociétés qui prétendent s’être affranchies du poids du passé, des traditions, des coutumes et n’être pas marquées par une culture singulière. Il n’est, semble-t-il, aucun lieu sur la planète où cette prétention est aussi développée qu’en France et aux États-Unis. Or, l’une comme l’autre sont loin d’en avoir fini avec les mythes qui orientent la vie sociale.

 

Qu’en est-il de l’idée de liberté aux Etats-Unis et en France ?

Les sociétés occidentales ont abandonné une vision ancienne de la liberté qui voyait en elle un privilège associé à une position sociale, pour passer à une vision moderne qui y voit le premier des droits de l’homme. On retrouve partout la protection par la loi contre l’arbitraire des gouvernants, un parlement librement élu, une justice relativement indépendante, etc. Pour autant, il apparait que les manières de concevoir les exigences de la liberté sont restées distinctes selon les pays. La singularité d’une vision française apparait ici nettement. Observons tout d’abord la situation anglo-saxonne. Dans la société américaine, une crainte fondamentale est, de manière pérenne, de se trouver à la merci des actions d’autrui. La plupart estiment qu’ils doivent être maitres de leur propre destin. On a un lien intime entre l’idée de liberté et celle de propriété, la première étant construite à partir de la seconde. La propriété n’est pas entendue seulement dans le sens que l’on connait en France, comme propriété des biens. La liberté dans toutes ses dimensions, qu’il s’agisse de rapport aux autres ou au pouvoir, est ici une liberté de propriétaire. Maitre chez lui, de sa vie, de ses richesses, le propriétaire ne demande de permission à personne, ne dépend de la volonté d’aucun autre homme pour disposer de ce qu’il possède et de sa personne, pourvu qu’il respecte les autres propriétés. Il voit dans la liberté quelque chose qu’il faut défendre, à la manière d’un bien, contre les empiètements de ceux qui seraient tentés de ne pas la respecter. Et c’est parce que, dans l’état de nature, les hommes voient leur propriété menacée qu’ils se constituent en société, sans cesser pour autant de se concevoir comme propriétaires de leur liberté, notamment vis-à-vis des gouvernants.
Cette vision de la liberté qui l’associe à l’autonomie du propriétaire n’est pas étrangère à la France. Toutefois, elle doit composer avec d’autres logiques qui puisent leur sens dans l’ancien régime. Que l’on songe au brulot de Sieyès, Qu’est-ce que le tiers état ? . Tout en s’attaquant à la noblesse comme groupe social, il ne cesse de se référer à la noblesse comme qualité d’être. Plutôt que d’éliminer toute référence à une forme de grandeur susceptible d’être une source d’humiliation pour ceux qui ne la possèdent pas, il penche pour la voie de l’anoblissement du tiers état, c’est à dire de lui permettre d’endosser l’habit des anciens maitres et de prendre leur place. Selon lui, un homme pleinement libre possède les traits qui étaient jusqu’alors l’apanage de la noblesse. Traité avec les égards dus à son rang, il n’est jamais contraint de s’abaisser devant quiconque, pour quelques motifs que ce soit. Dès lors, la liberté n’est pas vue simplement comme une affaire de droits qui appartiendraient à tous, mais comme ce qui s’attache à une forme de grandeur. La fascination française pour la grandeur constitue une incitation au perfectionnement de l’esprit, à l’élévation des pensées et des actes au-dessus de la trivialité du quotidien. Pour comprendre cet héritage de l’ancien régime, rappelons-nous les propos de Montesquieu sur les monarchies : « les vertus qu’on nous y montre  sont toujours moins ce que l’on doit aux autres, que ce que l’on se doit à soi-même : elles ne sont pas tant ce qui nous appelle vers nos concitoyens, que ce qui nous en distingue ». C’est en se référant à une conception qu’il considérait comme plus authentique de ce qui est noble, en concevant la noblesse comme qualité d’être, que Sieyès s’est attaqué à ceux qui étaient juridiquement nobles. Aujourd’hui, il apparait que, non seulement la Révolution française n’a pas balayé l’idée de noblesse, mais que celle-ci a prospéré dans la France républicaine.

 

Vous expliquez justement que la conception française de la liberté n’a pas fait disparaitre, ni même délégitimé,l es principes de hiérarchie et de privilège qui avaient cours durant l’Ancien Régime, bien au contraire. Qu’en entendez-vous par là ?

Cette vision qui en France associe la liberté à la noblesse est porteuse d’une sensibilité exacerbée à ce qui est source de grandeur ou au contraire facteur d’humiliation, c'est-à-dire à l’opposition entre d’un côté ce qui est grand, noble, ce qui élève, honore, et de l’autre ce qui est bas, vil, ce qui abaisse, dégrade. Ainsi, dans la société française, l’expérience qui suscite par-dessus tout des sentiments violemment négatifs est de renoncer à ce que l’on est, à son rang, de plier, par peur ou par intérêt, devant qui peut vous nuire ou vous faire bénéficier de ses faveurs. Loin de faire disparaitre les principes de hiérarchie et de privilèges catégoriels, cette sensibilité lie le degré de « noblesse » au statut social de chacun, c'est-à-dire à la place qu’il occupe dans une hiérarchie de rangs. A un extrême, ce qui est noble se voit reconnaitre la pleine dignité de la condition humaine. De l’autre, ce qui est bas, commun, vulgaire, apparait comme relevant d’une sorte d’essence inférieure. A cet égard, Pierre Bourdieu livre dans La distinction une analyse très éclairante des rouages de cette opposition entre le distingué et le commun. J’ajoute que la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen affirme que « tous les citoyens étant égaux à ses yeux [de la loi], sont également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». La référence qui est ainsi faite aux dignités est un autre indice de la persistance d’une forme de hiérarchie des rangs dans notre pays. Certes, la France du Contrat social, de la société fondée sur l’existence de droits commun à tous, a été magnifiée et la France des hiérarchies et des privilèges stigmatisée. Il n’en reste pas moins que la société de rangs est intimement mêlée à la France issue des Lumières. Aujourd’hui encore, tout ce qui concerne d’une manière ou d’une autre la place attribuée à chacun dans la société est l’objet d’intenses débats idéologiques, qu’il s’agisse de la vie économique et sociale, de l’école ou de tout autre domaine. Cela se comprend d’autant mieux qu’il existe plusieurs conceptions de ce qui est d’un côté « grand » et de l’autre « bas ».

La manière dont on se situe socialement est bien différente aux Etats-Unis. L’affirmation typiquement française d’une volonté de fidélité à soi-même face à la pression du troupeau y est déconsidérée. La mise en avant de formes de raffinement qui sépare du commun est vue comme une forme d’arrogance peu compatible avec les idéaux démocratiques. Il est de bon ton d’admettre une certaine équivalence entre ce qui constitue pour un regard français des goûts vulgaires et des goûts distingués.
On pourrait aussi prendre l’Allemagne comme point de comparaison. Déjà au 18ème siècle, on voyait coexister dans ce pays plusieurs communautés (société de cour, bourgeoisie intellectuelle, bourgeoisie marchande) dont chacune cultivait sa spécificité comme ses propres références, au contraire de la France où chaque groupe social avait pour ambition de s’assimiler aux groupes de rang supérieur, et cherchait à adopter leurs valeurs et leurs mœurs. Par la suite, les valeurs aristocratiques ont été rejetées par la bourgeoisie et ont disparu avec les couches sociales qui les portaient. On trouve toujours dans l’Allemagne contemporaine un ensemble de groupes sociaux à forte identité. Chacun reste attaché à ses propres références et se montre peu impressionné par celles de groupes qu’une optique française ferait regarder comme nettement supérieurs. Ces groupes sociaux sont plus juxtaposés que placés à diverses hauteurs sur une échelle que chacun chercherait à gravir.

 

Au-delà des différences de rémunération, le travail n’est-il pas en France le lieu par excellence où s’expriment les différents statuts sociaux ?

 En France, le travail joue en effet rôle important dans la classification sociale, qui va bien au-delà des différences de revenus. Il peut y avoir des métiers grassement rémunérés mais faisant l’objet d’une faible estime sociale, songeons par exemple aux traders. A l’inverse, il existe des métiers relativement mal payés mais bénéficiant d’une image valorisante, comme les infirmières. Plus largement, la conception du travail en France parait assez éloignée des rapports salariaux que l’on peut observer dans le monde anglo-saxon et qui se caractérisent par une dimension marchande et contractuelle forte. Dans notre pays, les rapports de travail ne mettent pas seulement en jeu les intérêts des salariés mais la manière dont ils se situent dans une hiérarchie qui oppose ce qui est grand et noble à ce qui est bas et vulgaire. En France, avoir un métier c’est s’inscrire dans la grandeur d’une tradition porteuse d’une forme d’honorabilité que l’on a le devoir de maintenir et de protéger.
La Révolution a certes supprimé les privilèges et les corporations. Mais cela n’a pas empêché que de nouveaux groupes professionnels, fiers de leurs privilèges et attachés aux devoirs liés à leur rang, se soient sans cesse constitués jusqu’à aujourd’hui. La création, en plein 20ème siècle, de la catégorie si typiquement française des cadres constitue une bonne illustration de ce mouvement de création permanente de catégories aussi ardentes à défendre leur autonomie vis-à-vis de leur hiérarchie que la grandeur de leur état. L’attachement à un statut garanti par la loi, loin d’être l’apanage des plus favorisés, a pénétré le corps social dans ses profondeurs. Alimenté par de multiples revendications catégorielles, le développement du droit du travail en France a ainsi renoué avec la conception d’Ancien Régime selon laquelle c’est en tant que membre d’une catégorie sociale que l’on a des droits. De même, si l’ordonnance 1945 instaurant la Sécurité sociale évoque les travailleurs toutes catégories confondues, de multiples « régimes spéciaux » ont subsisté. Comme le note le sociologue Robert Castel, l’organigramme de la Sécurité Sociale donne une assez bonne projection de la structure de la société salariale, c'est-à-dire d’une société hiérarchisée dans laquelle chaque groupement professionnel, jaloux de ses prérogatives, s’acharne à les faire reconnaitre et à marquer sa distance à l’égard de tous les autres. Et c’est bien parce que le principe de noblesse du métier laisse de côté ceux qui sont justement « sans métier » que l’on voit tant s’affirmer de nos jours la nécessité de professionnaliser certaines activités. Ainsi, pour la CFDT, il faut professionnaliser les emplois et qualifier les personnes si l’on veut développer les emplois de service aux personnes. Il ne s’agit pas seulement d’une affaire de compétence mais aussi et surtout de dignité sociale.
Encore une fois, la différence avec les Etats-Unis est patente. Il existe certes des activités très diversement lucratives dans ce pays, mais cette diversité ne donne guère de place à l’opposition, essentielle en France, entre ce qui est grand et noble et ce qui est bas et vil. Autant les américains mettent volontiers en avant l’argent et la réussite lorsqu’ils sont interrogés sur ce qui les différencie de leurs congénères, autant on ne retrouve pas chez eux le dédain pour certains métiers qu’il est courant de rencontrer en France. Ils ont au contraire plutôt tendance à affirmer que tous les types d’emploi se valent.

 

Vous expliquez que le service public se situe justement au sommet de la hiérarchie sociale. Pourquoi ?

On s’étonne souvent des résistances françaises au développement d’une logique de marché là où le service public prévalait jusqu’alors. On y voit la marque d’un manque de dynamisme, d’un souci hypertrophié de sécurité matérielle, le signe d’une mentalité de « fonctionnaire » au sens le plus péjoratif du terme. Mais c’est bien mal comprendre la façon dont les services publics incarnent l’idéal du service noble. Se consacrer au public sans en être l’esclave, ajouter la noblesse de la vertu du libre dévouement à celle que procure la possession de son indépendance, comment rêver situation plus haute ? Ne pas avoir à obéir à un patron, ni besoin de se vendre à un client, n’être au service que de l’intérêt général, c'est en quelque sorte avoir une mission reçue d’en haut. Autant d’éléments d’un service éminemment noble. De ce point de vue, la remise en cause des principes de service public et des éléments statutaires y afférents au profit de logiques marchande et managériale est loin d’être anodine.

 

En quoi le système éducatif entretient-il la continuité de cette société de rangs ?
Il en est un rouage essentiel. En France, plus qu’ailleurs, le statut social de chacun est déterminé par son parcours scolaire. Les titres scolaires, à l’instar des titres de noblesse dans l’Ancien Régime, jouent un rôle central dans l’accès aux différentes professions et donc aux positions jugées les plus honorables. La « noblesse scolaire » est devenue, dans la France républicaine, un déterminent majeur de la place que chacun occupe dans la hiérarchie sociale. La vision modernisée de la noblesse que la France post-révolutionnaire a cherché à faire triompher est liée à la raison, aux « capacités », aux « talents » et aux « vertus ». Selon cette vision, il va de soi que l’école de la République devait comporter un ensemble différencié de filières correspondant à la variété des talents et des places qui devaient échoir à chacun. De ce point de vue, les aptitudes intellectuelles, les filières d’enseignement de haut niveau, tout comme les métiers à fort contenu intellectuel, s’opposent à leurs homologues à caractère plutôt manuel.
Toutefois, ces dernières décennies, cet état de fait a perdu de sa légitimité. L’élitisme républicain tend à être rejeté au nom d’une vision renouvelée de l’égalité. Les prétendues « élites » sont ramenées à une place de « dominants » qui se parent à tort d’une supériorité imaginaire sur le plan des talents. Il est désormais difficile d’affirmer sans détours que les différences de résultats scolaires traduisent des différences naturelles de capacité. L’exigence d’égalité des citoyens implique dés lors que tous aient accès à des enseignements de même dignité. Bref, l’affirmation du bien-fondé d’une différentiation de l’appareil éducatif en filières plus ou moins nobles est contestée car assimilée à une défense de privilèges. Mais l’avènement d’un enseignement identique pour tous est devenu un impératif politique aussi impossible à réaliser qu’il est impérieux. Dans la pratique, l’ajustement entre la référence hiérarchique et la référence égalitaire tend à se faire en combinant des égalités formelles – entre les lycées, les diplômes des diverses universités, etc. – et des hiérarchies officieuses que nul n’ignore. Chacun peut observer la persistance d’un regard social qui distingue des filières qui donnent accès à une pleine dignité d’homme et de citoyen et les autres. Le maintien d’une dualité entre universités et grandes écoles est un des symptômes de la persistance de cette logique hiérarchique. Les difficultés à rénover l’appareil français de formation ne peuvent se comprendre en faisant abstraction de cet aspect des choses. Le refus républicain d’admettre que, dans une France vouée à l’égalité, certains soient plus nobles que d’autres, fait qu’il est impossible de trouver une manière légitime de gérer l’hétérogénéité de la population scolaire.

 

Comment comprendre cette contradiction entre des pratiques silencieuses qui laissent perdurer le principe d’une société de rangs et des discours publics qui célèbrent l’idéal d’égalité ?
 Effectivement, la France d’aujourd’hui vit dans une contradiction permanente, dans une sorte de symbiose conflictuelle entre le désir de grandeur et l’idéal d’égalité. D’un côté, dans un registre juridique et politique, elle a proclamé solennellement que la notion de noblesse n’a plus cours et que tout citoyen est l’égal de tout autre. Mais, simultanément, dans un registre social, pour lequel il existe un abime entre ce qui est noble et ce qui est bas, cette égalité est quotidiennement bafouée. La tension est permanente entre la loi qui proclame de façon souveraine le principe d’égalité et des mœurs qui ne cessent de distinguer, de classer, de hiérarchiser les individus en fonction des statuts qui leur ont été concédés. Les remous de la société française s’éclairent par les compromis, subtils, fragiles et sans cesse à reprendre, que nous cherchons à établir entre l’idéal égalitaire et abstrait des Lumières et des pratiques plus spontanément différentialistes. D’une certaine manière, le pouvoir politique en France vit dans une fiction, celle d’être en capacité de changer de façon unilatérale l’état de la réalité sociale. Or, on le voit bien, cette volonté s’arrête bien souvent à une simple affirmation de principes venant contrebalancer sur le plan symbolique une réalité sociale contraire.

On peut même penser que c’est parce que la France reste, dans sa réalité sociologique, une société de rangs, qu’elle nourrit une passion égalitaire. Dans la société américaine ou les sociétés d’Europe du Nord, où la dignité d’homme et de citoyen n’est pas une question de rang social, la revendication d’égalité est beaucoup moins radicale qu’elle ne l’est en France. Finalement, le paradoxe français tient au fait que, alors qu’il est impossible pour le politique de changer concrètement les représentations et les pratiques du corps social source de différenciation, il lui est en même temps impossible de faire ouvertement référence à cet état de fait sous peine d’être taxé de démissionnaire face à la réalité sociale. On trouve là une explication essentielle de la désaffection rapide des citoyens à l’égard du politique suite aux élections. La période actuelle nous en offre une nouvelle fois une excellente illustration : ceux qui gardent le verbe haut, comme Arnaud Montebourg ou Jean-Luc Mélenchon conservent des sondages favorables lorsque les autres principaux ténors de la majorité chutent.

 

La mondialisation économique ne contribue-t-elle à pas accroitre les exclus de cette société de rangs ?

Soulignons tout d’abord que, sans même parler de mondialisation, la proportion de ceux qui terminent leur parcours scolaire sans dépasser les niveaux les plus faibles résiste remarquablement à l’élévation du niveau moyen de formation. En même temps que le sésame scolaire conserve une importance plus que jamais cruciale pour l’insertion professionnelle et donc le positionnement dans la hiérarchie sociale, la France continue de produire des exclus, des sans-statuts, des sans-métiers. Par ailleurs, le lien mécanique entre titres scolaires et position professionnelle s’est distendu. L’augmentation des diplômés s’est heurtée à une moindre progression des emplois de cadres. Ainsi, de plus en plus de diplômés ont du, pour se trouver un emploi, accepter des postes « déqualifiés, et se trouver ainsi « déclassés », « déchus ».

Concernant les effets de la mondialisation, la réalité a déçu les espoirs originels. Le développement de la concurrence internationale, en obligeant les entreprises à se moderniser ou à disparaitre, a bousculé bien des positions acquises. D’une côté, ceux qui étaient les mieux armés par leur formation, leur dynamisme ou leurs relations, ont trouvé à s’engager dans les nouvelles voies qui s’ouvraient devant eux. De l’autre, nombreux sont ceux qui se sont trouvés laissés pour compte, voués au chômage ou prématurément réduits à l’inactivité. Pour eux l’économique a cessé d’être le moteur social. En outre, la réduction de l’autonomie professionnelle des cadres allant de pair avec le creusement de l’écart entre leurs rémunérations et celles, en forte croissance, des dirigeants ont clairement entamé leur statut et donc leur grandeur.

 

La nouvelle donne économique ne conduit-elle pas finalement à une distension de la hiérarchie sociale, le haut s’éloignant toujours plus du bas ?

L’intensification de la concurrence et les exigences des marchés financiers engendrent une économie fortement turbulente au sein de laquelle il est de plus en plus difficile de garantir à chacun un statut doté de quelque pérennité. L’ouverture économique tend à remettre en question les protections et privilèges attachés aux différents corps de métiers. Ceux-ci apparaissent de plus en plus comme des freins à la compétitivité, mais aussi comme des privilèges de moins en moins légitimes et acceptables aux yeux de ceux qui n’en bénéficient pas. Songeons notamment à l’évolution de l’image des enseignants et à la montée des critères de l’argent et de la notoriété dans l’appréhension de la hiérarchie sociale. Les représentations largement pessimistes de la mondialisation qui ont cours en France doivent être interprétées à la lumière des distensions que connait la hiérarchie des rangs. D’un côté, la « France d’en haut » s’épanouit dans une économie mondialisée. Défendant une vision conquérante de la noblesse, elle n’a pas besoin d’être protégés par quelques privilèges pour pouvoir tenir son rang. Les intéressés sont bien placés pour faire accéder leur progéniture aux meilleurs établissements d’enseignement. La situation est bien différente, non seulement pour les chômeurs et les sans-grades, mais aussi pour tous ceux qui se voient remis en cause dans leur statut. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’ils ont conquis à travers deux siècles de luttes, sociales et politiques, de meilleures conditions d’existence que celles qu’ils sont à même d’obtenir dans un monde ouvert à une compétition sans merci. En ce sens, dans une bonne partie de la société française, ceux qui défendent des avantages acquis ne perçoivent pas leur lutte comme moins légitime que ne l’est l’exploitation par d’autres d’avantages concurrentiels dans une économie de marché.

 

Dans une société de rangs, la valeur de résistance pour défendre les acquis du statut peut-elle être la seule attitude légitime face à la pression concurrentielle de la mondialisation ?

La précarité de l’emploi à laquelle conduit une gestion hautement concurrentielle de l’économie n’affecte pas identiquement la place occupée dans la société aux Etats-Unis et en France. Une sortie à l’anglo-saxonne de la crise actuelle du « modèle social français » est problématique parce que, en France, la diversité des destins sociaux produite par une économie hautement concurrentielle est interprétée dans le registre de la dignité. Les perdants, tels les travailleurs pauvres, sont atteints dans leur dignité d’homme. De même sont déchus ceux qui ont perdus les privilèges, si modestes fussent-ils, qui leur avaient fait accéder à un certain rang. Le marché est ici perçu non pas comme un arbitre impartial mais comme un instrument de la domination des gagnants. Dans ces conditions, il est noble de faire tout ce qu’on peut pour empêcher qu’il ne vous écrase.

Pour autant, s’arc-bouter bec et ongles sur la défense des statuts présente une dimension tragique. La focalisation sur les enjeux de dignité empêche de voir les effets du statut sur le fonctionnement du marché du travail. Parce qu’il est particulièrement difficile en France d’envisager de descendre de quelques rangs pour retrouver un emploi, ceci étant vue comme un échec déshonorant, le chômage de longue durée apparait souvent comme la seule issue possible pour un certain nombre de personnes, et notamment les seniors. On préfère gonfler les rang des chômeurs plutôt que de proposer aux gens des places qui leur apparaitraient indignes. Ce refus de déchoir de son rang, ou, plus encore peut-être, d’embaucher dans des conditions qui risquent d’être source de frustration et de démotivation, entrave fortement la fluidité du marché du travail et constitue une explication incontournable de la persistance en France d’un chômage de masse quelle que soit la conjoncture économique. Une fois encore, on se retrouve face à un dilemme bien difficile à dénouer : comment se résoudre à abattre les institutions et les pratiques qui écartent la perspective de transformer les hommes en marchandises, même si elles font que certains se trouvent privés à la fois d’emploi et de statut ?

 

Quelle place la société française peut-elle faire aux personnes qui, d’une manière ou d’une autre, sont en difficulté pour trouver un emploi, pour suivre un parcours scolaire, pour sortir de leur marginalité sociale ?

Votre question renvoie à une interrogation plus générale : comment une société peut-elle s’organiser pour gérer l’hétérogénéité sociale de ses membres ? A cette question, la France a répondu jusqu’à présent par un égalitarisme des politiques publiques : tendre vers une égalité de traitement pour chacun. Autrement dit, il existe une préférence pour des dispositifs d’ensemble qui s’appliquent à tous de façon indifférenciée. Or, non seulement ce principe se traduit mal dans la réalité des pratiques, mais on voit bien que concernant l’enjeu de l’emploi comme sur celui de la réussite scolaire, ou encore en matière d’intégration des populations d’origine étrangère, nous avons à faire face à un besoin aigu d’accompagnement personnalisé. A cet égard, on observe un certain déni par rapport aux questions dites d’employabilité. On a du moins une insistance quasi exclusive sur les aspects de formation et de qualification qui laisse de côté la dimension relationnelle, les questions de compétences comportementales, de savoir-être. D’autres pays y sont en revanche attentifs. Des études ont montré que l’accompagnement personnalisé des chômeurs dans leur recherche d’emploi se révèle particulièrement efficace et qu’il devrait constituer un axe important des politiques de l’emploi.
En matière scolaire, on peut pointer deux enjeux. Le premier concerne notre capacité à offrir un parcours spécifique aux personnes qui sortent du système scolaire sans diplôme. Le principe d’égalité qui exige un accès de tous à des enseignements revêtus d’une même dignité nous empêche de le faire. Le second enjeu renvoie à la capacité du système d’enseignement à répondre au défaut d’éducation existant dans certaines familles. Il faut dire qu’en France l’une des pires choses que l’on peut dire à quelqu’un est qu’il n’a pas été éduqué. Vouloir lui apprendre comment se conduire revient en quelque sorte à l’insulter. L’idéologie qui a cours dans l’éducation nationale considère que ce n’est pas à elle de fournir les codes qui régissent le fonctionnement de la société. Les questions de comportements, d’attitudes sont vues comme relevant exclusivement de la vie privée.

N’est-il pas temps aujourd’hui de tempérer ces principes de hiérarchie et de rangs en reconnaissant par exemple l’utilité de chacun dans le corps social ?
Je ne pense pas que l’on puisse changer radicalement la logique du système. Pour autant, nos décideurs pourraient se poser la question de ce qui est véritablement noble : est-ce de marquer sa différence et son mépris vis-à-vis de ce qui est en dessous ou est-ce de s’impliquer dans de nobles causes qui nous élèvent ? Gardons en effet à l’esprit que, plus l’arrogance des grands se manifeste, plus le ressentiment des petits s’exacerbe.

Plus largement, nous pouvons nous interroger sur la pérennité d’une vision du monde qui, dans une époque qui attend l’avènement d’une humanité où tous se regarderaient comme semblables, accorde une place aussi centrale aux distinctions entre les hommes. Dans une telle démarche, il est essentiel de distinguer deux éléments qu’il est courant de confondre. Qu’y a-t-il d’effectivement obsolète dans cette France du début du 21ème siècle, dans des habitudes, des pratiques, des institutions qui ont pu avoir leur mérite, voire leur heure de gloire, mais qui sont inadaptées à l’état du monde ? Et qu’y a-t-il au contraire qui exprime une vision beaucoup plus permanente de l’homme et de la société, vision qui a résisté à tant de bouleversements – dont la Révolution française, la révolution industrielle – qu’il serait vain de prétendre s’en affranchir ? Vision sur laquelle, il convient peut-être, au contraire, de s’appuyer pour réaliser les transformations qui s’imposent dans nos institutions et nos pratiques.

A ne pas faire cette distinction entre des archaïsmes et une culture, on est condamné à osciller entre deux attitudes aussi dommageable l’une que l’autre. Soit sacraliser indûment, au nom de la défense du « modèle social français », des aspects de notre société qu’il est temps de transformer ; croire que l’on peut ne rien changer à nos habitudes à condition de dresser quelque ligne Maginot contre l’impérialisme anglo-saxon. Soit, au contraire, nourrir des rêves illusoires selon lesquels les Français deviendraient semblables à ceux qui pense-t-on montrent la voie, qu’ils soient, selon les moments, américains, danois ou allemands. Il est temps d’échapper à cette cécité en admettant que la France n’est que la France, c'est-à-dire ni un modèle pour l’ensemble de l’humanité ni un mouton noir dont il est temps qu’il rentre dans le rang. Reconnaissons que, comme tout autre pays, nous sommes simplement différents et donc que nous avons toujours quelque chose de particulier à apporter au monde. Il est temps de mieux saisir à quelles conditions le désir de grandeur qui habite le peuple français peut conduire effectivement à la grandeur plutôt qu’au déclin.

 

La conception française de la liberté comme forme de noblesse ne présente-t-elle pas justement quelques atouts pour affronter les enjeux du 21èmesiècle ?

Si, bien évidemment. La volonté de l’individu de persévérer dans son autonomie, de rester fidèle à ses convictions par delà les liens de subordination, offre une capacité d’initiative et de créativité que l’on ne retrouve pas partout. Par exemple, les ingénieurs français se caractérisent par leur capacité à prendre des décisions délicates sans avoir besoin d’en référer nécessairement à leur supérieur. De même, ils ne se contentent pas comme le font leurs homologues américains de la demande exprimée par le client. La force de la référence au métier fait que, face à des clients peu conscients de ce que sont réellement leurs besoins, les ingénieurs français vont être amenés à définir de manière autonome et créative ce que l’on peut estimer être une solution de qualité. Il n’y a pas besoin de définir de façon formelle l’ensemble de leurs impératifs et de leurs objectifs. Un troisième aspect de cette autonomie de décision et d’action réside dans les libertés qui sont prises dans l’application des règles. Parce que ces dernières sont souvent perçues comme partielles, obsolètes ou simplistes, le travailleur français s’autorise un certain nombre d’arrangement lorsqu’il les juge nécessaires au bon accomplissement de la tâche qui lui incombe. C’est là aussi une différence de taille avec l’univers anglo-saxon dans laquelle on peut faire ce que l’on veut tant que l’on n’enfreint les règles. On a bien vu à quoi cela pouvait aboutir avec la crise des subprimes : officiellement personne n’a enfreint de règles et pourtant les comportements ont conduit à la catastrophe. Disons le clairement, sans cette conception noble du métier, la France irait beaucoup plus mal aujourd’hui.   Plus largement, la manière avec laquelle les changements sont présentés est, dans notre pays, essentielle. Il est possible de faire évoluer les statuts ou même de composer avec eux avec succès si l’on donne du sens, si l’on s’appuie sur le désir de grandeur qui anime le peuple français. Ce qui compte c’est d’inscrire la position de chacun dans des projets transcendants, que ce soit à l’échelle des organisations comme à celle de la société dans son ensemble. La noblesse des projets peut rendre acceptables des choses qui ne l’étaient pas jusque là. Or, sur ce plan, il y a un manque d’effort intellectuel incontestable chez les décideurs, politiques ou économiques, pour composer avec les caractères du peuple français et lui proposer des perspectives dynamiques. On peut d’ailleurs considérer que le renoncement politique à la grandeur, à l’élévation, à la transcendance joue un grand rôle dans le malaise français actuel.

 

La capacité d’évolution de la société française ne dépend-elle pas in fine de l’exemplarité des élites, c'est-à-dire de ceux qui occupent les positions les plus élevées dans la hiérarchie sociale ?

Effectivement, les Français sont très sensibles aux décisions, aux pratiques, aux comportements de ceux qui sont situés en haut de l’échelle. Ils peuvent faire allégeance à leurs élites à condition qu’elles se comportent de manière exemplaire. L’attitude de nos élites dans la dernière période laisse en friche cette capacité d’allégeance qui est potentiellement très forte. Regardez comment l’affaire du Fouquet’s a pesé symboliquement sur tout le quinquennat de Nicolas Sarkozy. De même, plus l’on prend les Français de haut en leur disant ce qu’il faut faire ou penser et plus l’on s’aliène leur capacité de mobilisation. Rappelons-nous le référendum sur la constitution européenne de 2005. On touche là un point essentiel. Alors que l’on demande à la « France d’en bas » d’accepter d’innombrables réformes, du recul de l’âge de la retraite à la flexibilisation de l’emploi ou la privatisation des entreprises publiques, tout cela au nom du bien commun, les puissants ne devraient-ils pas montrer l’exemple ? N’est-ce pas à eux de convaincre par l’exemple qu’il est peu honorable de profiter sans retenue des moyens dont on dispose pour faire triompher ses intérêts, alors même que d’autres en pâtissent ?

Pour aller plus loin avec Philippe d'Iribarne :

  • la logique de l'honneur, gestion des entreprises et traditions nationales, Philippe d'Iribarne, Points, 1989
  • cultures et mondialisation, Philippe d'Iribarne, Points, 1998
  • l'étrangeté française, Philippe d'Iribarne, Points, 2003
  • penser la diversité du monde, Philippe d'Iribarne, Seuil, 2008
  • les immigrés de la république, Philippe d'Iribarne, Seuil, 2010
  • l'envers du moderne, Philippe d'Iribarne, CNR éditions, 2012