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Les difficultés culturelles face aux projets de santé publique

Interview de Marie-Françoise SIMORE

<< Notre ligne de conduite suit le bien des familles et le respect des enfants. >>.

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Date : 15/02/2001

Propos recueillis par Ludovic Viévard pour le Cahier Millénaire3, n°23 (2001), pp 62-63.L'action de l'unité territoriale de Vaulx-en-Velin a pour but d'élaborer des projets de santé publique afin de toucher les populations d'origine étrangère ou en situation de précarité. Quelles sont les difficultés de nature culturelle auxquelles vous avez à faire face ?
Nous sommes confrontés à des problèmes de,culture ou de religion, j'ai du mal à savoir où s'arrête l'une et où commence l'autre. Par exemple, le fait que certaines jeunes filles doivent rester vierges avant le mariage les conduit à des pratiques sexuelles plus à risque. Certaines nous interpellent pour des reconstitutions d'hymens.

Qu'en est-il de la circoncision ?
Il y a un rituel, mais les choses sont désormais organisées. On nous demande des opérations "sécurisées", en clinique, avec en même temps la possibilité de faire la fête. Mais parfois nous sommes confrontés à des circoncisions "sauvages" qui se passent au pays, voire ici, et qui laissent les enfants dans un état sanitaire lamentable. Nous dépistons aussi des cas rares d'excision.

Qui sont pratiquées ici ?
Oui. Le Rhône est l'un des départements où il s'en pratique le plus et là, il s'agit alors de situations de maltraitance physique. Nous nous devons de le signaler aux autorités judiciaires, et c'est dans des cas comme ceux-là qu'il y a vraiment confrontation entre les pratiques culturelles et la légalité. Nous
faisons un travail de prévention auprès des familles "à risque", mais une fois que l'excision est faite, quels moyens avons-nous ? Il est parfois préférable de parler avec eux et d'aider la petite fille. On recherche le meilleur service à rendre à l'enfant.

Est-ce que cela n'est pas compris comme un signal aux autres familles qui dit "c'est interdit mais si vous le faites il n'y aura pas de sanction" ?
Oui. Ce sont des situations difficiles. Mais nous avons un rôle humanitaire.

Mais comment faites-vous pour apprécier ?
On décide ensemble, en équipe avec les travailleurs sociaux du département, les différents professionnels qui sont en contact avec la famille, médecin libéral ou scolaire... Mais c'est un cas extrême qui ne se présente pas souvent.

Il y a la pratique culturelle, l'exigence de la loi et puis entre les deux votre appréciation de la situation, votre liberté d'action... Comment faites-vous pour décider d'avoir ou pas recours à la justice ?
On décide en équipe au cas par cas, en pesant le bien fondé de la mesure qui va être proposée pour savoir si elle va nuire ou pas à la famille. Il y a des situations moins graves où le problème se pose de la même façon, comme la polygamie. Est-ce qu'il faut le signaler systématiquement ? Souvent les
assistants sociaux sont obligés de le faire, pour des raisons qui sont liées aux prestations sociales. Mais c'est parfois placer les femmes et les enfants de ces familles dans des situations difficiles, et ce n'est donc pas toujours la meilleure solution.

Acceptez-vous facilement cette part de subjectivité dans l'application du cadre légal, ou souhaitez-vous être davantage accompagnée ?
Non. Notre ligne de conduite suit le bien des familles et le respect des enfants. Lorsqu'ils sont menacés nous intervenons contre les pratiques culturelles de leurs parents. Cela nous est arrivé de lever temporairement l'autorité parentale pour donner des soins à une enfant que son père refusait
de soigner. Mais nous avons d'autres problèmes, moins graves, auxquels nous avons à faire face. Par exemple, pour ce qui concerne l'agrément des assistantes maternelles. Il nous arrive de donner un agrément à des femmes voilées alors que la loi leur impose la laïcité c'est-à-dire une certaine forme de neutralité religieuse dans l'exercice de leur profession. Mais c'est important pour elles, parce que cela leur permet de travailler, donc de s'autonomiser et de s'intégrer. Et puis c'est aussi pour nous l'occasion de les amener à réfléchir sur le port du voile, sur le fait qu'elles doivent travailler dans une société laïque. Là aussi il y a un décalage entre la loi et certaines pratiques que l'on autorise, mais qui est le seul moyen de faire changer les choses. Il faut que nous nous adaptions aussi pour pouvoir faire notre travail.

Est-ce là un aménagement qui est inclus dans la notion de laïcité ou est-ce à votre avis une exigence supplémentaire que vous admettez par nécessité ?
C'est surtout une nécessité que l'on doit admettre pour faire notre travail. Mais on ne s'adapte pas qu'aux cultures étrangères et à certaines pratiques sociales.

Est-ce que les professionnels qui sont confrontés sur le terrain à ces difficultés vous demandent comment réagir ?
Oui. D'ailleurs, durant le forum que nous avons organisé à Vaulx-en-Velin, nous avons travaillé sur l'alimentation, sur le corps, etc., parce qu'il y a des pratiques culturelles qui nous interrogent. Mais nous-mêmes méconnaissons les bénéfices de certains modes alimentaires d'autres cultures et parfois on a beaucoup à apprendre.

Par exemple ?
Pour certaines cultures il est repéré une meilleure acceptation de l’enfant handicapé qui n'est pas considéré comme une tare - mais reste un don de Dieu -, ou encore une valorisation de l'allaitement maternel. Pourtant, il faut se méfier des effet pervers. Valoriser l'allaitement comme pratique culturelle c'est aussi a contrario stigmatiser les jeunes femmes maghrébines qui ne souhaitent plus s'y plier ! Mais, même dans ce domaine on se heurte à d'autres problèmes. Il y a par exemple des femmes qui ont beaucoup de lait mais qui refusent de le donner au lactarium de Vaulx-en-Velin alors que cela pourrait aider les nourrissons prématurés. Mais pour les femmes musulmanes il n'est pas possible de donner ce lait parce que le bébé qui en boirait deviendrait frère de lait du leur.