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Les CROs et les enjeux de la recherche

Interview de Yves ALAMERCERY

Yves ALAMERCERY
Directeur général de RCTs

<< Le marché des CROs (prestataires de services pour des activités de recherche préclinique, clinique et épidémiologique) a complètement changé ces dix dernières années >>.

Dans le cadre de la réflexion du Grand Lyon sur la recherche translationnelle, qui constitue un point d'appuie pour le développement des biosciences et des industries de la santé dans la région lyonnaise.Yves Alamercery est le directeur général de RCTs, une société spécialisée dans les études cliniques de la phase I à la phase IV, les enquêtes épidémiologiques et les études d'usage ou d'impact de santé publique, dans la plupart des domaines thérapeutiques (cardiovasculaire, rhumatologie, infectieux, système nerveux central...). Il est également le trésorier de l'AFCROs, l'association française des CROs (contract research organizations), c'est-à-dire des sociétés prestataires de services en recherche clinique et épidémiologique.
Nous l'avons interrogé sur les enjeux actuels de la recherche clinique et sur l'évolution récente des activités des CROs.
RCTs est l'exemple d'un essaimage réussi. La société a été créée en 1989 sous l'impulsion du Professeur Jean-Pierre Boissel et d'Yves Alamercery. Biologiste et statisticien de formation, celui-ci était auparavant responsable des opérations de biométrie  au sein de l'unité de pharmacologie clinique du Professeur Boissel à l'hôpital Neuro-cardio de Lyon. Après plus de 20 ans d'existence, RCTs compte aujourd'hui une trentaine de personnes réunissant toutes les compétences nécessaires à la prise en charge d'une étude (conception, monitorage, logistique, data-management, statistique, rapport). La société a réalisé un chiffre d'affaires de 2,54 millions d'euros en 2011, ce qui s'inscrit dans l'ordre de grandeur des CROs européennes petites et moyennes.

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Date : 26/03/2013

Pouvez-vous nous expliquer ce que recouvre le sigle CROs?

Les CROs (contract research organizations) désignent des sociétés prestataires de services pour des activités de recherche préclinique, clinique et épidémiologique. Nous réalisons pour nos clients, typiquement les firmes pharmaceutiques, ces différentes études. Nos missions vont de la rédaction du protocole d'études jusqu'à la rédaction du rapport statistique, en passant par toute la logistique associée à la mise en œuvre d'étude, notamment le monitorage, c'est-à-dire les relations avec les équipes médicales impliquées, la gestion des données (« data management »)... Des CROs sont spécialisées dans certaines de ces étapes, d'autres, comme RCTs, proposent du « full service ». Au sein de l'AFCROs regroupant 50 membres, une douzaine d'entreprises proposent du « full service ».

Quels sont les principaux enjeux de la recherche clinique ?

Les enjeux sont multiples et à différents niveaux. L'AFCROs a entamé un travail de communication sur ces questions en raison de la diminution des études cliniques ces dernières années sur le territoire français en général, y compris sur la région Rhône-Alpes.
En termes de santé publique, la diminution de la recherche clinique sur le territoire français représente une perte de chance pour les patients de bénéficier plus rapidement de traitements nouveaux, potentiellement supérieurs à ceux qui existent. En termes de business, cela veut dire moins d'activités pour les CROs et pour les acteurs de la recherche clinique en général.

Cela pose aussi la question des délocalisations. Beaucoup de nos clients se tournent vers des pays où réaliser des essais cliniques est moins cher et moins compliqué mais cela n'est pas sans conséquences pour les patients. Celles-ci sont d'ailleurs largement relayées par les médias, pour dénoncer à juste titre des pratiques intolérables. Mais il est aussi proposé des reportages totalement caricaturaux et très éloignés des pratiques françaises. Cette médiatisation décourage les patients qui n'ont pas toujours les moyens de faire la part des choses. Il y a d'autre part la question de la représentativité de ces études délocalisées. Par exemple, les résultats d'une étude clinique réalisée sur une population indienne ne sont pas forcément transposables à la population française en raison des caractéristiques génétiques mais aussi des différences environnementales et comportementales entre ces deux populations. Même si cela n'est pas politiquement correct d'évoquer ces différences, c'est une réalité scientifique. Certains pays, à juste titre, demandent à ce que le produit soit au moins en partie testé sur leur population. Ce n'est pas encore le cas de la France.

Comment qualifieriez-vous le marché des CROs ?

Le marché des CROs a complètement changé ces dix dernières années. Auparavant, nos principaux clients étaient les filiales françaises des firmes pharmaceutiques. Depuis une dizaine d'années, ces grandes firmes mondiales passent de plus en plus des accords d'exclusivité avec des « méga CROs » (tels que Parexel, Quintiles, etc.) pour réaliser les essais cliniques précédant la mise sur le marché. Les CROs françaises ont pratiquement perdu cette clientèle en cinq-six ans et ont dû s'adapter.

Quelles sont les réponses des CROs françaises aux évolutions du marché que vous décrivez : la diminution du nombre d'études cliniques, la captation d'une partie du marché des études cliniques par les « méga CROs », la délocalisation des études ?

Les CROs assurent de plus en plus des études post-AMM, c'est-à-dire des études suivant l'autorisation de mise sur le marché. Ces études sont demandées en France par la HAS (Haute Autorité de Santé) et son groupe de travail ISP « Intérêt de Santé Publique » devenu ISPEP « Intérêt de Santé Publique et Etudes Post-Inscription » qui est chargé d'apporter son expertise sur l'intérêt de santé publique attendu des technologies de santé (médicaments, dispositifs médicaux et actes professionnels) et sur les études post-inscription.

Ces études concernent les technologies de santé déjà sur le marché pour lesquelles les autorités françaises exigent de vérifier deux choses : le bon usage (est-ce que le produit est utilisé conformément à ce qui est préconisé ?) et l'impact de santé publique (est-ce que le bénéfice observé au cours de l'étude clinique se retrouve dans des conditions réelles d'utilisation ?). C'est une vraie question car les protocoles d'étude clinique concernent des patients sélectionnés dans des conditions drastiques, qui finalement ne reflètent pas vraiment les différences courantes qui existent dans la population. Il s'agit aussi de patients étroitement suivis. Au final, on est plus proche de conditions expérimentales que de la vie réelle. Par exemple, les études cliniques sont souvent limitées aux personnes de moins de 65 ans, alors que le candidat médicament testé peut être utilisé chez des personnes plus âgées ; les études sont réalisées sur des patients ne souffrant que d'une seule pathologie alors que les patients dans la vie réelle peuvent souffrir de pathologies multiples et prendre déjà d'autres médicaments, etc.

Quels sont les effets de ces études post-AMM ?

Ces études post-AMM participent avant tout à la connaissance du médicament dans des conditions réelles d'utilisation. Elles permettent d'étayer par exemple les populations réellement traitées, les conditions de mises sous traitement, les durées de traitement prescrites, etc. L'intérêt est de vérifier que le produit est donné au bon patient, dans les bonnes indications. Il peut arriver que certains produits soient prescrits beaucoup plus largement que ce qui était prévu au moment de leur commercialisation. Il faut savoir que le prix du médicament tient compte des investissements en R&D mais également de l'estimation du nombre de boîtes que les laboratoires pensent vendre. Si le prix est donné pour un marché de 100 000 patients et que le produit touche finalement 500 000 patients, cela change bien évidemment les retombées économiques.
Les données obtenues dans les études post-AMM sont prises en compte par la Commission de la transparence de la HAS (Haute Autorité de Santé) dans la réévaluation du « Service Médical Rendu » (SMR) et de l' « Amélioration du Service Médical Rendu » (ASMR), et donc de la réévaluation des conditions de prises en charge du médicament. Ces études permettent de distinguer les notions d'innovation et de progrès. Pour qu'il y ait progrès, il faut qu'il y ait innovation... mais l'inverse n'est pas toujours vrai. C'est pourquoi il est important de le vérifier dans des conditions réelles d'utilisation.

Aujourd'hui, ces études post-AMM représentent donc une part de marché de plus en plus importante pour les CROs, environ 50 %. Quelles sont les autres évolutions du marché des CROs ?

Les CROs voient aussi à l'heure actuelle la diversification de leur marché vers les dispositifs médicaux, la cosmétologie, la nutrition, et demain peut-être le secteur vétérinaire, où les problématiques sont proches de celles du médicament. Les industries pharmaceutiques ne sont plus vues aujourd'hui comme les seuls clients potentiels des CROs puisque les dispositifs médicaux représentent environ un tiers du marché des CROs.

Les dispositifs médicaux forment une grande famille recouvrant tous les produits qui participent aux soins mais qui ne sont pas des médicaments : cela va donc du sparadrap à la prothèse de hanche, du matériel pour l'imagerie médicale au fauteuil roulant... Auparavant, les dispositifs médicaux bénéficiaient d'une réglementation répondant à une logique d'ingénieur : les produits devaient être conformes à des normes techniques pré-établies. Peu à peu, la réglementation a évolué et les concepteurs doivent désormais démontrer les bénéfices des dispositifs médicaux pour les patients et pas seulement une conformité technique. Ainsi, les CROs ont de plus en plus de demandes des entreprises de dispositifs médicaux pour des études de type clinique s'attachant à mesurer directement des critères cliniques, c'est-à-dire les effets sur la santé du patient (et non pas des critères intermédiaires). Caractériser ce lien entre les différents critères est essentiel.

Pouvez-vous nous donner des exemples d'études cliniques pour illustrer ce lien entre critères intermédiaires et cliniques ?

L'hypertension artérielle est un facteur aggravant le risque cardiovasculaire. Un produit diminuant l'hypertension artérielle peut diminuer le risque cardiovasculaire mais cela n'est pas automatique. Il faut donc le mesurer grâce à une étude s'intéressant à la fois au critère intermédiaire, l'hypertension artérielle, et au critère clinique, c'est-à-dire le risque cardiovasculaire, la santé du patient.

Autre exemple, nous avons réalisé il y a quelques années une étude sur l'ostéoporose qui a eu des retombées très importantes au niveau mondial. Le fluor était alors recommandé dans le traitement de l'ostéoporose car il augmente la densité osseuse (le critère intermédiaire). En revanche, nous avons montré que le risque de fracture (le critère clinique) était accru car l'os était certes plus dense mais de mauvaise qualité. Il ne faut donc pas se contenter d'un critère intermédiaire.

Il y a une quinzaine d'années, le bénéfice du stylo injecteur d'insuline, en remplacement d'une seringue classique, pour les patients diabétiques traités par l'insuline a été mesuré dans une étude comparative. L'avantage économique était évident car les patients étaient rapidement autonomes grâce à ce système d'injection plus simple mais le contrôle de la glycémie a dû être vérifié... même si le produit injecté restait le même.
Nous travaillons actuellement sur des stents, des pansements, des systèmes d'injection... toujours dans une logique d'estimer le bénéfice pour le patient.

Aux côtés des études post-AMM, de l'élargissement des produits de santé étudiés, voyez-vous d'autres axes de développement des CROs ?

Un troisième axe de développement choisi par certaines CROs est l'internationalisation. RCTs a fait ce choix il y a 4 ans en nouant une alliance avec d'autres prestataires au sein du réseau PSN « Pharmaceutical Service Network ». Le principe est le suivant : si mon client français a besoin pour une étude de patients en Italie, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, je peux mobiliser des partenaires sur place à même de lui en proposer. A l'inverse, nous nous chargeons de répondre aux besoins de nos partenaires étrangers quand leurs clients veulent réaliser des études en France. En bref, chacun apporte son business et nous développons des habitudes de travail communes. Le réseau est donc en concurrence avec les « méga CROs » avec des avantages de prix, de flexibilité, d'antériorité sur le territoire... Les partenaires de PSN sont en effet à l'image de RCTs créé en 1989, comptant une trentaine de personnes et ayant une bonne connaissance du territoire local et national : il s'agit de structures petites et moyennes, ayant de l'expérience et bien implantées sur leurs territoires. Les clients de ce réseau sont, pour le moment, moins les grosses entreprises pharmaceutiques, captées par les « méga CROs » que les laboratoires petits et moyens, ainsi que les entreprises de biotechnologies.

Nous avons essentiellement évoqué la recherche clinique à promotion industrielle, mais les CROs peuvent aussi intervenir dans des essais cliniques à promotion académique...

En effet, mais cela représente une faible part de l'activité des CROs françaises. Ces dernières années, la recherche clinique à promotion académique a bénéficié de beaucoup de fonds publics. On peut s'en féliciter mais cela signifie aussi qu'un certain nombre d'études échappent aux CROs parce qu'elles sont menées directement par les Centres d'investigation clinique (CIC) ou d'autres entités publiques. En outre, en se passant d'un tiers indépendant comme une CRO, les structures publiques s'exposent à de potentiels conflits d'intérêt puisqu'elles se retrouvent à assurer à la fois la production des données cliniques et leur vérification... Il ne s'agit pas de pratiquer le doute systématique mais un ARC (attaché de recherche clinique) extérieur vérifiant la conformité des données recueillies aux dossiers médicaux semble minimiser le risque de conflit d'intérêt et apporter plus de garanties. La rigueur doit aussi être de mise pour les études post-AMM : la personne demandant l'étude à la HAS ne peut être celle qui la réalise.

Quel regard portez-vous sur la recherche clinique locale ?

Lyon a été en France une des villes pionnières en recherche clinique dans les années 70 où cette activité était encore confidentielle. Elle a été promue par le Professeur Jean-Pierre Boissel qui a développé dans un environnement hospitalo-universitaire, à l'hôpital neuro-cardiologique, les études cliniques telles qu'on les connaît aujourd'hui. A l'époque, il n'y avait qu'en cancérologie que ce type de recherche était organisé, cette spécialité conserve encore aujourd'hui une longueur d'avance. J'ai commencé ma carrière dans son équipe dans les années 1980 avant de créer RCTs en 1989.

RCTs est implanté à Lyon mais travaille sur la France entière et à l'international, comme toutes les CROs. Il peut être intéressant toutefois de connaître les équipes hospitalières opérationnelles localement. Par exemple, en ce moment, nous sommes en train de mettre en place une étude sur la sclérose latérale amyotrophique, une pathologie lourde pour laquelle il existe peu de traitements. Il s'agit d'une étude internationale, mais nous connaissons les cinq ou six équipes hospitalières en France à même d'y participer car elles sont bien organisées, peuvent mobiliser leur personnel, proposer des patients et mettre en place l'étude rapidement. Si la recherche clinique en cancérologie est très bien organisée, ce n'est pas le cas pour toutes les pathologies. Il peut donc être intéressant de connaître les équipes mobilisables localement et d'encourager les autres à s'engager dans la recherche clinique, à améliorer leur organisation, etc. Des initiatives locales pourraient être reproduites et adaptées selon les problématiques. Je pense par exemple à un réseau local auto-constitué d'infirmiers libéraux avec lequel nous travaillons sur une étude s'intéressant à l'évolution des plaies selon le type de pansements utilisés.

Existe-t-il des pathologies pour lesquelles il est très difficile de mettre en place des études cliniques ?

La question ne se pose pas en ces termes. Il y a des produits prometteurs et d'autres moins. S'ils le sont, si les innovations apportent réellement du progrès, les études cliniques ont lieu car les médecins comme les patients s'y intéressent. En général, plus les pathologies sont lourdes, plus les patients sont demandeurs.