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Le champ actuel de la sociologie urbaine

Interview de Jean-Yves AUTHIER

Sociologue au Centre Max Weber (UMR 5283 du CNRS), professeur des Universités à la Faculté d'Anthropologie et de Sociologie à Lyon 2

<< Il faut trouver des personnes capables d'assurer ces passerelles entre le monde de la recherche et celui des collectivités et de faciliter l'appropriation des résultats de recherche >>.

Propos recueillis par Caroline Januel le 9 mai 2011

Jean-Yves Authier définit la sociologie urbaine comme l’étude sociologique des phénomènes urbains. Il évoque tour à tour les évolutions récentes de la discipline, ses liens avec d'autres champs disciplinaires, les singularités françaises, ainsi que l'intérêt croissant qu'elle suscite de la part de la sphère politique et des médias. Sans nier les difficultés à collaborer avec les collectivités locales et les organismes sociaux, il montre, à l'aide de nombreux exemples puisés dans sa pratique professionnelle, les apports possibles du sociologue urbain. Il est le co-auteur de nombreux ouvrage dont « Sociologie de Lyon » et « Élire domicile. La construction sociale des choix résidentiels », parus en 2010.

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Date : 08/05/2011

Comment définir la sociologie urbaine ?

La sociologie urbaine est un domaine de la sociologie, centré sur la dimension proprement urbaine des divers aspects de la vie sociale. Elle s'intéresse à la fois à la vie urbaine et à la ville en général. À l’intérieur de ce champ de la sociologie, on peut distinguer principalement trois grands axes : l'étude de phénomènes de peuplement, de mobilité, de répartition, de ségrégation des populations dans l'espace, l'étude des manières d'habiter et des modes de vie urbains et l'étude des acteurs et des politiques urbaines. Comme vous le voyez, les objets d'études de la sociologie urbaine sont très nombreux.

 

Quels sont les sujets les plus traités à l'heure actuelle dans le champ de la sociologie urbaine ?

On trouve aujourd’hui de nombreuses recherches sur les mobilités résidentielles, les mobilités quotidiennes, ou sur les formes nouvelles de mobilité, à l’exemple des phénomènes de pendularité (impliquant des déplacements domicile-travail de longue distance) ou de bi-résidence (comme par exemple les personnes travaillant sur Paris et vivant à Lyon), liés aux réorganisations du marché du travail. Depuis une vingtaine d'années, les sujets en lien avec les banlieues et les ségrégations urbaines sont aussi très présents dans le champ de la sociologie urbaine. Enfin, la gentrification, c'est-à-dire l'installation de classes moyennes ou aisées dans des quartiers de centre-ville autrefois populaires, et les phénomènes de périurbanisation, c'est-à-dire l'installation des citadins dans des zones rurales proches des villes, sont deux phénomènes très étudiés également.

 

Quelles sont les principales méthodologies utilisées en sociologie urbaine ?

La sociologie urbaine utilise les mêmes méthodologies que la sociologie. La démarche sociologique commence par construire un objet d'étude et pour définir un ensemble de questionnements. Cela suppose de s'affranchir des prénotions, c'est-à-dire des notions construites  par la pratique, avant toute étude scientifique, et d'avoir pris connaissance de l'ensemble de la bibliographie en lien avec le sujet traité. Puis l'enquête peut commencer : les entretiens et les questionnaires sont les outils de base du sociologue. Il dispose aussi dans sa « boîte à outils » des méthodes d'observation. Vient ensuite l'analyse des données quantitatives et qualitatives. Certaines données qualitatives pouvant d’ailleurs donner lieu à des exploitations quantitatives, par exemple lorsqu'il est possible de définir à partir d’un corpus d’entretien des variables, qui seront ensuite traitées statistiquement. La restitution de ces analyses peut prendre des formes variées : via des rapports de recherche, des ouvrages, des articles, des communications à des colloques...

 

Quelles ont été les principales ruptures conceptuelles en sociologie urbaine ?

Je ne pense pas qu'on puisse réellement parler de ruptures dans le sens où, à la différence peut-être des sciences dites « dures », les connaissances produites à un moment donné ne rendent jamais totalement caduques des connaissances établies préalablement. En sociologie urbaine, il y a des controverses et des continuités, des périodes de prééminence de thèses et de méthodes selon les contextes socio-historiques et selon ce qui se joue dans le champ des sciences humaines et sociales en général. Par exemple, la sociologie urbaine des années 1970 a été marquée par la planification urbaine, les politiques de rénovation urbaine et la prégnance forte du marxisme du point de vue scientifique. Aujourd'hui, l'analyse de ces politiques est plus éclatée du fait de l'éclairage de différents courants.
 

Pouvez-vous nous expliquer les principales évolutions de la sociologie urbaine ces dernières années ?

Aujourd'hui, on a sans doute une plus grande diversité d'approches et d'objets. Mais je perçois une évolution plus forte. La sociologie urbaine s'est toujours intéressée à l'articulation du spatial et du social, mais de plus en plus, les passerelles entre la sociologie urbaine, la sociologie en général et les autres sciences humaines et sociales se multiplient. Cela va dans les deux sens : les acquis de la sociologie urbaine sont davantage pris en compte par les autres champs de la sociologie et les sciences humaines et sociales, et la sociologie urbaine s'appuie également sur les connaissances d'autres disciplines. Par exemple, les travaux sur la stratification sociale mobilisent des approches de la sociologie urbaine pour savoir comment l’espace intervient dans le devenir des classes moyennes, leur déclin, leur recomposition. L'ouvrage « La France des petits moyens » (2008), qui est une analyse sociologique d'une fraction des classes moyennes des banlieues parisiennes, analyse ainsi ces « petits moyens » à travers leur mode d'inscription dans les espaces pavillonnaires périphériques. On peut citer aussi les travaux de François de Singly, dans le champ de la sociologie de la famille, qui prennent de plus en plus en compte l'importance de l'espace du logement dans les recompositions familiales, les phénomènes de mobilité, de circulation des enfants entre les différents foyers, etc. Au-delà de la sociologie, la sociologie urbaine a également des articulations avec l'histoire, la géographie...

 

Cette interdisciplinarité va-t-elle s'accentuer encore dans les années à venir ?

Il s'agit presque d'une injonction à l'heure actuelle, or c'est très compliqué. Mais bien avant cette injonction « institutionnelle », lorsque des raisons scientifiques le justifiaient, des expériences de travail interdisciplinaire ont existé et ont très bien « fonctionné ». Par exemple, en 1977, un programme lancé par le CNRS réunissait sociologues, géographes, démographes, historiens, etc. afin d'observer le changement social sur une soixantaine de localités en France.
Aujourd'hui, l'interdisciplinarité devient une norme, mais pensée institutionnellement. Il « faut » allier le plus grand nombre de disciplines, et s'il s'agit de sciences humaines et sociales et de sciences « dures », c'est encore mieux, etc. Mais en pratique, ce n'est pas simple et cela exige du temps. Nous n'avons pas le même langage par exemple.

 

Envisagez-vous d'autres évolutions pour la sociologie urbaine ?

La recherche en sociologie urbaine en France est assez liée aux financements publics. Elle est donc en partie orientée par les enjeux des acteurs publics. Parmi ces enjeux, on peut citer actuellement le développement durable en général, les éco-quartiers en particulier, le lien social en ville, les mobilités, la question du logement... Toutes ces questions seront vraisemblablement à l'agenda pour encore quelques années. Mais les sociologues arrivent toujours à se décaler un peu de ces demandes...
Sur le plan méthodologique, le recours à d'autres outils, comme le film et la photographie, a tendance à s'amplifier. L'usage de la photographie dans les recherches urbaines va d'ailleurs faire l'objet d'un colloque à Paris en décembre 2011 (http://photographierlaville.hypotheses.org/).

 

Voyez-vous d'autres singularités françaises ?

Quand on s'intéresse à la structuration du champ, la sociologie urbaine française est très singulière par rapport à la sociologie urbaine nord-américaine. Tout d'abord, la sociologie urbaine s'est développée en France bien plus tard, dans les années 1950. Ensuite, on observe depuis ses débuts l'importance forte de l'État français en tant que pilote des politiques urbaines et financeur de le recherche. La sociologie urbaine américaine s'est développée bien avant : l'école de Chicago s'est fait connaitre dès les années 1915-1920. Elle n'est pas du tout liée aux politiques étatiques mais plus aux questions de travail social. Elle est financée directement par les universités et/ou des organismes sociaux. Son approche est aussi plus empirique, plus ethnographique.
Aujourd'hui, il y a beaucoup de circulation d'idées et de concepts. De nombreux phénomènes urbains sont observables dans différents pays et, même s'ils n'en prennent pas exactement les mêmes formes, leurs logiques sont proches. Par exemple, la gentrification s'observe à Paris et à Lyon, mais aussi à New-York, San Francisco et Los Angeles. Après, il y a bien sûr des singularités liées au contexte socio-historique.

 

Pouvez-vous  nous donner un exemple d'étude internationale ?

Je travaille actuellement en collaboration avec deux collègues parisiens, Sonia Lehman-Frisch et Frédéric Dufaux, sur trois terrains distincts : Paris, Londres et San Francisco. L'étude vise à analyser les rapports de cohabitation entre des familles des classes moyennes et supérieures et des familles populaires dans des quartiers « gentrifiés ». Notre approche se concentre sur les enfants : comment interviennent-ils dans les rapports de cohabitation en-dehors de l'école ? Comment influencent-ils  les relations de leurs parents, et inversement ? Comment pratiquent-ils le quartier ? Comment cohabitent-ils avec les autres enfants ? Pour répondre à ces questions, nous demandons aux enfants de dessiner leurs quartiers, ils discutent ensuite collectivement de leurs dessins, puis nous les interrogeons dans le cadre d'entretiens sur leurs usages, leurs pratiques, leurs relations et nous les faisons réagir également à des photos de leur quartier. Nous conduisons aussi des entretiens avec leurs parents. Sur Paris, nous avons approché des enfants de CM1 et CM2, d'une école privée et d'une école publique du quartier des Batignolles ; à Londres, des enfants du quartier de Stoke Newington et à San Francisco des enfants du quartier de Noe Valley.

 

Percevez-vous une demande médiatique croissante vis-à-vis de la sociologie urbaine ?

La demande médiatique est très nette en effet. Elle est liée soit à un sujet d'actualité très précis (par exemple, suite à des émeutes urbaines, au moment de la fête des voisins, etc.), soit à des travaux de recherche dont l'intérêt dépasse largement le public de la sociologie urbaine (comme cela a été le cas lors de la parution de notre ouvrage «?Sociologie de Lyon?» en 2010).

 

Considérez-vous que cela fait partie de votre métier de sociologue ?

Oui mais sous certaines conditions. Le sociologue est tout à fait à même de s'exprimer sur un sujet qu'il a étudié, mais s'il s'agit de réagir à chaud à un événement, sans avoir travaillé spécifiquement sur le sujet, cela me parait plus litigieux. C'est pour ces raisons que j'ai refusé de m'exprimer suite aux émeutes urbaines de l'automne 2010. En outre, le discours sociologique peut difficilement se résumer en 40 secondes, comme on nous le demande parfois pour « coller » au format médiatique.

 

Percevez-vous une demande de la part des acteurs économiques ?

Dans le champ de la sociologie urbaine, les acteurs économiques le font indirectement par l'intermédiaire de leurs fondations, comme l'observatoire Véolia des modes de vie urbains. Il y a sans doute beaucoup plus de liens avec d'autres champs de la sociologie, comme la sociologie du travail, par exemple par l’intermédiaire de bourses Cifre (conventions industrielles de formation par la recherche) pour des travaux de doctorat.

 

Qu'en est-il de la demande sociale et politique ?

La sociologie urbaine reçoit beaucoup de demandes émanant d'organismes sociaux et de collectivités territoriales pour des interventions très précises et ponctuelles ou pour des collaborations plus durables. Cela a été le cas avec la Région Rhône-Alpes dans le cadre des clusters 2007-2010. Ceux-ci avaient notamment pour objectif de faire dialoguer le monde de la recherche et le monde politique local. Avec le Grand Lyon, j'ai également travaillé pendant plusieurs années avec le bureau de l'Espace des temps de la Direction de la prospective en tant que membre du comité scientifique et aussi dans le cadre d'une étude, réalisée avec Isabelle Mallon, sur les usages du temps libre des habitants du Grand Lyon.

 

Avec le recul, quel bilan dressez-vous de vos collaborations avec les collectivités locales ?

Ma collaboration avec l'Espace des temps a été une très bonne expérience. En tant que membre du comité scientifique, j'ai participé régulièrement à des réunions pendant 3-4 ans. Elles ont permis de nombreux échanges entre le savoir universitaire et le savoir des collectivités, davantage pratique. Et j’ai donc réalisé avec Isabelle Mallon cette recherche sur les usages du temps libre des habitants du Grand Lyon, qui avait aussi un aspect pédagogique, puisque cette recherche a mobilisé une soixantaine d'étudiants pour le travail de terrain. Les étudiants étaient d'ailleurs très satisfaits d'assurer ces enquêtes à la manière de sociologues professionnels. Je regrette par contre que, pour des raisons qui dépassent le cadre de la collaboration, les résultats n'aient pu être publiés.
De surcroît, les temporalités des uns ne sont pas forcément celles des autres, cela peut être aussi une difficulté. La question du budget en est une autre : on peut rarement lancer des études de grande ampleur pour des raisons budgétaires. Actuellement, les ARC (Communautés de Recherche Académique) prenant la suite des clusters, rendent possibles les séminaires de recherche, les journées de rencontres, etc. mais il est beaucoup plus compliqué d’engager dans ces cadres de véritables opérations de recherche.

 

Outre les questions de temporalité et de budget, voyez-vous d'autres freins aux collaborations avec les collectivités locales ?

Oui et cela peut paraître paradoxal : la demande des collectivités est forte, mais la méconnaissance de travaux déjà réalisés et le manque d'appropriation sont bien réelles. Localement, une masse de travaux de recherche est produite, mais elle est sous-exploitée par les collectivités. Il faut trouver des personnes capables d'assurer ces passerelles entre le monde de la recherche et celui des collectivités et de faciliter l'appropriation des résultats de recherche. Les sociologues, comme les professionnels des collectivités, manquent de temps pour le faire... Dans le cadre du Grand Emprunt, l'obtention récente de la labellisation d'excellence « Intelligence des Mondes Urbains » pour l'ensemble de la recherche urbaine du PRES de Lyon-Saint Etienne  pourra peut-être contribuer à réunir et archiver les résultats de la recherche urbaine régionale.
Je pense aussi à la question des données publiques. Les collectivités disposent d'un grand nombre de données qui pourraient être très utiles aux sociologues. Il est à l'heure actuelle très difficile de les obtenir. Par exemple, pour le sujet des parcours résidentiels qui m'intéresse particulièrement, j'ai cherché à obtenir -sans succès- les données concernant des familles de la Duchère relogées dans le 6ème arrondissement, et qui ont choisi de retourner à la Duchère. Ce fait là est pourtant très intéressant en termes de choix résidentiels, d'analyse de politiques de relogement, de formes de socialisation, etc. Ceci n'est qu'un exemple, les étudiants se heurtent régulièrement à ces difficultés lors de leurs stages de master.

 

Pensez-vous qu'un service comme la Direction de la prospective du Grand Lyon, qui travaille depuis plusieurs années avec un réseau de veille, puisse jouer ce rôle de médiateur entre les mondes de la recherche et des collectivités ?

Peut-être, mais je ne peux pas répondre pour ce service !

 

Comment la sociologie urbaine approche-t-elle les notions d'usage et de comportement ?

Les usages représentent des objets d'étude très ordinaires, très courants, pour la sociologie urbaine. Nous prenons en compte les usages à différentes échelles : usages (ou pratiques) du logement, des espaces publics, du quartier, etc. 
La notion de comportement est moins familière aux sociologues urbains, me semble-t-il. Les termes « habitude » ou « pratique » sont davantage utilisés. Le terme « comportement » se retrouve en revanche dans d'autres champs de la sociologie, comme la sociologie de la consommation. Mais pour moi, il a une connotation davantage psychologique que sociologique.

 

La sociologie urbaine peut-elle décoder/modifier l'acceptabilité sociale ? Si oui, de quelle manière?

Si vous posez la question de l'acceptabilité à un sociologue urbain, il vous demandera automatiquement « pour qui ? ». Cela sonne plus  ?«?marketing?» que «?sociologie?». Nous raisonnons davantage en termes d'accessibilité, de cohabitation ou encore d'appropriation.

 

Quelles sont les principales thématiques de recherche du Centre Max Weber, créé au 1er janvier 2011, suite à la fusion du laboratoire Modys (Mondes et Dynamiques des Sociétés) et du laboratoire GRS (Groupe de Recherche sur la Socialisation) ?

Le Centre Max Weber se compose de six équipes de recherche, dont l'équipe MEPS « Modes, espaces et processus de socialisation » à laquelle j'appartiens et qui est installée à Lyon 2 (Campus de Bron). Cette équipe travaille dans la continuité directe des activités de recherche du GRS centrées sur la problématique de la socialisation, et notamment sur des objets de recherche à l’articulation de la sociologie urbaine et de la sociologie de la socialisation. Une autre équipe, issue du GRS également, dirigée par Bernard Lahire à l'ENS, travaille sur les questions de culture, disposition, pouvoir, etc.. Les autres équipes, issues du Modys, abordent les questions du travail, de la famille, etc. Le Centre Max Weber rassemble au total une dizaine de chercheurs du CNRS, un peu plus de 60 enseignants-chercheurs des Universités de Lyon et de Saint-Etienne, ainsi que de l'ENS de Lyon, environ 120 doctorants et une douzaine d'ingénieurs et de personnels d'administration.
L'équipe Meps travaille par exemple sur les processus de gentrification urbaine. Outre la recherche que j’évoquais tout à l’heure, deux thèses ont été soutenues récemment : l'une abordait la question de la gentrification à travers l’analyse du rôle et de la place des populations gays, l'autre à travers une comparaison des « gentrifieurs » d’hier (des années 1970) et d’aujourd’hui (à partir du quartier des pentes de la Croix-Rousse à Lyon et du quartier du Bas-Montreuil à proximité de Paris)..
D’autres collègues travaillent sur les démolitions et les rénovations urbaines. Sylvia Faure travaille sur Saint-Etienne, un doctorant sur le quartier des Minguettes (Vénissieux). Vous trouverez aussi des études sur la Duchère, Mermoz, etc.
Le péri-urbain est également un sujet de recherche. Josette Debroux travaille notamment sur les mobilités « à contre-sens », c'est-à-dire les citadins qui vont s'installer en zones péri-urbaines.
Isabelle Mallon mène une recherche sur le phénomène du vieillissement en milieu rural. D’autres collègues ou les mêmes, je ne pourrai pas tous les citer ici, travaillent sur les choix résidentiels (comment les gens choisissent leur habitation, leur quartier, leur ville ?), sur les milieux populaires (Daniel Thin s'intéresse par exemple à l'articulation entre l'école et le quartier), sur les agents immobiliers, sur les mémoires urbaines...
Comme vous le voyez, le spectre est très large et beaucoup de ces études touchent des territoires du Grand Lyon.

 

Quelles types de collaborations sont envisageables avec les collectivités locales ?

Je dirais que cela dépend beaucoup du temps que les chercheurs peuvent avoir. Même des sollicitations pour des études très ponctuelles, et elles sont nombreuses, sont parfois difficiles à organiser. Nous sommes bien occupés par nos obligations de recherche et/ou d'enseignements, d'encadrement, de tâches administratives... Nous devons avant tout produire des résultats de recherche.
S'il s'agit d'une intervention ponctuelle, la présentation de résultats de recherche par exemple, cela se fait très couramment. Mais construire de réels partenariats exige plus d'organisation, de temps et d'argent. Cela fait pourtant partie de la reconfiguration des financements de la recherche : les financements ANR incitent beaucoup à développer des partenariats avec des acteurs économiques ou des collectivités.

 

Comment votre équipe aborde-t-elle par exemple le champ de la mobilité ?

Dans le champ de la mobilité, on peut distinguer différents domaines. La mobilité résidentielle correspond au changement de logement, de quartier. Nous avons abordé les raisons et les contraintes (économiques, sociales, contextuelles) qui influencent ou pèsent sur les choix résidentiels des individus et des ménages (voir l'ouvrage « Elire domicile. La construction sociale des choix résidentiels », 2010).
Les mobilités quotidiennes prennent en compte toutes les mobilités dans la ville. Nous avons étudié, avec Yves Grafmeyer, Jean-Pierre Lévy, Claire Lévy-Vroelant et Bernard Benssoussan, certains aspects de ces mobilités urbaines dans notre ouvrage « Du domicile à la ville » (2001). Nous sommes aussi (avec Sonia Lehman Frisch et Frédéric Dufaux) en train de réaliser une étude auprès d'enfants pour comprendre ce qui se joue dans les déplacements entre l'école et le domicile : comment le trajet se passe, qu'est-ce qui s'y passe, comment ce trajet construit son rapport avec le quartier, etc.
Au côté de ces mobilités, il y a aussi les mobilités liées aux voyages, aux vacances, etc. Enfin, les migrations représentent encore une autre dimension : les migrations de travailleurs, les migrations inter-régionales, etc. Mais il ne faut pas oublier les nouvelles formes de mobilité qui se développent actuellement : les mobilités pendulaires, qui concernent les personnes qui se déplacent loin, quotidiennement pour leur travail, les bi-résidents et les « over-nighters » (c'est-à-dire des personnes passant plus de 60 nuits par an en-dehors de chez eux pour des raisons professionnelles). Je suis justement en train de rédiger la préface d'un ouvrage à paraître sur le sujet. Un aspect peu étudié m'intéresse en particulier : ce qui se construit socialement dans la 2e résidence, les répercussions de cette vie sociale dans cet autre résidence sur les pratiques et sociabilités dans l'espace quotidien et, aussi, ce qui se joue dans l'espace de déplacement... Il semblerait que ces grands déplacements s'accompagnent de petites mobilités au sens social du terme : il y aurait peu de changement social en termes de rôle, de statut, de pratiques, etc. mais cela reste à étudier.

 

Pourriez-vous nous donner un exemple d'une étude dans le champ de la mobilité ?

Dans le prolongement de l'étude que j'évoquais tout à l'heure, je vais débuter prochainement une nouvelle étude financée par la Ville de Paris sur le territoire de la vie urbaine et donc aussi sur la mobilité urbaine des enfants. Il s'agit d'une étude comparative entre Paris et San Francisco, impliquant des enfants vivant dans des quartiers bourgeois et des quartiers populaires, donc dans des contextes familiaux et urbains différents. L'idée est aussi de voir comment se reconfigure au cours du temps le territoire de la vie urbaine des enfants lorsqu'ils grandissent. Nous envisageons donc de suivre les mêmes enfants, rencontrés lorsqu'ils étaient en CM1, CM2, jusqu'au collège.

 

Comment votre équipe pourrait-elle aborder le champ de l'espace public et de ses usages ?

Ce thème est très classique pour la sociologie urbaine comme je vous le disais. Dans l'étude sur les enfants des quartiers gentrifiés de Paris, Londres et San Francisco, que j’ai évoqué, nous avons traité cette question par l'intermédiaire des parcs fréquentés ou non par les enfants, et des usages qui y sont développés. Par exemple, le parc qui jouxte à la fois le quartier des Batignolles et le quartier des Epinettes, plus populaire (Paris, 17ème) est fréquenté davantage par les enfants des Epinettes. Les parents jouent un rôle important sur ce qui se joue dans ce parc. Nous avons prévu d'approfondir les modes d'appropriation des parcs avec l'étude des enfants des quartiers bourgeois et populaires de Paris et de San Francisco qui débute prochainement.
L'espace public intéresse aussi beaucoup les étudiants. Lorsqu'on leur demande les sujets sur lesquels ils aimeraient travailler, ils sont très nombreux à citer l'espace public, ses différents usages (la danse Place de l'Opéra, le skate sur les berges du Rhône...) mais aussi tout ce qui concerne la « fermeture » des espaces publics (la vidéosurveillance, les aménagements conçus pour empêcher les gens de s'asseoir, etc.).