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La robotique doit se centrer sur les usages pour donner du sens aux robots de demain

Interview de Fabien SOLER

Directeur du Cluster EDIT

<< Nous trouverons un écho plus ou moins favorable des acteurs du territoire selon la définition que nous donnerons de la robotique de service >>.

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Date : 12/01/2011

Interview réalisée par Geoffroy Bing (Nova7) le 12 janvier 2011

Créé en 2008, le Cluster Edit représente le secteur de l’édition logiciel en Rhône-Alpes, et compte 170 entreprises d’édition de logiciels professionnels, ainsi que des consultants, sociétés de service informatiques, laboratoires et écoles, soit l’équivalent de 5 500 emplois (la région Rhône-Alpes regroupe à elle seule un cinquième des éditeurs de logiciels français). Il organise des conférences et des séminaires de formation, accompagne l’innovation (accès aux programmes de financement de R&D) et soutient le développement international de ses entreprises. La question de savoir si la robotique de service représente une opportunité pour la filière de l’édition de logiciel a été posée à Fabien Soler, directeur du cluster. Soulignant un périmètre de marché encore peu lisible et les revirements stratégiques qu’il suppose au sein des entreprises du secteur de l’édition, Fabien Soler défend l’idée d’une politique de développement de la robotique centrée sur les usages et seule capable de donner du sens aux robots de demain.

 

Pouvez-vous nous décrire le paysage de l’industrie du logiciel à l’échelle régionale ?

L’édition de logiciels en Rhône-Alpes, c’est 50% sur le Grand Lyon, 25% sur Grenoble, 10% sur Annecy et 10% sur Saint-Etienne. La compétence dans le domaine de l’édition du logiciel industriel se situe plutôt sur Annecy et Saint-Etienne, l’informatique de gestion (gestion de documents et comptable par exemple) est située sur le Grand Lyon, et Grenoble se positionne en premier lieu sur l’informatique scientifique et technique (simulation, modélisation).

 

Comment l’industrie du logiciel appréhende-t-elle le secteur de la robotique aujourd’hui ?

L’industrie de l’édition de logiciels du cluster dessert avant tout la robotique industrielle car le marché est là aujourd’hui. On voit que l’industrie de la plasturgie, de l’automobile ou de la mécanique ont de plus en plus recours à de la robotique. L’industrie du logiciel va s’occuper du volet programmation de ces outils industriels. C’est ensuite, mais plus marginalement, dans le secteur de la domotique (sur les questions de gestion d’énergie dans les bâtiments) que l’industrie du logiciel trouve des débouchés.
 

La robotique industrielle présente-t-elle de fortes perspectives de croissance pour l’édition du logiciel ?

Il y a encore des réserves de croissance en effet. On voit bien que l’on cherche de plus en plus à faire communiquer des outils de gestion avec des outils de production dans l’industrie. Des entreprises comme Courbon (Automatisme et Ingénierie des Process industriels) ont une division édition de logiciel de 50 personnes qui travaille sur des outils de liaison avec les Enterprise resource planning (ERP). Dans la robotique de service, il faut également penser à la robotique de service aux entreprises. Je pense en particulier au secteur du nucléaire qui s’intéresse de près aux robots. Cette robotique est peut-être plus proche du marché du logiciel professionnel que ne l’est la robotique ludique ou de services à la personne.

 

Le développement de la robotique de service aux particuliers peut-il être considéré comme opportun pour les entreprises travaillant dans le secteur de l’édition de logiciel ?

Du point de vue d’un entrepreneur du secteur, il faut bien avoir en tête le risque qu’il y a derrière. Sachez que 80% des entreprises du logiciel en Rhône-Alpes ont moins de 10 salariés. Les remaniements stratégiques sont des décisions très lourdes pour ces entreprises. Cela suppose d’une part de ces entreprises qu’elles rentrent dans un modèle B to C alors qu’elles étaient dans un monde de B to B, de professionnels. D’autre part, cela suppose qu’elles soient convaincues de l’existence d’un marché leur garantissant la viabilité d’un nouveau modèle économique. Enfin, la question que l’on peut se poser est de savoir si la programmation de logiciels de gestion d’entreprise relève du même savoir-faire que la programmation de robots de service. Si tel n’est pas le cas, il y aura un grand besoin de formation de ces acteurs pour assurer leur conversion.

 

Quelle représentation vous faîtes-vous de la robotique de service ?

Je pense précisément que le concept n’est pas clair et que chacun voit un peu midi à sa porte dans ce domaine. Est-ce que la domotique fait partie de la robotique de service par exemple ? A partir de quel moment quitte-t-on l’appareillage intelligent pour entrer dans la robotique ? Je pense qu’il y a besoin de circonscrire communément ce que l’on entend par robotique de service car la définition que l’on donnera trouvera un écho plus ou moins favorable auprès des entreprises du territoire. S’il s’agit de développer des applications web qui permettent de faire du robot un support d’information par wifi par exemple, je pense que les savoir-faire au plan local sont déjà constitués. Par contre, s’il s’agit d’aller vers un degré plus élaboré de la robotique comme on entend parler de robot d’assistance par exemple, la couche informatique et logiciel est autrement plus complexe et les acteurs ne seront pas forcément les mêmes.

 

Qu’est ce qui pourrait permettre de circonscrire le type de robots et d’applications que l’on pourrait concevoir dans la région ?

Etant données les incertitudes autour des applications et des services rendus par la robotique, je pense que l’enjeu se pose en terme de problématique d’usage : quels sont les services que les usagers sont prêts à accepter de la part d’un robot et sous quelles formes ? Il faut placer les usages au centre de la conception et de la validation des concepts de robots sans quoi, nous aurons certainement de très beaux robots mais qui ne servent à rien ! La couche « logiciel » du robot se constituera en fonction de ce qu’en attendront les usagers et non l’inverse. C’est la raison pour laquelle je défends le modèle des living labs. Nous sommes peut-être trop dans une approche techno-centrée en ce qui concerne les robots, or ce sont les usages qui nous guideront sur les services robotique de demain. C’est une position que nous partageons avec la Cité du  Design de Saint Etienne avec laquelle nous travaillons (Action design et logiciel).

 

Comment se pose la question des normes et des standards des systèmes d’exploitation qui habiteront les robots de demain ?

Elle se pose en premier lieu en terme d’interopérabilité, c’est-à-dire la capacité des robots, dans les langages et la programmation, à interagir entre eux, bien que les logiciels n’aient pas été fabriqués par la même entreprise. Sur la robotique, on pourrait imaginer que le robot aspirateur discute avec le robot tondeuse ou des appareils de domotique par exemple. Est-ce que dès le départ, il ne serait pas pertinent de réfléchir à une norme d’interopérabilité entre les différents systèmes, sachant que le premier qui réussira à imposer sa norme sur le marché s’attribuera un avantage concurrentiel substantiel. C’est cet enjeu qui déterminera l’ouverture du marché : plus les robots seront interopérables, plus les portes seront ouvertes à d’autres robots, donc d’autres entreprises. On voit bien aujourd’hui qu’androïd, le système d’exploitation open source des terminaux mobiles, connait un essor remarquable.

 

Comment accueillez-vous la volonté de faire émerger la robotique de service dans la région ?

Je pense que c’est une très bonne idée mais qu’il faut bien réfléchir aux types de robots auxquels on s’attache. Par ailleurs, les entreprises ont besoin de signaux forts dont la collectivité pourraient être l’émettrice à travers des appels à projet et du financement, pour rassurer les acteurs du marché, pour assumer sa part du risque dans un projet de territoire. Enfin, il faut que le territoire ait la capacité de dire aux entreprises de robotiques étrangères qui veulent s’implanter chez nous que l’on a toutes les compétences requises pour la conception et la fabrication de robots dans un périmètre de proximité. Il ne s’agit pas uniquement de leur conférer la proximité d’un marché, mais bien de mettre à leur disposition un environnement d’innovation et de production de la robotique.