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La modernisation de l’organisation communautaire du Grand Lyon à partir de 2004

Interview de Benoit QUIGNON

Directeur général des services du Grand Lyon

<< Le nouveau cadre de l’administration publique, ce n’est pas seulement mettre en œuvre les compétences qui nous sont confiées. Au Grand Lyon, nous sommes là pour formaliser puis porter l’ambition d’un territoire >>.

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Date : 16/01/2009

Entretien avec Benoît Quignon
Benoît Quignon a été directeur général des services du Grand Lyon, de juillet 2001 à janvier 2009. L’entretien est centré sur CHRYSALIS, chantier de modernisation de l’organisation communautaire qui a radicalement transformé le fonctionnement du Grand Lyon, à partir de 2004.
Propos recueillis par Cédric Polère, le 16 janvier 2009
Préambule : pour une histoire du Grand Lyon...
Après avoir créé une communauté de moyens il y a 40 ans de cela, sous l’impulsion de l’Etat, le Grand Lyon constitue aujourd’hui une communauté de projets autonome, reconnue pour son efficacité dans la gestion d’un territoire qui regroupe 57 communes et plus de 1,3 millions d'habitants. Cette collectivité reste en devenir et l’enjeu est désormais de constituer une véritable communauté de destin, inscrite dans le grand bassin de vie de l'agglomération qui regroupe plus de 2 millions d'habitants. La Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon a engagé un travail de fond visant à écrire une première histoire de l’institution. Cette interview constitue l’un des éléments de cette histoire, mémoire encore vivante de l’agglomération.

En prenant votre poste de directeur général des services, aviez-vous une mission claire confiée par le nouveau président du Grand Lyon, Gérard Collomb ?

Lorsqu’il est élu président du Grand Lyon en 2001, Gérard Collomb a une idée relativement précise de ce qu’il veut faire. Il souhaite donner une impulsion au développement de l’agglomération à travers de grandes opérations d’aménagement, et le développement économique. Sa demande est de l’aider à structurer ce projet en élaborant d’une part des documents politiques (plan de mandat…), et d’autre part de mobiliser l’administration communautaire. A vrai dire, je n’avais pas tout à fait perçu la difficulté de ces deux demandes. Comment construire une majorité autour de Gérard Collomb ? Je pensais que c’était fait ! Certes une majorité s’était constituée le jour de son élection, mais elle restait largement à construire. Quant à la mobilisation de l’administration communautaire, je pensais à une phrase de convenance. J’ai découvert que c’était tout, sauf évident.

Durant le mandat de Raymond Barre, un projet de réorganisation des services mené dans le cadre de la « démarche de progrès » s’était traduit par un management dur, mal vécu par l’encadrement. Du coup, était-il facile de mobiliser cet encadrement ?

J’ai découvert, horrifié, mais sans mesurer tout de suite sa dimension, des équipes très meurtries par les années passées. Après un âge d’or sous l’égide de Pierre Ducret, où l’on a confié des responsabilités à l’encadrement de la maison, fait appel à ses capacités d’innovation, a succédé une période où l’on a refermé brutalement le couvercle, coupant des têtes au passage. Ignorant cette histoire, j’ai demandé « naïvement » aux cadres de se mobiliser autour d’un nouveau projet, et n’ai pas immédiatement compris ce qui se passait, pourquoi tant de personne semblaient gênées. Lors de la présentation en septembre 2002 du « Projet pour l’administration communautaire », des cadres viennent me voir, et me disent : « ce que vous proposez semble aller dans le bon sens, mais on n’en sera pas, parce qu’on a donné, on s’est exposé, on s’est fait taper dessus, et on ne joue plus ». J’ai été à ce point frappé, choqué par ce qu’ils m’ont dit, que cela a marqué tout mon parcours. J’en frissonne encore rien que d’y penser !

En quels sens cela a-t-il marqué vos choix ?

J’ai pris conscience de la nécessité de prêter une attention particulière à ce que vivent les collaborateurs au tréfonds d’eux mêmes, car si on veut que le Grand Lyon réussisse, il faut s’y impliquer, se sentir à l’aise, partager une vision commune, et prêter une véritable attention à ce que chaque collaborateur puisse s’y retrouver, prendre sa place, être encouragé, soutenu dans la prise de risque.

Le Projet pour l’administration communautaire était-il un moyen, déjà, de mobiliser le personnel autour d’objectifs ?

Il a été pour moi un moyen de donner un peu de sens à la démarche d’ARTT. Il était important de mettre en avant des principes d’action au sein de cette maison, en particulier ceux de responsabilité, de loyauté, de solidarité, de prise de risque, de droit à l’erreur. J’avais insisté sur ce dernier point, car je voulais donner un signe à l’encadrement, dire que nous voulions à la fois lui donner plus de responsabilités, et à la fois lui redonner un droit à l’erreur, pour l’encourager à reprendre des initiatives. Sans ce droit à l’erreur, on n’innove pas.

Les cadres se disent souvent débordés, font de très grosses journées… N’est-ce pas une des conséquences de l’ARTT ?

Ce qui a mis la pression, c’est surtout l’attente extrêmement forte des élus, et en particulier du président Collomb, de réaliser des objectifs, opérations d’aménagement, d’espaces publics, de voirie, de bâtiments… Cette pression pour obtenir des résultats était le fondement et le ciment de la majorité du président, et supposait que les engagements pris auprès des maires puissent se réaliser. Or, sur les étagères, on trouvait l’équivalent de 100 à 150 millions d’euros de dossiers d’investissement prêts à partir, alors que pour réaliser le plan de mandat, il en aurait fallu 300 par an. La pression était accentuée par les contraintes juridiques nouvelles qui pèsent sur les collectivités territoriales, la passation des marchés publics en premier lieu, et des contraintes politiques liées aux démarches de concertation. Bref, on charge l’administration de sacs de pierres de 50 à 100kg et on lui dit d’aller encore plus vite ! Ces très fortes tensions se sont traduites par des mouvements sociaux, je pense notamment à celui, particulièrement symbolique, de décembre 2003, où les « administratifs » ont posé le crayon à quelques semaines du vote du budget. C’est un autre événement fondateur de l’aventure managériale que nous avons vécue.

Quelle est votre approche du management public dans un établissement aussi considérable que le Grand Lyon ?

La première étape consiste à construire une vision, un projet d’établissement, qui indique d’où on vient et où l’on va, quels sont nos atouts, nos valeurs, et le faire partager au plus grand nombre. Pour forger cette vision, la démarche prospective Millénaire 3 était intéressante, car elle mettait le Grand Lyon dans une posture totalement nouvelle, où l’on oubliait les compétences juridiques et administratives, pour parler des vrais sujets sociétaux, et leur donner corps : c’était révolutionnaire au sens presque étymologique du terme, dans la manière d’envisager le rôle d’une entité publique locale comme le Grand Lyon.

Quelle est la seconde étape ?

Il faut ensuite décliner cette vision en orientations stratégiques, puis en plans d’action, et associer progressivement à la production des objectifs, des stratégies et leur révision, ceux qui les mettront en œuvre. Tout ceci repose sur l’implication, et donc l’autonomie donnée aux collaborateurs du Grand Lyon, et en même temps sur une exigence qui n’est plus posée en termes de moyens, mais en termes de résultats. Ce que j’attends de mes collaborateurs, c’est qu’ils s’impliquent vraiment sur les objectifs ; mais je serais d’autant plus exigeant que j’aurais reconnu leur place dans l’élaboration des objectifs voire de la stratégie du Grand Lyon.

C’est ce que dit la volonté affichée de passer d’une administration de moyens à une administration d’objectifs ?

C’est un des éléments. Le nouveau cadre de l’administration publique, ce n’est pas seulement mettre en œuvre les compétences qui nous sont confiées. Au Grand Lyon, nous sommes là pour formaliser puis porter l’ambition d’un territoire, l’accompagner, et en réaliser concrètement un certain nombre d’aspects : une ville attractive suppose, entre autres, qu’elle soit agréable, propre, que les habitants puissent se déplacer de manière sûre, etc. Cela déborde les compétences pour toucher le sens de l’action communautaire. Notre ambition est de permettre aux gens d’habiter dans le Grand Lyon, de faire en sorte qu’ils puissent se loger quels que soient leurs revenus, qu’ils ne soient pas stigmatisés selon leur lieu d’habitation… Cela passe ensuite par des moyens, la construction de logements en premier lieu. Il ne faut pas confondre ces moyens avec notre objectif.
L’action du Grand Lyon consiste aussi à mobiliser des partenaires, délégataires de services publics, prestataires, ou sous une forme différente les chambres consulaires, les chefs d’entreprises…, pour ensemble créer de la richesse.
C’est une transformation profonde de l’action communautaire : se perfectionner et évoluer sur nos métiers de base, mais en leur donnant un sens un peu différent.

Vous ne parlez plus des compétences du Grand Lyon, mais vous considérez l’objectif final de ces compétences pour leurs bénéficiaires, non pas la compétence économique, mais la création de richesses comme vous le dites… Pensez-vous que l’on suscite davantage d’adhésion en parlant ainsi ?

Bien sûr, cela parle davantage. La transformation des méthodes de travail de l’équipe de direction générale traduit bien cette évolution. En 2001, nous partagions parfois des problèmes communs, on s’informait, mais chacun restait dans ses dossiers, dans ses métiers. Progressivement, l’équipe de direction a avancé sur des sujets fédérateurs : comment construire la vision commune, mobiliser les ressources humaines autour de nos ambitions, mieux travailler ensemble, promouvoir la conduite de projet, construire une nouvelle fonction RH ?... Nous avons changé radicalement de contenu, et, au fil du temps, sous la contrainte dirais-je, modifié nos ordres du jour, qui sont le reflet des préoccupations et enjeux que l’on se donne.
J’ai aussi essayé de faire fonctionner le groupe de direction générale progressivement comme une équipe, non pas homogène, mais soudée, solidaire, puis en élargissant ce cercle aux cadres dirigeants, puis à ceux qui exercent des fonctions de management, enfin à l’ensemble des cadres et à tous les collaborateurs du Grand Lyon. Un plan d’actions, même parfait, ne sert à rien s’il n’est pas partagé. Mon idée, c’est qu’il ne faut pas attendre d’avoir un modèle parfait pour commencer, et qu’il vaut mieux avoir un plan imparfait, partiel, mais partagé par davantage de personnes, avec dès le départ des outils pour le perfectionner au fur et à mesure, avec par exemple des moments où l’on prend du recul, évalue les résultats.

Concrètement, comment fait-on ?
 
J’ai beaucoup appris de la maison, en particulier des systèmes qualité mis en place par les managers de la direction de l’Eau. Leur manière de faire est intéressante, car on part de projets en apparence modestes, mais avec une ambition fabuleuse, puisque l’on s’engage dans une démarche de progrès continus où l’on va petit à petit s’améliorer, consolider les avancées. Dès le départ, sont installés des mécanismes qui permettront d’associer le personnel à l’amélioration du dispositif. Ce sont des techniques que je connaissais de manière théorique. J’en ai véritablement découvert l’intérêt pratique pour le Grand Lyon.

Vous pensez que le Grand Lyon peut se moderniser sans toucher à son organigramme ?

L’organigramme va être un moyen d’accompagnement, car à un moment donné, quand on sait où l’on veut aller et comment le faire, il est souvent nécessaire de modifier l’organisation. De 2001 à 2008, nous l’avons sans arrêt modifié, par petites touches.

Vous avez mis en place des dispositifs d’animation depuis le haut encadrement jusqu’à l’ensemble des cadres. C’était pour faire adhérer au projet d’agglomération ?

Le premier objectif était de répondre à une demande lancinante qui nous était adressée : « on ne comprend pas ce que vous voulez ! » ; « on ne sait pas ce que les élus attendent de nous, ce qu’est le projet du Grand Lyon » ; « vous lancez des opérations, mais on ne comprend pas à quoi cela va servir ». Les réunions au départ ont été des réunions d’explication, de ce que nous voulions faire, et pourquoi nous voulions le faire. Petit à petit, nous avons permis aux cadres de véritablement s’exprimer. Au début, l’encéphalogramme était assez plat ! Grâce à l’évaluation de ces réunions, nous avons constaté la progression des indices de satisfaction, mais aussi des exigences d’expression, pour donner son avis, proposer.
Par ailleurs, la contribution des groupes de travail a donné lieu à de nouveaux outils et méthodes, ce qui nous a collectivement crédibilisés ! Chacun se rendait compte que les propositions étaient prises en compte au moins partiellement, donc que ça ne pouvait pas être que du mauvais ; et la fin on s’est dit que c’était plutôt du bon, il était donc temps que je parte ! (rires)

Peut-on dire que la démarche dite CHRYSALIS, lancée fin 2003 avec le slogan « ensemble déployons nos compétences », est un moment clé dans l’histoire du Grand Lyon ?

Ca a été un moment décisif, parce que nous avons repris la main. Fin 2003, la situation n’était pas mirobolante ! On commençait à produire, mais on ne voyait pas encore grand chose. Par ailleurs, de très fortes tensions se traduisaient par le mouvement social dont j’ai parlé, expression d’un mal être profond. On assistait à des choses qui ne s’étaient jamais vues au Grand Lyon, des mouvements sociaux réguliers aux directions de la Propreté, de l’Eau. L’équipe de direction générale encaissait les coups ; elle a pris conscience en 2003 qu’il fallait réagir de manière collective, mais ne savait pas comment s’organiser ! Elle a commencé à identifier des solutions possibles, les a proposées, mais ça ne prenait pas ! Lors d’un séminaire de crise début janvier à Saint-Galmier, elle est arrivée à se mettre d’accord sur une demi-douzaine de sujets, qui nous semblaient être les leviers pour répondre aux enjeux du moment : nous décidons de consolider la conduite de projet, de mettre en place des centres de responsabilité, de reconfigurer les processus en nous appuyant sur une « approche bénéficiaire », de passer d’un service des marchés à une fonction achat…
C’est aux antipodes d’une démarche consistant à changer les cadres de telle ou telle direction parce que cela ne va pas ! Nous identifions des sujets qui nous semblent majeurs et indispensables de traiter, parce que sinon nous ne serons pas reconnus comme légitimes au Grand Lyon, pour la simple raison que nous n’aurons pas résolu les problèmes de fond ! C’est la première clé du succès. La deuxième clé, c’est que chacun des membres de l’équipe de direction générale a pris sa part, et piloté un sujet avec un chef de projet. Le troisième clé, c’est que nous avons affiché cette ambition, trois semaines plus tard, devant l’ensemble des cadres du Grand Lyon, en prenant collectivement des engagements. On se donne un calendrier, des rendez-vous, et nous demandons aux cadres de se mobiliser sur cette base.

Vous avez parlé d’« approche bénéficiaire ». Pouvez vous l’expliquer, dire aussi ce qu’elle apporte ?

En 2003, le code des marchés publics est modifié presque tous les 6 mois ; tous les jours, les élus nous demandent où l’on en est de tel ou tel projet, et l’on répond invariablement que la procédure de l’appel d’offres va prendre du temps ; tous les jours, des tensions entre ceux qui mettent en œuvre les marchés publics, et les techniciens, chefs de projet, responsables d’opération se traduisent par des engueulades… Notre idée a été de repartir des finalités. Notre objectif n’est en effet pas de respecter le code des marchés, mais de faire en sorte que la production des objets publics puisse se faire dans les meilleures conditions de rapidité, d’adéquation entre objet à réaliser et moyens, le tout en respectant bien sûr la sécurité juridique. C’est une révolution copernicienne ! Nous partons du résultat à atteindre, et reconstituons toute la chaîne en amont. L’exemple du recrutement est parlant : fin 2003-début 2004, nous nous rendons compte que nous n’arrivons pas à réaliser les recrutements programmés parce que nous sommes organisés de manière bureaucratique. Il nous faut traiter les recrutements plus rapidement, et avoir des personnes qui correspondent mieux à ce que l’on attend d’elles. Nous décortiquons le processus (l’enchaînement des tâches) du recrutement pour que celui-ci ne soit plus perçu comme une suite d’obstacles administratifs : nous nous donnons l’objectif de réduire de 30% le délai de recrutement, de faire en sorte que la personne recrutée soit bien accueillie, que 6 mois après on s’assure que l’adéquation est bonne entre la personne et le poste, et l’on en tire les conséquences, au niveau de la personne, du recrutement ou de la définition du profil de poste.
Le management par le processus, cela paraît au départ assez intellectuel, mais en fait cela parle aux gens ; les agents au quotidien doivent se dépatouiller avec des procédures de marché, avec les recrutements. En reprenant les choses avec méthode, nous avons restauré la confiance et nous  nous sommes donnés de la respiration : si on a réussi sur le recrutement (en 6 mois), si on a réussi sur les achats (au bout d’un an), on doit aussi réussir sur d’autres sujets. Il nous a fallu des « victoires rapides », montrer sur quelques exemples que cela pouvait marcher.

Vous avez aussi mentionné la volonté de passer d’un service des marchés à une fonction achat. Quel est le changement ?

Nous sommes passés de l’application du code des marchés, à la réussite de l’achat. Cela nous ouvre des perspectives, nous sécurise, nous tranquillise, et nous apprend à collaborer entre services, alors qu’il y avait une dichotomie très forte entre les opérationnels, demi-dieux, et les administratifs, moins bien considérés, moins bien payés, et  vilipendés tous les jours.

D’où viennent toutes ces nouvelles méthodes ?

Nous avions quelques idées de méthodes, et en avons cherché ailleurs, dans les entreprises publiques comme la RATP, dont les dirigeants sont venus expliquer à notre équipe de direction comment ils ont repensé leur organisation. Il fallait ensuite adapter ces outils, presque les créer pour le Grand Lyon, avec des chefs de projet courageux, soutenus par la direction générale des services.
Mais ce travail de fond auquel je crois profondément n’est pas vendeur vis-à-vis des élus ; ce n’est pas le problème du président, des vice présidents, des maires. Gérard Collomb voyait cette grande transformation des modes de faire avec un peu d’inquiétude, et pensait que c’est bien compliqué ! Les agents aussi se demandaient si ce n’était pas une usine à gaz. Alors que tout le monde attendait des modifications d’organigramme et de personnes, je devais sans cesse rappeler que cela ne servirait à rien sans modification de nos manières de travailler ; aujourd’hui, cela semble évident.

La direction générale est à l’origine de la charte de l’encadrement. A quoi répond-elle ? Un « catalogue » de valeurs peut-il influer sur des pratiques concrètes ?

Quand, dans le cadre de CHRYSALIS, nous avons interrogé les agents, nous avons constaté, scotchés, leur difficulté à se situer : « suivant qu’on s’adresse à tel ou tel patron, nous ont-ils dit, on sait que leur mode de comportements, leurs priorités, leurs réactions ne sont pas les mêmes » ; « Untel me confie de vraies responsabilités, mais son collègue ne me laisse aucune autonomie, et j’ai ces deux personnes en face de moi lors des réunions, comment voulez-vous que je m’y retrouve ? ». De là est née la charte de l’encadrement, qui a été une réflexion sur les comportements, postures, valeurs les plus partagés possible, à faire prévaloir pour que l’on puisse travailler ensemble.
La charte promeut des attitudes qui deviennent des références : il faut savoir exprimer des choses de la manière la plus transparente possible, dire clairement à nos collaborateurs ce qu’on attend d’eux, avoir le courage de le dire quand cela va bien et quand cela va mal aussi, être respectueux, être solidaire : on peut être en débat voire en opposition dans un service, mais dans un comité de pilotage, on doit rester hyper solidaire. Par contre la responsabilité du management, c’est d’organiser le dialogue, et d’avoir le courage de trancher, car sinon les situations d’opposition sont intenables. Ces valeurs sont sorties d’une enquête qui a fait remonter les attentes des collaborateurs du Grand Lyon ; puis cela a été formalisé et suivi par l’équipe de direction générale. On a aussi essayé de décrire les postures à partir de situations concrètes.

Ces valeurs concernent-elles seulement l’encadrement ?

Au départ, c’était destiné à l’encadrement, mais des chefs de services ont souhaité travailler à partir de ces valeurs pour modifier le fonctionnement de leur service, par exemple pendant un an sur l’équité, ou sur la reconnaissance, parce que dans leur service, on estimait que les efforts accomplis n’étaient pas reconnus : « mon patron ne me dit jamais bonjour, ne me dit jamais merci, ne pense jamais à me féliciter en réunion sur le travail réalisé, mais n’oublie jamais de m’engueuler quand j’ai raté quelque chose ». Le manque de reconnaissance peut engendrer des souffrances extraordinaires ; il a été bénéfique de réfléchir sur de tels sujets.

Vous trouvez-vous par moment dans l’impossibilité d’agir, par exemple face à des agents qui refusent les transformations que vous promouvez ?

Le parti pris a été d’investir plutôt sur ceux qui avançaient, et de faire en sorte que notre modèle prévale ; que l’on élargisse le cercle, passant des 7/8 personnes de l’équipe de direction générale, aux 30/40 du haut encadrement, aux 150 des cadres exerçant des fonctions de management, et ainsi de suite ; conforter les convaincus, commencer à gagner les hésitants et limiter le pouvoir de nuisance de ceux qui sont en opposition.
Mais nous ne sommes pas allés d’abord vers eux, alors que c’est la tentation. Nous avons appris des techniques de relations sociales. Pourquoi donner la priorité à ceux qui essaient de bloquer le système, y consacrer toute notre énergie, et ne pas plutôt soutenir ceux qui sont prêts à se lancer, et qui deviennent la majorité.

Vous avez parlé des « centres de responsabilité » ?

C’est une réponse à la nécessité d’optimiser les moyens, et aux attentes critiques des cadres qui nous disent : « vous nous mettez dans une équation impossible, en nous demandant de plus en plus de choses, mais en nous laissant de moins en moins de marge de manœuvre, à cause des règles des marchés publics, des enquêtes publiques, de la concertation… ». Nous avons proposé un système où l’on essaye, en contrepartie d’objectifs chiffrés, de donner de plus en plus d’autonomie aux patrons des centres de responsabilité — 17 actuellement au Grand Lyon —, pour qu’ils puissent allouer, dans le cadre d’une enveloppe globalisée, des moyens pour réaliser leurs objectifs. Nous entrons dans un système où l’on fixe des objectifs généraux de masse salariale, de maîtrise des dépenses de gestion, mais en donnant plus de possibilités d’arbitrage aux responsables des centres, sur le plan des RH, de la fongibilité des dépenses de gestion courante par exemple. Cela va provoquer, je pense, des discussions intéressantes sur les priorités que l’on se donne. La hiérarchie des objectifs qui nous paraît évidente est-elle celle de nos collaborateurs ? Quels sont les indicateurs de résultat que l’on se donne ? Nous donnons plus de liberté au patron du centre de responsabilité pour qu’il modifie son organisation, pour obtenir de meilleurs résultats. Par exemple, pour réduire de l’ordre de 20% le délai de traitement des marchés, il pourra, au lieu d’un cadre A, s’adjoindre deux assistants de gestion car c’est ainsi qu’il gagne en efficacité.
La complexité et la diversité de l’organisation en termes de métiers rend par ailleurs indispensable une forme de déconcentration, même si elles comporte des risques de chapelles, d’iniquités, d’opacité.

Comment avez-vous développé et structuré la fonction de la direction générale ?

L’équipe est composée des trois directeurs de services urbains, Voirie, Eau, Propreté, des deux délégués au développement, économique et urbain, de la déléguée aux Ressources qui pilote l’ensemble des fonctions supports. Pour alimenter les débats, nous avons associé de manière permanente la directrice des RH, la directrice des Finances, la directrice des Politiques publiques d’agglomération, et dernièrement le responsable de la Communication interne, dans une fonction d’écoute et d’alerte. L’équipe se réunit toutes les semaines, et deux fois par an en séminaire, pendant deux jours, pour revenir sur les orientations données. L’équipe suit aussi en direct une dizaine de sujets très actifs parce qu’ils comportent un enjeux particulier, et garde un œil sur une vingtaine d’autres. Sur un tableau de bord collectif, chacun a ses sujets, ses chefs de projets, ses fiches d’avancement. Là aussi, deux fois par an, nous prenons un peu de recul et faisons l’effort de vérifier qu’on a bien avancé sur ces grands thèmes. Ces éléments sont ensuite partagés avec les cadres.
Nos méthodes de travail ont énormément progressé. A partir de 2004, 80% du temps de notre équipe de direction générale a consisté à supporter, dynamiser, contrôler la mise en œuvre des 5-6 effets leviers de CHRYSALIS, en faisant en sorte que les réunions soient bien préparées. Les membres de la direction générale arrivent avec l’exposé d’une thématique, en ayant en tête l’objectif soit de faire partager une information, soit de valider des orientations, soit encore de faire acter un arbitrage préparé en amont ; c’est une méthode mise au point avec mes deux chargées de mission de l’époque, Cécile Gros et Irène Anglaret, dont l’engagement personnel et la rigueur méthodologique ont été déterminants pour le succès de la démarche. J’ai la faiblesse de croire que cette approche systématique exigeante a progressivement percolé dans l’ensemble des équipes de direction. Dans l’état d’esprit qui est désormais celui de l’équipe de direction générale, chacun de ses membres a vocation à poser un point de vue, à proposer des idées sur tous les sujets traités.

Vous décrivez un fonctionnement collégial de l’équipe de direction ?

Les sujets sont, en confiance et dans le respect mutuel, vraiment débattus, ce qui n’était pas le cas au début. Mais quand l’orientation est prise, chacun de ses membres, qu’elle qu’ait été son opinion propre durant le débat, doit obligatoirement se ranger à la décision prise, et la défendre mordicus ensuite, je pense notamment au domaine des RH. Je suis impitoyable envers celui qui déroge à ce principe de solidarité et de loyauté ! En 2008, nous avons écrit nos principes, dans une charte de l’équipe de direction générale.

D’anciens cadres regrettent parfois que le Grand Lyon comporte davantage de niveaux hiérarchiques que par le passé, ce qui entrave son fonctionnement.

Il y a deux manières complémentaires de traiter ce sujet. Je n’en ai abordé qu’une, celle qui consiste à être clair dans sa vision, son orientation stratégique, ses plans d’actions, en faisant partager cette information. Aujourd’hui, nous sommes dans ce mode de faire cher à ma philosophie, mais ce n’est pas suffisant. Il reste un second chantier devant nous, ou plutôt devant eux car je quitte le Grand Lyon en ce mois de janvier pour rejoindre Le logement français, société anonyme d’HLM. Il est, à l’évidence, de raccourcir la chaîne hiérarchique, en particulier dans les services urbains, où les nombreux échelons se traduisent par des coûts plus élevés, une multiplication des interlocuteurs, une forme de déresponsabilisation. Pour ce chantier, l’effort réalisé sur l’ingénierie des processus nous aidera, car lorsqu’on met à plat l’ensemble des prestations qui permettent d’arriver à un résultat, on met en évidence les échelons hiérarchiques sans valeur ajoutée. Un chantier va s’engager dans le domaine de la Propreté, dans les équipes de nettoiement où ce phénomène est flagrant. Nous allons avancer par étapes successives. Si le Grand Lyon parvient, sur le nettoiement qui concerne 1300 personnes, à réduire de 7/8 à 3/4 les échelons hiérarchiques entre le cantonnier et le chef de subdivision, tout le monde comprendra que c’est possible et nécessaire partout ailleurs au Grand Lyon.

On reviendra donc sur les organigrammes… ?

Oui, mais ce sera une conséquence, une résultante. L’organigramme n’est pas un problème, c’est une solution.

Qu’a apporté le projet « paRHtage », volet ressources humaines de CHRYSALYS ? A-t-il modernisé cette fonction RH ?

Le point de départ était double : répondre à l’attente des cadres (demande de responsabilité, possibilité de parcours professionnel…), et mieux prendre en compte, en complément des syndicats, l’expression du corps social du Grand Lyon très sensible à l’équité de traitement des agents. Nous avons beaucoup tâtonné sur ce sujet délicat, et sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait mettre en avant la fonction ressources humaines. Comment faire pour mobiliser, donc motiver d’une part, et trouver de l’autre les compétences et savoir-faire dont nous avons besoin pour réaliser nos objectifs ?
Nous avons mis deux ans pour arriver à structurer l’idée de cette fonction ressources humaines, « paRHtage ». Cette fonction doit innerver l’ensemble de l’établissement, à partir d’un principe de base : c’est le manager, celui qui exerce une fonction hiérarchique auprès d’un nombre variable de collaborateurs qui doit être au cœur du sujet. Il doit avoir les moyens d’exercer sa fonction de patron d’une petite équipe et doit véritablement s’impliquer. Ce n’est pas le DRH ou le DGS qui fait le management, c’est tout un chacun.
Pour que les équipes marchent, il faut faire vivre les grands principes de la charte de l’encadrement au plus proche du terrain, que l’agent de maîtrise rappelle à ses cantonniers par exemple le cadre de notre action, nos objectifs, les fassent partager, les associe à la recherche de solutions, explique clairement les choses, puissent les sanctionner positivement ou négativement, fasse en sorte qu’ils maintiennent un haut niveau de performance technique et de motivation par des promotions, avancements, mutations, de la mobilité professionnelle… A l’issue d’une enquête, il était apparu que 80% des insatisfactions ou questions que se posaient les collaborateurs du Grand Lyon avaient vocation à être traitées localement. Simplement, on n’avait jamais dit au responsable local que c’était à lui de les traiter ! Et quand on lui disait, il n’en avait pas les moyens (outils, information, soutien…). Il faut donc régler autant que possible les problèmes localement, mais dans le cadre de règles fédérales, pour éviter les iniquités, car les tensions viennent souvent de là : « vous me dites non, mais dans une autre subdivision, on lui a dit oui ». C’est donc œuvrer à des règles communes, et faire en sorte qu’elles soient tenues.

Quels sont les résultats de CHRYSALIS dont vous êtes le plus fier ?

Sans conteste l’approche bénéficiaire. Aujourd’hui, les collaborateurs du Grand Lyon et les élus ont compris qu’il faut partir du résultat attendu, c’est-à-dire des attentes de ceux et de celles qui vivent, travaillent, parfois souffrent sur notre territoire, qui auraient éventuellement envie de le rejoindre, ou dont on craint qu’ils nous quittent. Sur un certain nombre de leviers majeurs, il faut que nous soyons en capacité à leur proposer des réponses, des prestations, des bouquets de services, qui leur permettent de participer à la dynamique du territoire.
Cela nous amène à imaginer l’action publique sous l’angle du « marketing public ». Mais le cadre politique dans lequel nous apportons les services publics devient plus prégnant encore. Dans le domaine des déplacements par exemple, le Grand Lyon fait des choix. Les usagers expriment des attentes auxquelles le politique non seulement essaie de répondre, mais en respectant l’environnement, en luttant contre le réchauffement climatique. C’est la place du politique. Alors que la place du marketing est d’identifier des groupes homogènes d’usagers, de chercher les réponses appropriées, d’éviter la surqualité ou la production d’un service qui ne sera pas utilisé parce qu’en inadéquation au réel besoin. Nous allons essayer de maximiser ce lien entre moyens, efficacité et satisfaction du bénéficiaire, dans un cadre politique défini par les élus. Nous avons amorcé cette évolution.
80% des gens interrogés il y a un peu plus d’un an répondent qu’ils se sentent beaucoup plus tenus qu’hier, qu’on attend d’eux des résultats. Même s’ils ne s’en réjouissent pas tous, ils ont en tout cas compris que c’était ça que l’on attendait ! C’est une énorme satisfaction de constater que c’est de plus en plus dans les esprits des agents du Grand Lyon. J’ai vu les comportements se modifier profondément au cours des dernières années. C’est une étape. Le challenge est de tenir dans la durée sur le chemin tracé, de rester tenace, persévérant.

Quelle est votre perception du dialogue social au Grand Lyon : les syndicats ont-il été un frein ou un levier dans le processus de modernisation ? Et peut-on faire mieux ?

Les acteurs sociaux sont des éléments clés du sujet. Ils n’ont pas toujours été des facilitateurs, mais ils ont indéniablement une légitimité politique et réglementaire. Nous sommes par ailleurs dans un cadre d’organisation collective où l’on ne peut imaginer travailler sans avoir des interlocuteurs qui représentent les groupes sociaux.
Les organisations syndicales et le Grand Lyon partagent une responsabilité dans les limites du dialogue social tel qu’il se pratique. Il est indispensable que l’on progresse. Nous pourrions arriver à des formes structurées de dialogue social, comme dans des grandes entreprises publiques, en traitant des questions de reconnaissance, de politique salariale, de parcours de mobilité professionnelle à l’intérieur et à l’extérieur du Grand Lyon, des possibilités de passerelles, de formation… Je pense que le corps social du Grand Lyon, la performance de l’entreprise, mais aussi la satisfaction et la motivation des collaborateurs et l’intérêt propre des organisations syndicales qui pourraient être acteurs dans ce système, gagneraient à un dialogue social organisé de manière thématique. Ce sont des éléments que l’équipe de direction générale a en tête, a préparé et que l’on pourra proposer à mon successeur et aux organisations syndicales. Testées sur ces idées, elles montrent qu’il y a, comme le dirait André Bergeron, du grain à moudre.

Imaginez-vous par exemple des négociations sur les salaires ?

Il faudrait bâtir un système des rémunérations qui ne soit plus strictement indemnitaire, mais qui prenne en compte la réalité objective des responsabilités exercées, les résultats obtenus et bien entendu l’ancienneté qui indique l’expérience. On peut imaginer que tout cela justifie, en partie, une progression des salaires. Ces évolutions de rémunération passent aussi par des évolutions statutaires, de grades, de prise de responsabilité, de mobilité professionnelle…, le tout dans un cadre qui n’est pas seulement celui du Grand Lyon. Nous appartenons au bassin d’emploi de l’agglomération lyonnaise, d’où une politique salariale qui doit être relativement en cohérence avec celles de la Ville de Lyon, du département du Rhône, de la Région Rhône-Alpes, pour éviter des effets pervers. Il faut enfin veiller à l’évolution de la masse salariale par la maîtrise des effectifs. Cela signifie, sans langue de bois, une baisse des effectifs dans un certain nombre de secteurs, ou la transformation de postes parce que nos besoins ont évolué. Ce n’est pas toujours, contrairement à ce que croient les organisations syndicales, transformer des postes de catégorie C en catégorie B et A.
Si l’on est prêt à travailler là dessus, il serait possible d’inventer des mécanismes assurant une bonne cohérence des équipes. L’intéressement par exemple pourrait être conçu par équipes, ou partiellement individuel, partiellement par équipes. Ces sujets du plus grand intérêt donnent un contenu très concret au dialogue social. Autre exemple : demain, nous allons faire face au vieillissement de la population salariée et à l’allongement de la durée du travail. Comment imaginer qu’un ripeur, à l’arrière du camion de collecte des ordures ménagères, puisse rester 40 ans dans cette fonction ? Il sera nécessaire d’imaginer pour ces agents de catégorie C, au sein de notre établissement et au sein du bassin d’emploi du Grand Lyon, un parcours professionnel qui combine plusieurs métiers. Nous devrons admettre que nous n’exercerons pas toujours le même métier au cours de notre vie, pour de multiples raisons. C’est un sujet superbe, qui concerne chacun d’entre nous ; pour moi, il n’est pas imaginable d’exercer le métier de DG de collectivité pendant 15 ans !

A partir de 2003, la Taxe professionnelle unique est devenue la seule recette fiscale du Grand Lyon, les communes ne touchant plus la taxe professionnelle : qu’est-ce que cela a changé ?

Il y a deux résultats, un attendu, l’autre non. Le premier a été la réduction très nette de la compétition entre communes de l’agglomération pour attirer des entreprises.
Par contre, l’inattendu, c’est que nous espérions une forte dynamique des bases de taxe professionnelle, et donc des moyens supplémentaires pour le Grand Lyon. Alors que nous avions estimé leur progression de l’ordre de 3,5% minimum par an, elle s’est établie à 2,5%, en raison des mécanismes de dégrèvement, plafonnement, exonération mis en place au niveau national par les pouvoirs publics successifs. La dynamique des ressources du Grand Lyon n’a donc pas du tout été à la hauteur de ce que nous avions imaginé ! Le rythme de progression des recettes a été réduit de moitié entre le début et la fin du mandat ! A côté des recettes propres du Grand Lyon, assez dynamiques, les dotations globales de l’État sont orientées à la baisse en euros courants, depuis deux ans. C’est une tendance de fond.

Comment le Grand Lyon réagit-il à cette tendance ?

Nous avons déjà commencé à nous soigner nous-mêmes. Grâce aux centres de responsabilités, aux talents de notre directrice des Finances, à l’engagement de chacune des directions, nous avons su réduire le rythme des dépenses. Le rythme d’augmentation de la masse salariale est passé de 3 à 6% l’an, à un rythme compris entre 2 et 2,5%. C’est un signe de maîtrise. Nous l’avons fait avec nos achats, par la mobilisation des délégataires du service public pour faire bénéficier de baisses de tarifs les consommateurs d’eau ou d’énergie par exemple, et donc mobilisé des moyens pour nous redonner nos propres marges de manœuvre.

Le Grand Lyon est de plus en plus engagé dans des partenariats avec les acteurs privés de l’agglomération. Est-ce pour réduire ses coûts ?

Nous sommes dans une posture entrepreneuriale, sociétale, stratégique, où l’on doit traiter de très grands thèmes qui répondent aux attentes des acteurs de ce territoire. Quand vous parlez d’enjeux tels que se déplacer, habiter, vivre ensemble, ou voulez progresser sur les thèmes de l’innovation ou de la connaissance, il est possible de bâtir des collaborations, formelles ou informelles, contractuelles ou pas, qui transformeront le territoire. Quand vous avez cet état d’esprit, cette vision très large, cette curiosité, inéluctablement des partenaires se déclarent intéressés. Dans le domaine économique avec Grand Lyon l’esprit d’entreprise, dans le domaine universitaire avec le PRES et le Plan campus, dans le domaine de la recherche avec les pôles de compétitivité, des infrastructures… C’est la nouvelle frontière du Grand Lyon. Et ce n’est pas forcément ce qui va lui coûter le plus cher.

Comment voyez-vous l’avenir du Grand Lyon ? Quelles sont les évolutions qui vont s’imposer à l’établissement et au territoire, dont il devra forcément tenir compte ?

Le changement climatique deviendra un enjeu majeur pour la planète. Il ne pourra se résoudre qu’au niveau des territoires. Nous pourrons jouer un rôle en devenant peut être un territoire sobre, qui fasse référence dans le monde. Nous commençons à travailler là-dessus. Plus largement, les trois éléments du développement durable, création de richesses économiques, capacité à le faire en préservant les ressources, et maintien de la capacité à vivre ensemble, sont au cœur des défis de ce territoire comme d’autres en France. L’établissement doit plus nettement orienter son action vers ces politiques, mais avec des dimensions un peu nouvelles.
La première, verticale, consiste à répondre aux attentes. Aujourd’hui, beaucoup de gens se tournent vers le Grand Lyon, se disent prêt à avancer, par exemple dans les domaines du changement climatique et du vivre ensemble, mais attendent que nous animions les démarches. C’est à la fois flatteur, et en même temps fait un peu peur. Sur de plus en plus de sujets, on vient nous voir et s’étonne : vous n’y êtes pas déjà ? Nous expliquons que le Grand Lyon n’est pas une collectivité territoriale de plein exercice, avec des compétences générales, ressortons donc un discours juridique. Mais on est de plus en plus interpellé. Nous payons en quelque sorte, et je trouve que c’est fabuleux, la dynamique enclenchée par Millénaire 3, où l’on se met en posture d’être l’animateur de la formation et de la structuration du territoire. C’est notre capacité à nouer des partenariats, à les susciter, à les animer, ou à faire en sorte qu’ils soient animés par d’autres, devient un facteur déterminant de la réussite du projet métropolitain.

Le Grand Lyon grand organisateur, chef d’orchestre, ou chef de file du territoire…

Un peu tout ça. Et sachant surtout ne pas tout faire, car il ne faut surtout pas que l’on fasse tout ! Il peut même y avoir plusieurs chefs d’orchestres.
L’autre dimension nouvelle, est horizontale, géographique : il nous faut reconnaître que l’échelle géographique du Grand Lyon n’a plus aucun sens. Si on refaisait aujourd’hui une communauté urbaine, ce serait au minimum à l’échelle de l’aire urbaine de Lyon. Il faut que l’on relève ce défi, clairement identifié dans le plan de mandat. Les élus en sont parfaitement conscients, peut être même surtout ceux du Nord Isère, de Villefranche-sur-Saône, de Vienne, ou même de Saint-Etienne. Tous les acteurs savent que c’est à cette échelle que tout va se jouer. Il faut par conséquent que l’on soit en capacité d’imaginer des dispositifs, de se saisir des opportunités ouvertes par les évolutions législatives, et par des expériences comme celle de REAL sur les transports.

Mon message est très optimiste : nous sommes à la fois, et beaucoup plus qu’on ne le croit, un territoire en compétition contre d’autres territoires en Europe voire dans le monde, mais avec des atouts et des capacités extraordinaires.