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La Fédération des oeuvres laïques et la laïcité

Interview de Robert DEVILLE

<< La religion ne doit pas interférer avec l’espace public. C’est la condition pour que l’Etat puisse garantir la liberté et l’égalité de tous >>.

Interview de Robert Deville, président de la Fédération des Oeuvres Laïques du Rhône réalisé pour le Cahier Millénaire3, n°23, pp 14-16, juin 2001. 

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Date : 28/01/2001

Quel est le rôle de la Fédération des Œuvres Laïques ? 
La Fol du Rhône, la plus importante de France, fédère 740 associations et représente 80 000 adhérents. Nos associations ont toutes une ambition d'éducation populaire, mais sont très variées. Il y a plusieurs grands secteurs d'activités : celui des vacances - connu à travers Ufoval -, celui du sport - avec l'Usep qui fonctionne en lien avec les écoles et l'Ufolep qui fonctionne hors temps scolaire - et le secteur culturel. Les différentes fédérations d’œuvres laïques régionales sont rassemblées par la Ligue de l'enseignement, fondée en 1866 avec pour objectif de développer l'instruction publique de sorte que les individus puissent devenir des citoyens.

Avez-vous conservé votre mission originelle d'enseignement ? 
Oui. Le réseau des enseignements s'est un peu éloigné de la Fol mais nos préoccupations restent centrées sur l'école. L'Usep fonctionne avec les écoles, le secteur culturel travaille avec les écoles en proposant du matériel pédagogique, en recommandant des spectacles, etc. Nous aidons individuellement les enseignants qui le souhaitent à monter des projets pédagogiques. En fait, nous avons des relations historiques et privilégiées avec l'Éducation Nationale qui met à notre disposition six postes qui sont détachés ici comme responsables de différents services de la Fédération. 

Comment vous situez-vous dans le paysage religieux et laïque de l'agglomération ?
Notre philosophie est simple et s'inscrit dans le prolongement du service public de l'éducation et dans l'esprit de la loi clé de 1905 qui définit la liberté de conscience. Dans nos rangs il n'y a pas que des anticléricaux. Il y a aussi des pratiquants, des Protestants, des libres penseurs, etc., mais dans le respect du vivre ensemble et de la loi. La religion ne doit pas interférer avec l'espace public. C'est la condition pour que l'Etat puisse garantir la liberté et l'égalité de tous. Notre position est aujourd'hui différente de celle d'il y a 80 ans, à l'époque où nos grands-pères luttaient dans les rangs des laïques contre des cléricaux qui avaient également d'autres comportements que ceux d'aujourd'hui.

Les choses sont apaisées maintenant ?
Sur le fond, je n'en suis pas sûr. Je continue d'appeler sans cesse à la vigilance, parce qu'il y a les démarches des croyants et celles des états majors... Nous nous battons contre toutes les formes de cléricalisme, que ce soit celui des Musulmans, des Catholiques ou des Juifs, ou celui de l'argent.

Que pensez-vous des demandes faites par les Juifs et les Musulmans de mieux organiser, dans l'école, la possibilité de pratiquer sa religion ?
Dès 1946, lorsque je dirigeais mes premières colonies de vacances, j'étais déjà soucieux de ce respect des croyances de chacun. On avait par exemple un service qui emmenait à la messe les enfants qui le souhaitaient et on faisait attention à ne pas servir de porc aux repas. Aujourd'hui, on se
trouve face à une demande qui ne cesse de se développer dans ses exigences et face à laquelle je reste très circonspect. De toute façon, il nous est impossible d'organiser une alimentation Hallal dans les colonies. Nous faisons le maximum pour que les croyances de chacun soient respectées, mais on ne peut pas répondre à toutes les attentes de chacun. Pour ce qui concerne l'école, elle doit être tenue à l'abri de ces débats. Elle est le lieu de l'égalité. J'ai été principal d'un collège. Je n'ai pas été confronté au problème du port du foulard mais mes convictions ne m'auraient jamais conduit à exclure une jeune fille pour ce motif. Je reste persuadé que le port du foulard n'est pas qu'une question de convictions religieuses mais reflète aussi, surtout, l'affirmation d'une différence, la recherche d'une identité, etc. Je suis sûr qu'en discutant avec les parents on peut leur faire admettre que l'école est le lieu où il faut être sur un pied d'égalité. C'est l'école qui m'a permis de faire ma place dans la société, une école où on portait une blouse qui masquait les différences sociales que l'on peut afficher par le vêtement. Si on entre dans l'école en affirmant d'emblée sa différence, on en casse le bon fonctionnement. Pour autant, je ne souhaite pas l 'uniformisation de la société. Au contraire, la diversité est un enrichissement formidable. Mais ce n'est un enrichissement que si chacun se place sur un pied d'égalité et si aucun ne cherche à s'affirmer au-dessus ou contre l'autre. L'école publique joue ce rôle en accueillant, sans les distinguer, musulmans, juifs, athées, chrétiens, etc. et en leur apportant à tous un bagage qui leur permet de faire leur propre trajet dans la vie.

Vous sentez-vous loin de la laïcité de combat ?
Je suis un militant laïque. Je suis attaché à la laïcité et si elle est mise en cause, je m'engage. De ce point de vue je ne suis pas loin de la laïcité de combat. Prenons le cas de la caserne Bissuel. Je suis un des deux porte-parole des quatorze organisations syndicales ou associatives qui mènent la bataille en disant qu'il y a là une atteinte à la loi de 1905. Je trouve anormal de donner 90 millions de francs à une pseudo association pour permettre à des jeunes gens qui bénéficient déjà de conditions d'accueil supérieures à celles de l'enseignement universitaire public, de fréquenter les facultés catholiques. Ces étudiants paient un péage pour fréquenter un établissement privé, pour entrer dans le réseau des Facultés catholiques, etc. et on voudrait privilégier, avec des fonds publics, des étudiants qui sont déjà privilégiés. Dans le même temps, Lyon II est totalement dégradée, il y a des murs salpêtrés, des amphis mal éclairés, les rideaux tombent... Outre la violation de la loi de 1905, il y a là une injustice sociale qui se développe. Sur ce sujet Monseigneur Tricard explique que l'Etat a la possibilité légale de leur donner cet argent. L'Etat a le droit, certes, mais historiquement c'est un peu plus compliqué. La loi de 1905 a été très bousculée par le Maréchal Pétain, et en particulier à Lyon. L'Association des Fondateurs et Protecteurs de l'Institut Catholique de Lyon (AFPICL) qui a touché les 90 millions de Francs, a été reconnue d'utilité publique en 1942 par le Maréchal Pétain. Depuis 1942, aucun des gouvernements qui se sont succédés n'a modifié cette disposition. Or, l'AFPICL est une association qui comprend les vingt-cinq évêques de la région Sud-Est, elle est obligatoirement présidée par l'archevêque de Lyon et ne s'exprime pas en assemblée générale de façon démocratique.

La loi de 1905 vous paraît-elle devoir être réaffirmée ?
Dans des cas comme celui-ci, oui. Il faut être attentif au respect de la loi de 1905 et à la place de la religion dans la société d'aujourd'hui. En réalité, qu'est-ce qui nous préoccupe ? La place des Musulmans. Il est impossible de sortir de la violence en laissant les Musulmans, qui sont sincères et pratiquants, prier dans des caves ou des sous-sol malsains. Dans le respect de la liberté de conscience, on ne peut pas laisser des gens pratiquer leur religion dans de telles conditions. Certaines mairies considérant, comme vous, qu'il manque des lieux de culte, souhaitent rétrocéder des lieux publics à des associations religieuses. Y êtes-vous hostile ?
Non. Mais ce n'est peut-être pas la position de l'ensemble des laïques. D'ailleurs au moment du projet de la Grande Mosquée de Lyon, nous n'avons pas manifesté. Personnellement, le jour où l'on voudra empêcher une religion d'exister, je m'y opposerai. Je revendique cette liberté de conscience, comme aussi la liberté pour les non croyants de s'exprimer. Or c'est une possibilité qui n'est pas si ancienne. Par ailleurs, offrir des conditions décentes de pratique religieuse aux Musulmans, c'est aussi une question de paix civile. On peut aider à l'installation de lieux de culte, mais pas plus, et on ne peut en tout cas pas tolérer que la religion entre dans les lieux publics. C'est un principe sain, clair et peu difficile à appliquer. Il faut complètement dissocier le religieux du public ?
Oui. Lorsque j'étais directeur d'école, dans le Beaujolais, j'avais des enfants de familles très pratiquantes et on s'était mis d'accord avec le curé du village pour qu'il ne vienne pas faire le catéchisme dans mes locaux. Bien sûr il en avait le droit, mais je lui avais dis : "Je libère les enfants, je les fais accompagner, mais ça ne se passe pas chez moi. On ne mélange pas." Parce qu'il y a aussi ceux qui ne sont pas croyants et qui vont se trouver en dehors d'une collectivité qui est en train de vivre quelque chose et dont ils ne font pas partie. Et dans une école, qui est le lieu de l'égalité, ce n'est pas possible.

Comment accueillez-vous les demandes des communautés musulmanes et juives qui souhaitent avoir des écoles confessionnelles ?
Cela me fait peur. Ne mélangeons pas les lieux, et ne marginalisons pas les communautés dans des lieux scolaires confessionnels fermés aux différences.

Vous souhaiteriez que l'enseignement catholique cède sa place à l'enseignement public ?
Tout à fait. Mais en ménageant des espaces pour que l'enseignement religieux puisse être donné. Je suis également partisan de l'enseignement de l'histoire des religions dans le programme de l'école publique. Le fait religieux lui-même me paraît intéressant dans son histoire pour comprendre la société d'aujourd'hui, l'art... Mais c'est un enseignement qui doit être assuré par des professeurs d'histoire, pas par des religieux, et avec la volonté du respect des consciences. L'école doit être le creuset de la République.
C'est en tout cas le creuset du vivre ensemble. Mais mon discours peut paraître désuet aujourd'hui. Beaucoup de parents n'inscrivent plus leurs enfants dans des écoles catholiques pour des motifs purement religieux. Ils "consomment" l'école et "zappent" si tel ou tel professeur ne leur convient pas. Il y a un va-et-vient important entre le public et le privé. C'est tout à fait différent d'autrefois où les gosses de la communale et ceux du privé n'étaient pas les mêmes, ils venaient d'origines sociales différentes. Aujourd'hui ce n'est plus le cas, en particulier pour les collèges où les parents échappent à la carte scolaire en passant par des collèges privés. Mais ce n'est pas une bonne solution collective. Il vaudrait mieux donner à l'école publique les moyens de fonctionner correctement partout.

Les communautés religieuses s'expriment, en leur nom, sur les sujets de société. Avez-vous également cette vocation au nom des laïques ?
Oui, en permanence. Nous lançons un appel permanent à la citoyenneté et à la vigilance. Sur la violence à l'école, par exemple. On ne peut pas constater d'un côté la montée de cette violence, sans s'interroger de l'autre sur ses causes. De même qu'on peut laisser nos associations étouffer sous leurs difficultés, sans les inviter à une réflexion plus large que leur seul champ d'intervention.

Vous exprimez-vous pour faire contre-poids à la prise de parole des religions ?
Non, pas du tout. Il n'y a pas d'hostilité face aux religions si elles restent dans le domaine privé. Il y a quelques années, les jeunes Musulmans de France sont venus nous voir en demandant à être reconnus comme Musulmans. Nous leur avons répondu que s'ils voulaient être reconnus "comme Musulmans", ils ne frappaient pas à la bonne porte. Mais que s'il venaient en tant que citoyens alors, là, il y avait des possiblités pour un travail commun. Dès lors, on a effectivement pu travailler ensemble à la mise au point de démarches citoyennes. Nous les avons aidés à mettre en place une association de “futsalle”, qui est un jeu où on ne doit absolument pas parler sur le terrain et par lequel on apprend une certaine forme de discipline et des règles communes.Il y a donc, dans la Fédération des Œuvres Laïques, des associations religieuses ?
Ce ne sont pas des associations musulmanes ou des associations religieuses, mais des associations de quartier qui ont un caractère social, ou pas... que l'on aide et avec qui on poursuit un débat d'idées en permanence.