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La collaboration dans le montage de projet d'entreprise

Interview de Catherine GUERIN

<< Notre réseau a de multiples fonctions : il est là pour nous conseiller, nous rassurer, nous faire connaître mais aussi pour nous aider à nous remettre en cause.... >>.

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Date : 07/12/2007

Interview réalisée par  Emile HOOGE (Nova7), le 7 décembre 2007

Catherine Guérin, cofondatrice avec Marianne Vellieux-Motus, de la librairie culinaire Badiane, nous raconte avec beaucoup d’humanité la manière dont leur projet s’est vu porté par tout un ensemble d’acteurs qui ont cru en elles. Badiane est une librairie culinaire qui propose  plus de 4000 titres sur la nutrition, la gastronomie, l’alimentation… C’est aussi un lieu de rencontre et de vie autour d’une cuisine qui accueille des démonstrations culinaires et des cours.

 

Comment l’idée d’entreprendre vous est-elle venue ?

J’ai travaillé à mon propre compte dans le milieu de la gastronomie pendant environ 15 ans, en relations publiques. Je m’occupais notamment de l’Académie des Lauréats des Bocuse d’Or. C’est d’ailleurs avec son président Régis MARCON que nous avons travaillé à la rédaction du livre Défi Gourmand sur les concours de cuisine. Peut-être que c’était là le début de mon aventure, mariant le livre et la cuisine. J’ai aussi créé un concours international de photos culinaires pour le compte de l’Interprofession du Beaujolais et, au cours de cette expérience, j’ai été amenée à côtoyer le monde des photographes et des éditeurs. Ainsi, je travaillais souvent à l’interface entre le monde du livre et celui de la gastronomie, jusqu’à ce que je me rende compte qu’il manquait à Lyon une librairie consacrée à ce domaine. Voilà qu’un projet a rapidement germé dans mon esprit !  


Et qu’est-ce qui vous a conduit à franchir le pas de la création d’entreprise ?

J’ai décidé d’intégrer le Centre des Entrepreneurs d’EM Lyon pour bien me préparer et transformer cette idée en réalité. J’y ai rencontré Marianne MOTUS qui est aujourd’hui mon associée. Marianne était documentaliste et rêvait d’ouvrir une librairie à Lyon. Elle s’était aussi aperçue qu’il n’y avait pas de librairie culinaire et a choisi de saisir cette opportunité. A EM Lyon, lorsque j’ai présenté mon projet pour la première fois, ils m’ont laissé parler, puis au bout d’une heure ils m’ont dit : « vous savez qu’il y a quelqu’un d’autre à Lyon qui a le même projet que vous ? ». D’abord j’ai accusé le coup et après je me suis dit qu’il fallait que nous nous rencontrions ! On nous a dit que nous étions très complémentaires dans notre parcours, dans notre personnalité et dans notre approche des choses. Nous avons discuté et très vite il est apparu comme une évidence que nous devions monter ce projet ensemble. A deux, nous pouvons réfléchir ensemble, notre capacité de travail est doublée et nous avons aussi plus de moyens financiers pour investir… Aujourd’hui, je me dis, heureusement que nous nous sommes rencontrées

 

Avez-vous eu peur dans cette association ?

Bien sûr, mais nous avions compris notre intérêt commun à nous associer. A l’évidence, je ne me serais jamais associée avec une amie, trop d’affectif… mais là c’était possible. En fait, ce dont j’avais le plus peur dans cette association c’était moi-même. J’avais toujours travaillé de manière indépendante et je me disais que personne ne pourrait me supporter… C’est parfois difficile mais nous avons construit notre association sur de bonnes bases et cela fonctionne. Nous y travaillons au quotidien, pour que chacune ait sa propre vie dans le projet, sa part d’oxygène. Nous essayons de conserver un équilibre entre le fait d’être en osmose à deux sur un projet commun, et le fait de se réaliser chacune personnellement à travers ce projet.
 

Cette association a été un moyen de surmonter certains des risques de la création d’entreprise ?

La sécurité totale n’existe pas, il y a une forme de funambulisme dans la création d’entreprise ! Surtout dans les relations humaines, on ne sait jamais à l’avance comment ça va se passer avec son associé, son personnel, son expert comptable, ses consultants, etc. On ne sait pas si ça va prendre ou pas ou si on va être déçu… Il n’y a pas que le risque financier dans la création d’entreprise, il y a ces risques humains. Mais si on ne prend pas ces risques, il n’y a rien. Il faut se lancer et après on construit, on s’adapte, on fait confiance… Si on garde une certaine distance, si on reste lucide, on peut faire fonctionner ces relations sur la durée.

 

Quelles sont les autres rencontres qui vous ont permis de construire votre projet ?

Les enseignants du Centre des Entrepreneurs d’EM Lyon ont joué un rôle majeur. D’abord ils nous ont ouvert un réseau incroyable de personnes qui nous ont donné des conseils mais surtout qui nous ont un peu bousculées. Michel Coster par exemple, le directeur du Centre des Entrepreneurs, qui nous posait toujours les questions « qu’il faut ». Régis Gouget aussi, qui était un des suiveurs de notre projet, nous mettait en garde sur certains points importants… Bien sûr, nous n’avons pas toujours fait ce qu’ils nous disaient mais cela nous a fait prendre du recul par rapport à nos idées préconçues. Nous avons pu prendre conscience des risques mais aussi nous renforcer dans notre volonté. C’est bien de rencontrer des gens qui ne sont pas toujours d’accord avec nous, qui ne nous disent pas toujours que ce que l’on fait est génial. Cela nous aide à formuler de vrais choix et à mieux les assumer par la suite.

 

Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple de dilemme sur lequel vous avez dû trancher ?

Beaucoup de gens nous disaient que l’on devrait voir moins grand au départ, ouvrir juste une petite librairie et pas en plein centre ville. Cela nous a fait réagir et nous avons pu leur répondre que nous ne sentions pas les choses comme cela… Nous voulions un projet qui soit plus qu’une simple librairie. Aujourd’hui, même si c’est parfois un peu difficile, nous savons que nous avons fait le bon choix. Nous avons un lieu qui permet de passer du livre à la pratique de la cuisine, où il y a des cours de cuisine, des démonstrations culinaires, des expositions et même des spectacles. D’autres, a contrario, nous disaient que nous devrions voir tout de suite plus grand et mettre une véritable école de cuisine au cœur de notre projet. Là aussi, nous avons su dire non. Nous voulions d’abord une librairie et les autres activités viennent autour. Nous voulons nous inscrire dans la durée et nous savions que c’est sur la librairie que nous pouvions asseoir notre crédibilité.

 

Vous soulignez ici toute l’ambivalence des conseils que l’on peut vous donner. Il faut savoir les écouter mais aussi prendre ses distances !

En effet, il y a toujours un risque à être bien entouré de personnes expérimentées qui nous expliquent  leur point de vue de manière très convaincante. Le risque c’est de se reposer sur eux et d’oublier que c’est à nous de porter le projet. Après, dans la mise en œuvre, ils ne seront plus là, on ne peut pas compter sur eux tout le temps. C’est à nous de prendre les risques et ne jamais oublier l’âme même de notre projet. Il faut être ouvert aux conseils sur les aspects techniques mais ne pas perdre ce qui fait le fond et la force du projet. Il faut savoir écouter, se laisser influencer sans être sous influence. Il y a quelque chose de très amusant c’est que les gens avec qui l’on parle se projettent énormément dans notre projet. Ils projettent leurs propres envies, leurs propres rêves et leurs propres angoisses. Ils rêvent de créer une entreprise, de la voir se développer et nous poussent dans ce sens. Ils nous donnent plein d’idées et il y a une véritable énergie qu’ils nous transmettent. Pourtant, on ne peut pas tout faire, nous avons notre propre rythme et il ne faut pas se laisser trop entraîner.

 

Quelles sont d’autres formes de soutiens sur lesquels vous avez pu compter dans le démarrage de votre entreprise ?

Il y a tout un réseau de gens qui adorent notre librairie et qui s’impliquent en nous donnant un coup de main pour un événement, pour la décoration, etc. Même de simples clients, qui ont tellement envie que nous réussissions, achètent tous leurs cadeaux chez nous et amènent leurs amis. D’une certaine manière, ils s’approprient notre projet et font partie de l’aventure. En plus de cette communauté, nous avons un réseau de professionnels qui sont passionnés par notre projet et qui nous aident bénévolement, sur notre gestion, notre informatique, notre stratégie commerciale, etc. Je pense par exemple à Franck Durandot qui nous apporte une aide précieuse pour notre boutique en ligne. Il était en formation au Centre des Entrepreneurs d’EM Lyon en même temps que nous et a aujourd’hui créé son entreprise sur Internet, Activage. Nous restons ainsi en contact avec beaucoup de personnes du Centre avec lesquelles nous continuons à échanger nos expériences.
Bien sûr, beaucoup de gens contribuent aussi à nous faire connaître. En matière de promotion, le réseau est d’une force extraordinaire ! Je pense par exemple à Jacotte Brazier, la petite fille de la Mère Brazier. Elle est venue nous voir parce qu’elle lançait un prix littéraire qui allait être décerné à des femmes qui ont écrit, illustré ou édité des ouvrages sur la transmission du savoir culinaire par les femmes. Elle nous aime bien et elle fait en sorte que dans son réseau tout le monde nous connaisse, elle a même organisé chez nous des signatures des lauréates de son prix.
En fait notre réseau a de multiples fonctions :  il est là pour nous conseiller, nous rassurer, nous faire connaître mais aussi pour nous aider à nous remettre en cause....

 

L’une des clés de réussite, c’est d’entretenir et d’enrichir continuellement ce réseau ?

Il ne faut jamais s’arrêter. Globalement, nous avons été bien entourés par cette grande « famille » Badiane au moment du lancement de notre projet mais aujourd’hui nous avons encore besoin d’eux. Cela fait moins d’un an que nous avons ouvert et c’est probablement maintenant que nous sommes les plus fragiles. Or, paradoxalement c’est maintenant que nous sommes le moins cocoonées. Les gens spontanément se proposent pour nous aider jusqu’au lancement mais après, ils pensent que c’est gagné, que nous sommes sur des rails… Ils ne peuvent pas se rendre compte de nos besoins donc c’est à nous de les solliciter. Et je suis sûre qu’ils seront toujours mobilisés pour continuer à nous soutenir et à participer à cette belle aventure, à leur manière. Je leur dis à tous merci !