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L’expertise sur autrui. Exemple des politiques d'insertion des jeunes

Interview de Léa LIMA

Léa Lima, CNAM
Léa Lima, CNAM
Maître de conférences en sociologie, Conservatoire national des arts et métiers (Cnam)

<< Les droits sociaux ont changé de nature >>.

Réalisée par :

Date : 12/12/2014

Léa Lima est maître de conférences en sociologie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et depuis janvier 2014 codirectrice du Lise, laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique, une UMR Cnam-CNRS. Après une thèse de sociologie soutenue en 2004 sur une comparaison France-Québec du traitement des jeunes dans l’Etat social, Léa Lima a poursuivi ses travaux sur la question de la citoyenneté sociale des jeunes et de la discrimination d’âge dans l’Etat social. Elle a dirigé entre 2008 et 2013 un projet ANR « Expertise sur autrui ». Elle est chercheure associée au Centre d’Etude de l’Emploi.

Nous l’interrogeons sur les grandes lignes de transformation des politiques d'insertion et des politiques sociales : comment le principe de l’ « activation » se concrétise-t-il, peut-on parler d’individualisation des politiques sociales, qu’est-ce qui change dans les relations usager/administration, etc. ? 

Quelles sont vos thématiques de recherche ?

Mes recherches portent surtout sur la mise en œuvre des politiques d’insertion des jeunes, que j’appréhende comme des politiques sociales de jeunesse, articulées au système de protection sociale. Depuis mon DEA qui portait sur le programme TRACE, mes terrains privilégiés ont été les missions locales. Ma thèse était une comparaison France-Québec des politiques sociales de jeunesse, ce qui m’a amenée ensuite à travailler sur le Fonds d’aide aux jeunes (FAJ), a développer une réflexion sur la citoyenneté sociale des jeunes, et à piloter un projet de recherche sur l’expertise sur autrui, achevé en 2013. Ce qui m’intéresse à travers mes enquêtes, c’est de saisir les mouvements d’individualisation, d’activation, et de délibération des droits sociaux.

L’expertise sur autrui, qu’est-ce que cela veut dire ?

Le projet portait sur les processus de décision et les principes de justice et de jugement mobilisés dans l’attribution des droits sociaux individualisés. Dans quatre secteurs, les commissions qui délibèrent pour attribuer ces droits et les ressources de l’Etat social ont été étudiées : les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), le Fonds d’aide aux jeunes, l’aide sociale ainsi que l’assistance en prison auprès des détenus, et l’accompagnement par le contrat de transition professionnelle (CTP) des chômeurs licenciés. Le but général était de connaître quels savoirs étaient mobilisés par les parties prenantes. Et de prendre acte finalement du développement de cette forme d’activité qui consiste à produire des savoirs sur les personnes dans des espaces pluralistes (multi partenaires, pluridisciplinaires….). Dans chaque chapitre de l’ouvrage tiré de ces recherches (L'expertise sur autrui - L'individualisation des politiques sociales entre droit et jugements, Peter Lang, 2013), nous avons comparé deux ou trois secteurs les uns avec les autres, sans nous aventurer à faire une théorie générale de l’expertise sur autrui. Chaque secteur a ses particularités.

Auriez-vous des exemples de ces délibérations en commission ?

Les anciennes Cotorep, commissions chargées d’aider les personnes handicapées à s’insérer dans le milieu professionnel, ont été remplacées avec la loi de 2005 par les Commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Au sein des MDPH, c’est là où se joue la reconnaissance du statut de personne handicapée, qui ouvre à des prestations comme l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Elles statuent sur les diverses prestations compensatoires, et sur les aides liées à la reconnaissance d’invalidités. Certaines sous-commissions sont plutôt spécialisées dans l’orientation des jeunes handicapés vers l’offre d’accueil, de relai, d’appui, d’hébergement, etc. Elles vont auparavant mettre l’étiquette « jeunes handicapés » sur les jeunes orientés vers elles soit par l’école, soit à la demande d’autres institutions ou des parents. Les médecins forment un bloc d’expertise très identifié, à côté de professionnels du social et des associations d’usagers. 

Le fonctionnement des commissions est-il similaire dans le secteur de l’insertion des jeunes ?

Non, c’est très différent. Les crédits - car c’est un crédit d’action sociale plus qu’un droit subjectif - et donc les enjeux financiers sont nettement moindres que dans les MDPH. On ne trouve pas d’associations qui représentent l’intérêt des jeunes, l’insertion des jeunes n’est pas du tout impactée par la loi de 2002. Cette politique sociale garde une forme très tutélaire, d’où des décisions qui se prennent très à distance des jeunes. Et les professionnels ont une légitimité experte beaucoup moins affirmée que les médecins ou les assistants de service social, ce qui fait que la mise en jeu de leur expertise dans un collège où l’on va retrouver des AS produit des effets différents.
Pour nous, l’essor des commissions, ou plutôt du mode délibératif d’attribution des droits sociaux réalisé au sein de commissions ou collèges professionnels multidisciplinaires, est corrélé au mouvement d’individuation des droits et de personnalisation des politiques sociales.

Quel est le lien entre l’expertise sur autrui et l’individualisation des politiques sociales ?

J’utilise le mot individualisation au sens d’Isabelle Astier, qui parle de droits et de politiques des situations, et de Jean-Marc Weller qui a retracé ce mouvement qui fait passer d’un droit des statuts à un droit des faits. Si l’on regarde l’accès aux droits sociaux, force est de constater qu’il est soumis à une évaluation très précise des situations individuelles, qu’il faut qualifier au plus près des personnes. Prenons l’exemple du Fonds d’aide aux jeunes (FAJ). Il a été décidé de ne pas arrimer le FAJ à un statut qui pourrait être assez facilement repéré par une administration, comme celui de chômeur. Pour savoir si un jeune est éligible au FAJ, il faut qualifier ce qu’est un « jeune en difficulté d’insertion », préciser le contexte et le bassin d’emploi, etc. Cela demande un travail important qui nous éloigne d’un droit automatique basé sur des catégories conventionnelles et statutaires.

Si l’on reste dans cet exemple du FAJ, il n’existe aucun critère qui indique de manière précise si un jeune y a droit ?

Non justement, c’est une catégorie très interprétable. Les ressources des jeunes pourraient être un repère conventionnel, même s’il faudrait pour cela répondre à des questions compliquées (« comment définir leurs ressources ? », « quelle prise en compte des ressources familiales ? »...). Or très peu de Conseils généraux, dans leur règlement intérieur concernant l’aide aux jeunes, spécifient des seuils de ressources. L’attribution de l’aide est laissée à l’appréciation des acteurs en commission. Ce mouvement d’individualisation et de personnalisation des droits sert aussi à se donner une marge de liberté. Il ne faut surtout pas formaliser des seuils d’accès à ce droit, parce que cela exclurait de fait des jeunes dont on pense qu’ils ont beau être un peu au dessus du seuil, l’aide pourrait leur être bénéfique. C’est volontairement que les seuils ne sont pas spécifiés.

Cette « libre » appréciation appuyée sur ce que vous nommez l’expertise sur autrui donne-t-elle de l’autonomie aux professionnels du social ?

Il faudrait pour répondre scruter l’histoire des pratiques professionnelles, mais ce qui est intéressant, c’est qu’une marge de manœuvre est intégrée dans le droit lui-même. Le droit, en faisant reculer le degré de conventionalité des catégories utilisées, internalise et institutionnalise cette marge d’interprétation des catégories, alors qu’auparavant on y aurait vu une déviance des professionnels qui auraient pris des libertés avec le droit. 

Avez-vous un exemple de droit qui peut être refusé lorsqu’un professionnel estime que l’investissement n’en vaut pas la peine ?

tout un pan de l’aide est conditionné à la démonstration qu’elle va être utile en terme d’intégration sociale, d’employabilité

Pour le FAJ c’est clair. Dans les faits, tout un pan de l’aide est conditionné à la démonstration qu’elle va être utile en terme d’intégration sociale, d’employabilité, etc. C’est cela qu’évalue la commission, à côté de la situation sociale du jeune et de sa famille (objet de maints débats sur ce qu’est un « jeune en difficulté »). Tel jeune demande une aide à la formation pour être cariste : est-ce que cela va lui apporter une chance d’être recruté sur le marché du travail, etc. 

Dans quelle mesure la logique que vous décrivez s’applique à l’ensemble des aides sociales ? Le RSA par exemple y déroge, il est attribué en fonction de critères de ressources définis par l’Etat…

Une partie du RSA relève totalement des droits de l’assistance classiques, il est en effet attribué en fonction de seuils de ressources, mais on oublie souvent toutes les aides à l’insertion liées au statut de RSA, qui n’ont rien d’automatique, et une fois de plus demandent l’appréciation d’un professionnel du social, en l’occurrence le conseiller qui accompagne le bénéficiaire du RSA et lui ouvre l’accès à des ressources autres : paiement du permis de conduire, santé, formation, y compris la participation à des ateliers théâtre… Toutes les ressources qui relèvent du schéma de l’activation ne sont plus soumises à aucun automatisme. Ce n’est pas rien ! Avant d’attribuer une aide au permis de conduire, le professionnel se demande où la personne en sera dans plusieurs mois avec ou sans permis, ce que cela pourrait changer. Elle met en jeu un savoir expert sur autrui : où en est la personne, et où pourrait-elle aller, car c’est un pronostic. Dans une MDPH c’est pareil, les aides à l’aménagement du logement sont évaluées au cas par cas, je pourrais multiplier les exemples. 

Cette expertise sur autrui renforce-t-elle le rôle de l’échelon local dans les politiques sociales ?

Une partie de l’argumentaire de la décentralisation est liée aux questions d’individualisation et d’activation

Disons que la décentralisation va de pair avec l’individualisation et avec la délégation du pouvoir normatif et interprétatif du droit aux acteurs locaux, avec l’idée que plus on est prêt des situations concrètes des individus, plus on est efficace. Voici un argument clé de la décentralisation des politiques sociales. Dans cette vision, le local fait figure d’ersatz du « terrain ». Une partie de l’argumentaire de la décentralisation est liée aux questions d’individualisation et d’activation, c’est-à-dire produire un droit efficace et transformateur des personnes. Pour moi, toute chaine d’insertion est la concrétisation de l’activation.

Pourquoi va-t-on dans la direction d’une « politique des situations » ?

les droits sociaux ont changé de nature

Parce qu’à mon avis les droits sociaux ont changé de nature, et là on en vient à la question de l’activation. Dans l’activation, il y a un premier aspect : l’attente de contreparties, donc un nouvel équilibre entre droits et devoirs, qui amène à la responsabilisation. Et un deuxième qui m’intéresse davantage : l’abandon d’un droit rétributif ou compensatoire d’une situation passée ou présente, au profit d’un droit tourné vers l’avenir, qui doit être utile, efficace dans la transformation de l’individu, et de la société d’une certaine manière. C’est parce que ce droit devient prioritaire par rapport à la rétribution, la compensation, ou la sanction, que l’autonomie des travailleurs sociaux et autres professionnels prend le pas sur le droit formel, et c’est pour cela aussi qu’on laisse à mon avis autant de marges de manœuvre aux acteurs locaux. 

A vous écouter, l’activation ne se résume pas à vouloir mettre ou remettre des gens dans l’emploi ?

Si, mais cette volonté se traduit sur un premier versant par la question de la responsabilisation (demander des efforts, des contreparties..), et sur un deuxième versant, sur cette idée d’un droit téléologique, tourné vers l’avenir, avec la notion de « projet » d’insertion, etc. Les droits sociaux activés deviennent du coup presque des investissements.

C’est ainsi que vous voyez le lien entre le principe de l’activation, et la notion d’investissement social ?

toutes les ressources sont envisagées comme des investissements, plutôt que comme des rétributions ou des compensations

Oui. Pour l’économiste et sociologue danois Gøsta Esping-Andersen, toutes les ressources sont envisagées comme des investissements, plutôt que comme des rétributions ou des compensations. L’investissement social n’est pas seulement une rhétorique : l’accès à un certain nombre de ressources (dont font partie les ressources sociales) est conditionné à la démonstration que cela va être efficace. La démarcation avec la logique indemnitaire est nette : on fait un investissement uniquement si l’on pense qu’il va y avoir une plus-value. Les processus d’expertise sociale que j’évoquais essaient d’évaluer une plus-value, que le droit, et les aides qui lui sont associées, vont apporter à la personne.

Dans son rapport rendu au Conseil économique, social et environnemental, Bruno Palier distingue plusieurs modèles d’activation, avec aux deux extrémités le Royaume Uni et le Danemark. Quel est votre point de vue sur ces modèles ?

Il faut faire la différence entre l’activation des personnes et l’activation des politiques. Quand on parle de l’activation au Royaume Uni, on pense à l’activation des personnes, avec le côté contrôle, sanction, version dure des contreparties, alors que l’activation des politiques et des dépenses passives nous amène plutôt sur des politiques tournées vers l’avenir, et donc à la notion d’investissement. Chez Esping Andersen, c’est une version sociale de l’investissement, une réflexion sur le cycle de vie des individus et la succession des générations. Mécaniquement, on s’éloigne de la version responsabilisante libérale de l’activation des individus. C’est la raison pour laquelle je pense qu’il est important d’utiliser des mots différents. Investir massivement dans les crèches et dans l’éducation n’est pas la même chose qu’activer des allocataires. J’ajouterais qu’ Esping Andersen amène une explication de l’activation qui est différente, elle est fondée sur des études qui permettent de mesurer l’efficacité de l’investissement. C’est d’ailleurs pour ça qu’il utilise le mot investissement. Prenons la politique d’éducation. Selon son raisonnement, elle ne relève pas seulement d’un droit accordé aux citoyens, elle est surtout un volontarisme de l’’État qui décide d’investir à un moment donné sur des individus, parce qu’il estime que c’est ainsi qu’il dégagera la plus-value sociale la plus intéressante, qu’il réduira le mieux les inégalités, répondra aux défis de la société de la connaissance, et aura une société performante. Droit ou investissement, l’argumentation et les motifs ne sont plus les mêmes. Avec l’investissement social, la France peut mener la même politique qu’avant, éventuellement avoir les mêmes résultats, mais au nom d’une logique nouvelle et en tout cas différente.

A vous écouter, on comprend que l’investissement social est un autre paradigme que celui des droits et de la citoyenneté.

Exactement. Je me trouve confrontée sur le terrain à ce paradigme de l’investissement, quand les conseillers d’insertion des jeunes exposent la logique du FAJ. Ils expliquent aux jeunes : « il faut que tu comprennes que c’est un investissement. L’État il investit, il ne faut pas se rater après. Si on t’aide pour le permis de conduire, il faut que tu démontres que ça sert à quelque chose ». Ce genre de propos témoigne que ce n’est pas un droit, un dû le remboursement d’une dette sociale selon le modèle solidariste, c’est l’État qui a décidé d’investir en toi parce qu’il pense que c’est utile.

Est-ce que cela traduit la victoire du workfare sur le welfare ?

Ce n’est pas si simple, parce que dans la notion de plus-value, il n’y a pas seulement les idées de travail et d’emploi, même si c’est central pour penser l’aide (en tout cas dans le domaine de l’insertion), la plus value peut être du point de vue de l’intégration sociale, pour redynamiser la personne, et l’inscrire dans un autre fonctionnement. 

Vous faites référence à la notion de parcours, aujourd’hui au cœur des pratiques professionnelles ?

Ce qui est assez nouveau, c’est que des professions soient organisées autour de la notion d’accompagnement

Oui, les professionnels sont aujourd’hui très mobilisés dans le suivi des personnes dans le temps. L’idée de parcours est devenue centrale depuis la fin des années 1980, et s’est peu à peu institutionnalisée. C’est parti de l’insertion des jeunes, lorsque l’on a pensé le chômage des jeunes en dynamique : durant les années 1980, il a été démontré qu’utiliser le repère du chômage à la sortie de l’école comme unique indicateur des difficultés des jeunes n’avait pas grand sens, puisque qu’une grande majorité d’entre eux mettait trois ans en moyenne pour s’insérer sur le marché du travail. Le crédit formation individualisé (CFI) instauré en 1989 pour favoriser l'accès à une qualification reconnue de tous les jeunes sortis du système éducatif sans diplôme, était combiné à la mise en place d’un parcours de formation puis d’accompagnement individualisé. C’est d’abord pour les jeunes que l’insertion a été pensée comme un processus à suivre dans le temps, et c’est à partir du moment où il y a un suivi dans le temps que des ressources sont ouvertes. Ce qui est assez nouveau, c’est que des professions soient organisées autour de la notion d’accompagnement, et que la notion de parcours se soit institutionnalisée : elle permet de penser un avant de l’aide, et un après, qui sera accompagné, encadré, par des professionnels, et dont les effets sur les personnes pourront être mesurés. Cela a modifié la relation des usagers à ces administrations.

Dans les commissions que vous étudiez, il y a du pouvoir discrétionnaire et de l’arbitraire, est-ce gênant ?

Oui, cela pose problème non pas tant au niveau de la commission, parce qu’elle peut avoir une vision de la manière dont elle accepte ou rejette des dossiers (elle sait le nombre de dossiers qui arrivent, peut déterminer un taux d’acceptation ou d’octroi des aides en fonction de leurs caractéristiques). Bien sûr il peut y avoir des dynamiques de délibération qui font qu’un cas passe dans une commission, pas dans un autre. Avec la logique du cas par cas, on ne peut pas s’attendre à une égalité de traitement absolue. Elle a d’ailleurs peu de sens. C’est la raison pour laquelle des Conseils généraux voudraient formaliser les « doctrines morales locales » qui s’élaborent chemin faisant, à travers le jugement produit par les commissions.
Le problème est surtout au niveau du tri des dossiers en amont. Les dossiers doivent être instruits par les professionnels. Or, quand on interroge ces professionnels, on comprend qu’il y a un tri avec une part d’arbitraire. Un jeune demande le FAJ, et selon les situations cela se traduira ou pas par le montage d’un dossier. Ce qui ressort des entretiens, c’est que les conseillers n’aiment pas monter un dossier à la demande du jeune, s’ils ne sont pas convaincus de sa pertinence. Ce qui est légitime n’est pas de demander une aide sociale (sauf en cas de nécessité absolue et avérée), mais de demander un accompagnement. Il y a aussi ce principe très répandu que l’on n’instruit jamais un FAJ au premier accueil. En revanche, ils vont proposer le FAJ à des jeunes qui ne l’ont pas demandé. Cela peut sembler paradoxal, mais la meilleure « demande », celle qui est la plus valorisée par les acteurs du système, est celle qui a été proposée. Du point de vue du conseiller, anticiper les critères de la commission peut de plus amener à ne pas « monter un dossier pour rien ». Sur ces processus de tri amont, nous manquons cruellement de données, nous ignorons par exemple si les conseillers proposent plus de FAJ qu’ils n’en refusent. Cela est vrai pour l’amont de toutes les commissions. En commission nous avons seulement les demandes visibles et visibilisées, qui ont auparavant été acceptées ou proposées. 

Je voudrais finir l’entretien en vous interrogeant sur des voies de transformation : vous qui connaissez bien le FAJ, quel est votre jugement sur la pertinence du dispositif ?

Je m’interroge. Mobiliser autant de moyens en personnes et en temps, pour des sommes attribuées aussi minimes (le montant moyen de l’aide est de 240 euros), avec des résultats aussi incertains, à défaut de pouvoir mesurer s’il y a une égalité de traitement, si c’est efficace, et de surcroit une dose d’incertitude pour les jeunes auxquels on dit « c’est la commission qui décide » sans leur donner d’éléments sur les critères d’attribution…, vous avouerez qu’il y a de quoi se poser la question.

Une solution serait-elle d’instaurer des droits qui se déclencheraient de façon automatique, et ferait, pour rester dans l’aide aux jeunes, qu’en dessous de tel niveau de ressources une aide arrive, même sans l’avoir demandée ?

En ce moment est menée une expérimentation sur la « garantie jeune » qui repose sur une certaine automaticité. C’est un revenu minimum, pour une durée limitée, dans le cadre d’un accompagnement hyper renforcé, à la fois individuel et avec des phases de formation collective, et un montant de la garantie équivalente au RSA socle. J’attends les résultats avec impatience, cela pourrait être plus efficace que le FAJ. Le gros problème reste celui de la définition du public éligible. Comment identifier les « NEET » (Neither in Employment nor in Education or Training) , qui ne sont pas soutenus par leur famille ? Comme la définition sera laissée à l’appréciation du local, on peut s’attendre à de grands débats sur le repérage du public cible.