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L'enjeu du développement des nouvelles technologies dans les collectivités

Interview de Hélène LAMBLING

Illustration d'une boule d'énergie

<< La plupart des réseaux de télécommunication utilisés à l'heure actuelle sont proches de la saturation.. >>.

Hélène Lambling, conseiller technique à la Ville de Lyon sur les technologies de l'information et de la communication dresse ici un historiques des enjeux pour la collectivité du développement des NTIC et répond sur l'importance pour les politiques d'avoir une démarche prospective en matière d'équipement de réseaux.

Interview réalisée pour le Cahier Millénaire3, n°22-sup, pp 5-7

 

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Date : 15/03/2000

Pouvez-vous, à partir de votre expérience propre, dresser un bref historique des enjeux qu’implique pour une collectivité le développement des nouvelles technologies ?

Une société d’économie mixte, ICARE, dissoute en 1999, avait été créée en 1970 pour développer l’informatique dans les collectivités locales. A l’époque, les nouvelles technologies se résumaient à l’informatique comme outil de traitement des tâches administratives. Par la suite, les collectivités ont connu la même évolution que les entreprises privées. Les ordinateurs sont outils de communication par l’intermédiaire des réseaux informatiques.

Les élus ont rapidement compris que les nouvelles technologies n’étaient pas seulement un moyen de mieux traiter les fonctions internes et administratives des collectivités, mais surtout un moyen de mieux communiquer avec les habitants et de leur apporter de nouveaux services. C’est une tendance ancienne en France qui remonte au développement du Minitel. L’année de mon arrivée au sein d’ICARE, en 1993, s’amorçait la période de déclin de la télématique. En même temps il était question du déploiement des autoroutes de l’information.

Cependant, il y avait une sorte de malentendu permanent sur la compréhension du terme lui-même.
Deux camps s’affrontaient au sein des politiques. Pour certains, il s’agissait de construire des infrastructures physiques, à l’instar des voies autoroutières ; il fallait alors équiper le territoire d’un réseau de fibres optiques. Pour d’autres, les infrastructures existaient déjà, les services et les contenus étaient ce qu’il fallait privilégier en priorité. Ce débat n’est toujours pas tranché aujourd’hui.

 

Quelles furent les options retenues par la ville et par la Communauté Urbaine ?

Pour ma part, mon approche fût de proposer aux élus de travailler sur l’impact de la déréglementation des télécommunications pour les entreprises qui était d’une brûlante actualité à l’époque. Il faut rappeler que la loi sur la réglementation des télécommunications n’était pas en vigueur. La seule chose que l’on savait était qu’on aurait à faire face à une offre multiple d’opérateurs privés après l’abandon du monopole par France Télécom, et que cela ne pouvait qu’être bénéfique au tissu économique lyonnais.

Il fallait anticiper une croissance des besoins des usagers à la fois en fréquence de communication et d’utilisation, ainsi qu’une croissance des débits. Conjointement, la Communauté Urbaine à fait réaliser une étude des besoins des grandes institutions publiques (Grand Lyon, ville de Lyon, département, hôpitaux, universités) en réseaux pour la transmission de données et en équipement informatique. Cette étude a permis de se rendre compte que les opérateurs risquaient de construire dans l’ensemble de l’agglomération des réseaux de manière anarchique et d’entraîner des problèmes de sécurité et de gestion quotidienne de la voirie. On se trouvait donc face à des préoccupations contradictoires ; favoriser le déploiement de nouveaux réseaux et freiner ce développement.

Enfin, cette approche comprenait aussi une réflexion sur l’aménagement du territoire. Fort des expériences d’autres villes européennes, on s’est rendu compte que les opérateurs ne desservaient principalement que les zones à forte densité économique et que s’il n’y avait pas d’intervention publique, certains territoires ne seraient pas irrigués. La seule solution pour répondre à ces contradictions était que la collectivité prenne elle-même en main et anticipe sur la construction de ces réseaux, ce que nous avons tenté de faire à travers le projet de création d’un réseau métropolitain. Celui-ci a finalement été abandonné suite aux oppositions de France télécom.

Au bout du compte, les deux grandes orientations que nous avons proposées pour relever ces défis furent :

  • Encourager l’installation de multiples opérateurs de télécommunication pour répondre aux besoins propres de la collectivité, pour anticiper ceux des entreprises, pour veiller à la couverture des zones d’ombre
  • Développer les contenus et les services, pour les besoins propres de la collectivité (services à la population, système d’information géographique à disposition des communes, messagerie, Intranet, Extranet, etc.) et dans le but de déployer un marché et un pôle de compétences dans le domaine des TIC à Lyon.

 

Comment se sont réparties les opérations d’aménagement des réseaux entre collectivité et opérateurs privés ?

Dans le cadre du projet de réseau métropolitain, il avait été envisagé que la collectivité construise uniquement ce qu’on appelle les infrastructures passives de télécommunication, c’est-à-dire le génie civil et les fibres optiques elles-mêmes, et il était prévu que les opérateurs mettent en place eux-mêmes les éléments actifs, c’est-à-dire toute l’électronique qui permet d’utiliser les fibres.

Finalement, la collectivité a décidé de faire réaliser par les opérateurs un réseau mutualisé de télécommunication. De manière concrète et opérationnelle, le Grand Lyon a mis en place un guichet unique, seul interlocuteur des opérateurs, leur proposant de construire leurs réseaux dans les infrastructures déjà existantes, comme le métro ou les égouts. La Communauté Urbaine leur demande un droit de passage pour les infrastructures qu’elle loue.

Par ailleurs, quand un opérateur veut construire une nouvelle infrastructure de réseau, faute d’une déjà existante,
la Communauté lui demande de construire dès le départ des fourreaux vides pour les revendre aux futurs opérateurs. On garde bien l’objectif de partage, de régulation d’utilisation de la voirie, mais on demande aux opérateurs de faire le pré-investissement. C’est un système qui fonctionne bien à l’heure d’aujourd’hui, puisque dix- huit opérateurs construisent des réseaux dans l’agglomération, ont intégré le système et ont signé des conventions avec le Grand Lyon.

 

Qu’en est-il de la couverture des « zones d’ombre » ?

C’est une question qu’on se pose avec les élus depuis longtemps. Dans l’approche qui est la notre aujourd’hui, consistant à passer par les opérateurs pour construire cette infrastructure mutualisée, nous ne couvrons pas un certain nombre de zones qui peuvent être considérées par les élus comme des zones de développement économique prioritaires, mais où la demande ne justifie pas la construction d’un réseau par un opérateur. Il faut peut-être revenir à la stratégie des opérateurs.

Ce sont des entreprises qui jusqu’à maintenant ne cherchaient pas à anticiper sur les besoins. La plupart du temps leur démarche était de prospecter des clients, de signer des contrats et ensuite de construire la liaison dont ils avaient besoin pour remplir leurs obligations. Ils se cantonnaient aux zones où il y avait des demandes fortes et déjà exprimées, sans anticiper sur le développement des besoins à venir. Ce comportement est en train d’évoluer, on rencontre désormais des opérateurs qui contribuent à une meilleure couverture de l’agglomération par les réseaux.

 

Cette situation implique-t-elle de la part des politiques d’avoir une démarche prospective et incitatrice ?

En effet, l’approche politique est différente, elle anticipe sur les besoins et cherche à compenser l’absence de réseaux dans les zones non couvertes en y installant des bâtiments pour les start-up, des entreprises dans le domaine des nouvelles technologies ou en essayant d’encourager le développement de pôles de compétences. On essaye de jouer sur d’autres facteurs d’attraction des entreprises dans ces zones.

Cependant, réglementairement, il est laissé peu de latitude aux politiques pour être incitateur. La loi de réglementation des télécoms ne prévoit pas l’intervention des collectivités locales dans le déploiement des réseaux sur leur territoire. La seule chose qu’elles peuvent faire est de donner une autorisation de voirie aux opérateurs qui les sollicitent, dans un délai de deux mois pour formuler leur réponse ; si elles n’ont pas répondu dans les deux mois, l’opérateur déploie son réseau sans attendre son autorisation.

Donc les pouvoirs d’une collectivité sont extrêmement restreints et non coercitifs. C’est pourquoi, dans de nombreuses agglomérations, le débat se porte aujourd’hui sur la création par les collectivités elles-mêmes de réseaux dans les zones non desservies, ce que dénonce France Télécom en arguant que les collectivités ne sont pas des opérateurs ; celles-ci se défendent en protestant faire leur métier d’aménageurs. Si Lyon fut l’instigatrice de ce débat, elle l’a momentanément abandonné au profit d’une autre solution qui lui convient parfaitement.

Même sans l’intervention de la collectivité, Lyon a la chance d’être une ville où les opérateurs ont envie de s’implanter. Ce qui restait à faire était d’organiser le déploiement des réseaux, le système de guichet unique mis en place permet d’y répondre, bien que la convention entre la collectivité et les opérateurs fut très difficile à faire admettre au départ à ces derniers. Maintenant, elle est tout à fait rentrée dans les mœurs, et les opérateurs eux-mêmes recommandent aux autres agglomérations en France d’utiliser la même procédure.

Enfin, il existe encore une autre solution qui est d’inviter les opérateurs privés à construire eux-mêmes des infrastructures de génie civil et à les louer à d’autres opérateurs, dans ce cas, la collectivité peut les inciter à passer dans les nouvelles zones de développement économique. L’idée initiale de mutualisation entre toutes les
institutions de l’agglomération, dans le cadre du projet de réseau métropolitain a été abandonnée, mais cela est peut-être un mal pour un bien, en ce que la multiplication des appels d’offres a un effet incitatif sur le milieu économique et va pouvoir permettre de compléter les réseaux existants.

 

La capacité actuelle des réseaux sera-t-elle suffisante pour absorber la croissance exponentielle des informations échangées sur l’Internet ?

C’est moins le poids des informations échangées que la croissance du nombre d’utilisateurs et l’usage individuel intensif de l’Internet qui rend nécessaire de s’équiper de réseaux à haut débit. Si l’on essaie de faire une balance entre les contenus et les réseaux, la plupart de ceux utilisés à l’heure actuelle sont proches de la saturation et seront insuffisants dans un temps très court.

Il devient urgent d’anticiper sur cette croissance. Les opérateurs répondent à cet impératif en installant de nouvelles fibres et de nouveaux réseaux. Pour les liaisons interurbaines, les sociétés autoroutières ont installé le long des autoroutes des fibres optiques qu’elles louent aux opérateurs. Cependant, elles ont déjà dû doubler, voire tripler leur capacité d’origine, et ce n’est pas fini. De même, les projets de boucles locales radio (sans fil) pour les zones urbaines et les investissements énormes prévues dans les liaisons par satellite témoignent de la nécessité, pour les professionnels, d’accroître la capacité des réseaux pour faire face à l’augmentation rapide des besoins.