Vous êtes ici :

L'aventure du métro lyonnais

Interview de René GIMBERT

<< Au-delà du seul aspect fonctionnel, notre ambition était de prévoir et d’organiser l’influence du métro sur la ville >>.

Interview de René Gimbert, architecte-urbansite, ancien architecte-urbaniste conseil de la SEMALY.

Avec son associé Jacques Vergély, il se passionne dès la fin de ses études pour les métros et leur impact sur l’urbanisme. Il devient architecte-conseil de la SEMALY et participe aux études et à la réalisation des lignes A, B, C et D. Il fonde parallèlement avec son associé l’agence d’architecture et d’urbanisme Gimbert-Vergély qui diversifiera ses projets et construira beaucoup dans la région puis en France. On leur doit notamment l’Hôtel de Communauté Urbaine de Lyon, de nombreux ensembles tertiaires et d’activités  , des locaux d’enseignement et de recherche, des équipements culturels, sportifs, hospitaliers  , des restructurations prestigieuses comme la CCIL, le Palais de Juridictions locales ou l’ENSSIB, de nombreuses plates-formes logistiques sur tout le territoire national, des équipements hôteliers et enfin plus de 20 000 logements en Rhône-Alpes.

 

40 ans du Grand Lyon, un récit à partager :
Après avoir été créée comme une communauté de moyens il y a 40 ans de cela, sous l’impulsion de l’Etat, le Grand Lyon constitue aujourd’hui une communauté de projets autonome, reconnue pour son efficacité dans la gestion d’un territoire qui regroupe 57 communes et plus de 1,3 millions d'habitants. Cette collectivité reste en devenir et l’enjeu est désormais de constituer une véritable communauté de destin, inscrite dans le grand bassin de vie de l'agglomération qui regroupe plus de 2 millions d'habitants. La Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon a engagé un travail de fond visant à écrire une première histoire de l’institution. Cette interview constitue l’un des éléments de cette histoire, mémoire encore vivante de l’agglomération.

Réalisée par :

Tag(s) :

Date : 11/01/2008

Votre thèse d’urbanisme est-elle en lien direct avec l’aventure du métro lyonnais  ?

Oui, elle s’intitulait « Vers des systèmes structurateurs de communications urbaines ». Les idées développées montraient que le métro est un élément catalyseur, générateur de développement urbain. En fin de thèse on avait choisi d’en donner une illustration sur le site de Bron. A l’époque, 1000 hectares devaient se libérer du fait du transfert de l’aéroport de Bron à Satolas. Dans ce contexte, nous avions imaginé une desserte métro au cœur de l’Est lyonnais. Pour une fois, l’infrastructure transport aurait été concertée avec l’urbanisation : autour de trois grandes stations aériennes étaient greffés des unités d’habitation, un centre commercial, la foire de Lyon, un parc d’attractions, un nouveau campus universitaire ; bref à peu prés tout ce qui s’est construit depuis, de manière disparate et plutôt mal desservi par les transports communs. Nous avons jugé alors que la meilleure façon d’expliciter nos idées, sur un métro structurateur était de détailler une de ces trois stations-centre à l’occasion de notre diplôme d’architecte, présenté à l’école d’architecture de Paris parallèlement à notre thèse d’urbanisme, soutenue à l’institut d’urbanisme de l’université de Paris.

 

Et le métro imaginé était aérien ?

Oui, car on était dans un secteur peu construit où l’on pouvait tout imaginer. Autour de la station de métro, en bordure des quais, il y avait un centre commercial sur plusieurs niveaux, un équipement culturel, un pôle de cinéma et des groupes d’habitations assez denses en périphérie.

 

Pour ce diplôme, étiez-vous connecté aux réflexions du réseau du métro des Ponts et Chaussées ?

Non, pas encore, c’est plus tard que René Waldmann, ingénieur X-ponts à la DDE, en charge des études préliminaires du métro de Lyon a eu connaissance de notre thèse et de notre diplôme, au travers de plusieurs articles parus dans la presse. On avait simplement pris en compte les idées de « ceinture verte » prônées par Charles Delfante et Jean Meyer pour contenir l’urbanisation spontanée. On considérait que le métro desservirait forcément le cœur de la banlieue Est et les 1 000 hectares sur lesquels nous avions jeté notre dévolu. Nous avions imaginé des quartiers denses polarisés autour des trois stations couvrant ces nouveaux territoires.
L’espace interstitiel constituait une partie de la ceinture verte prévue au SDAU. C’était l’occasion de structurer la banlieue et d’éviter l’urbanisme diffus. Par la suite, la décision de maintenir l’aviation d’affaires sur le site de Bron a rendu notre projet parfaitement utopique.

 

Pour en revenir à votre thèse, vous aviez fait un comparatif des différents métros dans le monde ?

Oui. La station de métro de notre diplôme illustrait les idées développées dans la thèse. Il était alors intéressant d’analyser par comparaison les différents métros réalisés dans le monde. Depuis le métro de Paris, qui est le prototype du métro strictement fonctionnel, en passant par celui de Tokyo, où cette fonction est portée à l’extrême : on pousse les gens dans les rames pour plus d’efficacité ! Heureusement, il existait des tentatives plus sympathiques comme les métros de Milan, Stockholm, Vienne ou Montréal, avec des amorces de développement urbain concertées autour des stations. Le métro de Vienne était le plus intéressant à mon avis. C’est un tramway enterré dans le centre, sous des avenues très larges, permettant des ouvertures à ciel ouvert. On trouve au droit des quais, des boutiques et des commerces de service, etc…. Quand on attend, on est disponible pour regarder une vitrine, acheter un bouquin ou des journaux, etc. Cette idée nous intéressait ! A Montréal, les galeries marchandes souterraines se sont développées surtout en fonction de la rudesse du climat, mais aussi pour améliorer la desserte du métro. Et à l’évidence cela marchait bien.

 

Cet aspect de développement urbain volontariste et optimiste, était-ce en liaison avec le SDAU et les perspectives de l’époque ?

Non, notre approche était très théorique. Nous étions influencés par les idées innovatrices d’un urbaniste américain, nommé Christopher Alexander. Dans un article intitulé «  he city is not a tree » (1965), il expliquait que la ville s’analyse en terme de réseaux et non pas d’arborescence. La ville serait la résultante de la superposition de nombreux réseaux : communications en tous genres, fonctions de toutes sortes, contraintes physiques humaines, etc. Pour le futur métro lyonnais, au-delà du seul aspect fonctionnel, notre ambition était de prévoir et d’organiser son influence sur la ville, son interactivité avec les autres réseaux de la ville.

 

La relation transports-urbanisme paraît évidente dans l’urbanisme aujourd’hui ?!

Maintenant oui, mais à l’époque de la conception du métro, ce n’était pas le cas du tout !
D’un coté, les urbanistes avaient leurs propres logiques. Densité, zonage, identités géographiques, opportunité foncières, etc…D’un autre côté les grandes infrastructures de transport étaient sous la responsabilité du Ministère de l’Equipement et des Transports. Ainsi, à la DDE, René Waldmann avait dessiné et comparé différents réseaux de métro en fonction de coûts de réalisation, d’exploitation et d’études de trafic. Son collègue Michel Prunier avait couvert l’agglomération de projets d’autoroutes urbaines (Liaison A6 / A7 / A43 / LY1 / LY2 / etc) sans grande concertation avec les urbanistes, mais plutôt à l’instigation du maire de l’époque Louis Pradel dont le modèle de ville était Los Angeles.
Louis Pradel était fier d’avoir obtenu la liaison A6/A7 en centre ville sans un feu rouge. Il s’est beaucoup investi pour arracher à l’Etat la décision de réaliser un métro à Lyon. Cependant, je suis à peu prés sûr que dans son esprit, il s’agissait surtout de désengorger le centre ville pour permettre aux voitures de mieux circuler. En tous les cas, il n’a jamais souscrit à l’idée d’un métro structurateur. Sans la volonté et la force de conviction de René Waldmann, le métro de Lyon serait tout simplement à l’image du métro parisien, c'est-à-dire strictement fonctionnel.

 

Vous travaillez donc presque à temps complet pour la SEMALY dès 1968 ?

Oui, à cette époque, René Waldmann était en train d’installer la SEMALY. Il avait eu connaissance de notre travail par la presse. Il m’a alors proposé d’être l’urbaniste-conseil de la toute jeune Société d’étude du métro. J’étais contractuel, avec une mission à temps partiel car je ne voulais pas consacrer toute mon activité professionnelle au seul métro ! Au début de la SEMALY nous étions en petit comité : René Waldmann, également à temps partiel, une secrétaire, un administratif, un ingénieur des TPE, Joseph Ferrand. Plus tard un ingénieur INSA a rejoint l’équipe pour affiner les études de trafic.

Nous avons commencé à faire des plaquettes de sensibilisation pour expliquer que le métro devait être étroitement associé aux développements urbains, à l’armature commerciale et tertiaire de la ville, à des rues piétonnes, etc… Notre idée était de révéler la richesse et l’imbrication des réseaux qui structurent la ville et de favoriser leur épanouissement avec le métro.

 

C’est la SEMALY qui a réalisé les études légitimant la logique d’un réseau métropolitain ?

Oui. J’intervenais en assistance pour renseigner et comparer sur le plan urbanistique les différentes possibilités de réseaux. Nous avions réalisé une cartographie sur l’état du bâti, la mutabilité des terrains, les densités de population et d’emplois, etc…

 

Ce n’était pas fait par l’atelier d’urbanisme ?

Si, mais à une échelle plus globale. Nous avions besoin d’études plus fines à l’échelle des quartiers. Nous voulions savoir où se trouvaient les concentrations d’habitants et d’employés, mais aussi les plus fortes potentialités de développement. Un moyen de transport lourd comme le métro doit passer là où il y a beaucoup de monde dans le présent et à terme. Par exemple, il fallait prévoir la montée en puissance de la Part Dieu et se projeter dans l’avenir.

 

De toutes les hypothèses envisagées, le réseau « en H » se justifiait parce qu’il fallait desservir en une fois la Presqu’île et la Part Dieu ?

En effet, le ministère souhaitait pour Lyon un réseau simple et économique avec une seule traversée du Rhône. En outre, il était séduisant d’affirmer la centralité de l’agglomération par un tronc commun reliant directement les centres ancien et nouveau. Mais le maire de l’époque, Louis Pradel, qui avait une forte personnalité a dit : « Non, le métro doit passer sur le tracé de la ligne 7, qui est la ligne actuellement la plus chargée du réseau ».

 

C’est le maire qui a imposé ce tracé ?

Oui, il était président de la SEMALY et il entendait faire passer le métro là où il y avait des encombrements ralentissant la circulation des bus et des voitures.

 

Et il a eu le dernier mot ?

Ça a donné lieu à pas mal de discussions… La SCET, actionnaire de la SEMALY, à l’époque très impliquée dans l’urbanisme était favorable au réseau « en H ». Charles Delfante de son côté était convaincu que c’était bien d’avoir un tronc commun reliant le centre ancien et le centre nouveau. Enfin un jour, au conseil d’administration de la SEMALY, cette solution a été mise en avant. Louis Pradel, qui était quelqu’un de très direct, défendant des idées basiques, a alors quasiment imposé sa solution arguant du fait que la ligne de bus 7 était la « vache à lait » du réseau TCL. Ce jour là, à part René Waldmann, personne n’a osé défendre le réseau « en H ». La cause était entendue !

 

René Waldmann m’a dit que le tronc commun du réseau en H ne plaisait pas non plus aux ingénieurs de la RATP ?

C’est vrai que c’était nouveau et plus compliqué à gérer, mais c’était l’occasion d’une avancée. De toute façon le maire ne démordait pas d’un tracé selon la ligne 7 desservant la Presqu’île longitudinalement, traversant le Rhône au droit de la place Maréchal Lyautey et suivant successivement les cours Franklin Roosevelt, Vitton et Emile Zola, jusqu'à Villeurbanne. Il fallait absolument que la première ligne passe par deuxième ville de l’agglomération pour être politiquement correcte.

La SEMALY a alors changé d’optique. Les centres ancien et nouveau ne seraient pas reliés directement, mais maillés sur une boucle desservant à terme : la Presqu’île, le cours Vitton, la Part-Dieu et la Guillotière, etc. Cette boucle dessert un centre élargi sur laquelle vient se greffer différentes antennes. En fin de compte, un réseau avec deux traversées du Rhône, plus ambitieux que ne l’était le réseau « en H » ! Ce dernier était très bien à court terme mais ne permettait pas de développements ultérieurs aussi riches. C’est donc sur cette base que la ligne A s’est inscrite, depuis la station Perrache jusqu’à la station Bonnevay. Une fois que le tracé de la première ligne a été déterminé, on a fait des études de plus en plus détaillées sur son environnement et sa zone d’influence.

 

C’est à ce moment là que vous imaginiez les 50.000 m² de surface commerciale souterraine ? Par rapport aux 110 000 m² du centre commercial de la Part Dieu, ça paraît énorme !

L’objectif pour nous était de revitaliser la presqu’île qui donnait des signes de vieillissement par rapport à la Part Dieu. Il s’agissait de créer des centres de proximité au droit de toutes les stations. Les mètres carrés proposés n’avaient d’ailleurs pas tous une vocation commerciale, mais s’inspiraient des besoins du quartier. La réalisation du métro était aussi l’occasion de susciter l’évolution des aménagements de surface. Ainsi la Presqu’île était le quartier idéal pour réorganiser les différents modes de déplacement : les piétons et le métro au centre et les voitures en périphérie. Nous privilégions le métro sous la rue Edouard Herriot, qui nous paraissait plus centrale et plus à l’échelle d’une rue piétonne que la rue de la République, choisie ultérieurement par les entreprises lors du concours d’ensembliers.

 

Les rues piétonnes sont imaginées à la SEMALY ?

Oui… mais d’emblée les commerçants n’en ont pas voulu ! Le maire de Lyon a confirmé : « Tant qu’il y aura un commerçant qui ne sera pas d’accord, on ne fera pas de rue piétonne ! » Il était très pragmatique ! Pour le maire, les rues piétonnes avaient mauvaise image…il avait des contre-exemples en tête.

Nous n’avions qu’une force de proposition et non pas de décision. On s’était donc fait à l’idée de reconstituer les chaussées à l’identique après la réalisation du métro en tranchée ouverte. Néanmoins nous avons organisé des réunions d’information pour montrer des exemples de rues piétonnes réussies. Finalement, au dernier moment, les commerçants de la presqu’île sont allés voir le maire pour lui dire leur accord unanime pour des aménagements piétonniers liés au métro. On a dû intégrer en catastrophe ce revirement et les rues piétonnes ont été conçues et aménagées à la hâte aux frais de la SEMALY.

 

Comment imaginiez-vous l’intégration des stations de métro avec les locaux commerciaux à Lyon ?

On avait imaginé des stations où les deux quais étaient décalés en hauteur pour permettre des prolongements en largeur : des stations en duplex en quelque sorte. On arrivait à concilier plusieurs contraintes : la faible profondeur des infrastructures, la perméabilité transversale des stations et la grande largeur des quais. Comme les rues à Lyon sont souvent étroites, on voulait que les quais soient malgré tout assez larges pour accueillir des activités commerciales ou de service.

Nous pouvions ainsi proposer des développements commerciaux, beaucoup moins contraints que dans des stations classiques à quais latéraux étroits… Ce plan-type était en particulier réservé aux stations limitées en largeur entre deux alignements figés, comme Massena, Charpennes ou République… Par contre, dans des sites moins enclavés nous n’hésitions pas à investir l’espace. Ainsi Place Bellecour, une galerie marchande liée au métro devait s’étendre sous la moitié Est de la place, faisant le lien entre les deux rues piétonnes au Nord et au Sud et le parking Bellecour à l’Ouest… On ne doutait de rien à l’époque !

Le gouvernement a considéré que ce programme était trop onéreux. Pour modérer les ambitions lyonnaises il a organisé un concours international portant non seulement sur la construction du métro mais sur les équipements et le matériel roulant… A ce concours international ont répondu des groupements japonais, allemands, italiens et français. La compétition a eu lieu sur le
« package », à l’intérieur duquel les stations de métro étaient plutôt marginales…Notre station-type, annexée au programme, a vite été écartée par les groupements d’entreprises qui visaient tous le moindre coût.

 

Le concours était donc réducteur, imposé pour des raisons financières. Qui a rédigé son programme ?

A mon avis, c’est sur les recommandations du Ministre des Transports et de la SCET, présente au conseil d’administration de la SEMALY que René Waldmann a dû fixer les bases du programme. La conception des stations était orientée par  un « projet guide », mais néanmoins ouvert à des variantes.

 

L’urbanisme structurant avec stations équipées, c’était une solution trop coûteuse dans le cadre du concours ?

Oui mais il faut relativiser. Par exemple, la ligne A du métro lyonnais, avec ses 15 stations a coûté le même prix que la seule station « Aubert » du RER parisien construite à la même époque. Pour réduire le budget on a dû « serrer la vis » de partout et c’est le groupement ayant proposé l’infrastructure la plus superficielle, donc la plus économique, qui a été retenu.

Du coup à la SEMALY on a forcé le trait en exploitant l’idée que les quais de station pouvaient apparaître comme le prolongement des trottoirs. Ainsi, on a prescrit de l’asphalte sur les quais, comme en surface. Quand vous descendez en station, c’est la même sensation, c’est un matériau au contact plus souple et moins glissant que la pierre. D’ailleurs, pour accentuer le côté « prolongement de la rue », la SEMALY a d’abord opté pour un accès libre. Les usagers n’avaient pas à franchir des tourniquets plus ou moins rebutants. Le syndicat des transports en commun avait accepté cette disposition notamment pour accélérer la fréquentation… Aujourd’hui devant la montée en puissance du trafic et de la fraude, l’exploitant en est venu à des systèmes de contrôle plus classiques.

 

Une fois le concours passé et le lauréat désigné, qu’avez vous imaginé pour la première ligne du métro ?

Les différents groupements d’entreprises s’étaient surtout mobilisés sur le matériel roulant et l’infrastructure générale. Pour eux, une station c’était la section courante avec des quais de part et d’autre et c’est tout !

Le conseil d’administration a considéré que les études de station réalisées en amont du concours étaient intéressantes, même si elles étaient un peu trop ambitieuses. Entre temps, nous avions développé notre agence et notamment gagné le concours pour la réalisation de l’Hôtel de la Communauté urbaine. Le conseil d’administration nous a alors demandé d’affiner les études de stations pour les améliorer, tout en ayant l’économie à l’esprit. Je me souviens de l’enveloppe financière impartie pour le second œuvre : c’était  600 F du mètre carré de quai circulable. C’était dérisoire comparé aux stations de la ligne D qui ont coûté 4 à 5 fois plus cher en francs constants...

C’est donc notamment par rigueur budgétaire que l’on a opté pour des solutions comme l’asphalte. En contre partie, on a obtenu d’investir davantage sur les parois. On a dû également s’accommoder d’un éclairage réduit. Les groupements d’entreprises avaient prévu 200 lux au mètre carré.  On a réussi à obtenir le double sachant que la lumière du jour…c’est 2 à 3000 lux.

Comme on ne pouvait pas financer des faux plafonds complets, on a prescrit des lames verticales en aluminium disposées transversalement tous les 60 cm, pour intégrer facilement des luminaires spécifiques et éviter ainsi l’éblouissement. Sur les parois on a disposé des caissons lumineux supports d’information et de publicité apportant quelques lux supplémentaires. Des crémaillères rythmant les parois, tous les 1,20 mètre ont permis d’accrocher et de moduler la densité des caissons en fonction de l’intérêt publicitaire du moment. Ainsi l’ambiance n’était pas figée. Dans leur grande simplicité, les stations des premières lignes vieillissent aussi bien, sinon mieux que les stations qui ont été réalisées avec beaucoup plus de moyens par la suite…Quelque fois l’économie est une contrainte qui peut générer des solutions pertinentes…

 

René Waldmann m’indiquait que les galeries marchandes ne plaisaient pas non plus au maire ?

Elles ne plaisaient pas au maire parce qu’elles ne plaisaient pas à certains commerçants qui y voyaient de la concurrence. Alors qu’elles représentaient une opportunité pour redynamiser le commerce de centre ville. Il a été courageux de la part de René Waldmann de permettre malgré tout des réservations dans un certain nombre de stations. A Bellecour par exemple les quais sont surdimensionnés pour accueillir quelques commerces.

On s’est aussi efforcé d’adapter les stations aux caractéristiques du quartier desservi et de certaines opportunités. Par exemple pour la station Perrache, le centre d’échanges était à l’étude et la SEMALY, à mon instigation, a milité pour une station de métro en surface et les voies autoroutières en sous-sol. Ce qui était exactement l’inverse du projet de base de l’atelier d’urbanisme et de l’architecte René Gagès. Pour eux, le métro devait être classiquement en sous-sol et la voirie au niveau du débouché du tunnel ! Dans notre solution qui a été finalement adoptée, les quais de la station et sa couverture constituent un palier intermédiaire pour rejoindre le parvis de la gare surélevée. Le pôle commercial a été réalisé ainsi en contact direct avec la station de métro. Voilà un cas de figure où les idées développées dans la thèse et dans le diplôme ont trouvé une expression.
 

Financièrement, le bailleur du commerce participe à une part du financement du métro ?

Oui. En tant qu’urbaniste pur et dur, on disait : la collectivité investit dans un moyen de transport lourd et coûteux, l’une des manières de le rentabiliser, c’est de faire des réserves foncières, d’acquérir des terrains à proximité pour les revendre après, avec une forte plus value une fois équipés et bien desservis…C’est le processus des ZAC et des PAE qui se sont développés par la suite.

 

On imaginait aussi une agglomération de deux millions d’habitants en 2000 donc prévoir un métro structurant paraissait logique ?

Oui. Dans cette perspective, le parti développé dans notre diplôme, avec ces stations-centres sur le site de Bron aurait été quelque chose de fantastique, au lieu d’avoir Eurexpo et l’université complètement isolés…On aurait pu imaginer tout ça bien organisé…mais encore une fois, l’urbanisme, c’est un compromis permanent : il faut composer, gérer, s’adapter aux décisions politiques, aux opportunités…

A Bonnevay, on avait carrément prévu de faire une tour de 30 étages reliée directement au métro et à un parking de dissuasion. A la Part Dieu où la gare SNCF n’était pas d’actualité, nous avions implanté la station idéalement sous le centre commercial pour distribuer les piétons dans toutes les directions dans l’ambiance agréable des galeries marchandes.

 

Dans votre travail, un élément remarquable est la simultanéité de réflexions à plusieurs échelles, de l’urbanisme à l’architecture des stations en passant par les études sur le tracé du réseau.

Oui, nous avons participé aux études d’urbanisme, aux études de réseaux, aux analyses de quartiers et des zones d’influence, à l’aménagement des stations, à la signalétique et jusqu’à la création de mobilier urbain.

 

Vous étiez dans la modernité de l’époque ?

Clairement ! Et cette modernité ne s’est pas démentie. Le maillage du métro avec le contexte, la continuité avec les cheminements de surface, l’interactivité entre les différentes fonctions du centre d’échanges même si ce dernier n’est pas idéalement placé. Tous ces éléments rendent d’énormes services et constituent une spécificité lyonnaise.

 

Pouvez-vous nous détailler les éléments composant les stations de la ligne A ?

Sans trop grever notre budget, on a mis l’accent sur un traitement de qualité pour tous les accès. Il s’agissait de faciliter le repérage et de donner une bonne image du métro sur des points de passage obligés limités en surface développée. Ainsi les parements des « bouches » de métro sont en pierre. C’est du Kotastone, une pierre indienne très chaleureuse qu’on a également utilisée pour le forum de l’Hôtel de Communauté urbaine.

Comme la plupart des stations sont à quais latéraux, pour éviter d’avoir une saignée trop importante dans l’axe du volume général, nous avons prévu des voiles porteurs centraux, ajourés à hauteur d’œil, et pleins en partie basse pour masquer la moitié des voies. Ça change tout par rapport au volume d’une station traditionnelle où la vision des voies est prédominante.

Toujours à la recherche d’économies dans le cadre de notre budget de 600 F du mètre carré, nous avons récupéré en solde un lot de céramique grand format, un matériau habituellement très cher. Nous l’avons utilisé dans la station Foch. Cette anecdote montre qu’on a pu introduire de la variété au moindre coût !

Nous avions ce souci de la diversité par les matériaux de parement verticaux, par les fluctuations de la publicité et par l’effet de surprise de quelques vitrines et de quelques œuvres d’art judicieusement placées. Ainsi les usagers ne se lasseraient pas des lieux. En même temps, nous voulions une certaine cohérence dans les stations. Elles donnent le sentiment d’appartenance à une même ligne, à une même institution, ce qui n’est plus tout à fait le cas pour les stations les plus récentes. Tous les sols étaient en asphalte, tous les murs de quai étaient rythmés par des crémaillères verticales au pas de 1,20 mètre, permettant des variations dans l’accrochage. Même si les revêtements muraux étaient différents il y avait malgré tout, un esprit d’ensemble. On avait sélectionné trois types de revêtements muraux répondant à un cahier des charges : la brique, la céramique et le stratifié… Nous étions en charge de l’ensemble du second œuvre, y compris la signalétique. Pour plus de convivialité certains caissons publicitaires étaient transformés en « miroirs ». Ils sont d’ailleurs toujours en place et apportent une note insolite et personnalisée à peu de frais. Pour la signalétique extérieure, nous avions travaillé avec Jean-Pierre Grundfeld, de Publicis. Notre collaboration avait abouti aux portiques extérieurs en continuité avec les garde-corps et les plans de réseaux. Le bandeau des portiques indiquait le nom de la station et surtout la direction, étant donné l’absence fréquente de mezzanine pour distribuer les deux quais. Nous avions choisi la couleur orange très en vogue à l’époque. C’était la couleur institutionnelle du métro, y compris pour les rames. A l’époque on ne craignait pas les couleurs vives ! C’était pas mal pour égayer « Lyon la Brumeuse » !

Comme l’intégration aux quartiers par les commerces et les services a été un demi-succès, on a imaginé de faire descendre l’esprit de la ville dans les stations au travers de nombreuses œuvres d’art. Pratiquement deux stations sur trois sur lesquelles nous sommes intervenus, comportent des œuvres d’art. A l’époque c’était une innovation ! On s’est beaucoup appuyé sur deux personnes, Jean Jacques Lérand et René Déroudille, journalistes et critiques d’art reconnus.

 

Comment s’opérait la sélection des œuvres d’art ?

Il y avait une commission de sélection, dont ils faisaient partie en même temps que quelques élus, René Waldmann et moi-même. On invitait des artistes à faire  des propositions. Ce n’était pas un concours organisé formellement…on discutait avec les artistes. Puis un consensus se dégageait avec toujours le souci de la meilleure intégration à l’architecture des stations.

 

A partir de quand n’avez-vous plus été impliqué dans les réflexions du métro ?

Pendant toute la période que je viens de décrire, la SEMALY agissait en tant que maître d’ouvrage et maître d’œuvre avec une équipe restreinte dont je faisais parti. Pour la première ligne c’était judicieux car le budget n’était pas arrêté, pas plus que la décision ferme de lancer les travaux. Celle-ci a progressivement été induite par une série de réservations pour le métro dans les infrastructures de la Part Dieu, en particulier celles du centre commercial, de la tour du Crédit Lyonnais et de l’opération Bonnel - Servient. Dans un tel contexte, il fallait être souple, agir vite avec une grande force de conviction. Après la réalisation des premières lignes, le contexte était différent, les extensions étaient programmées et budgétées. Le SYTRAL assurait la maîtrise d’ouvrage et les élus locaux s’impliquaient davantage.

Après les lignes A, B et C dont nous avions conçu les 25 stations, il y a eu un désir de changement et de répartition de la commande. Henry Chabert, alors responsable de l’urbanisme à Lyon et à la Communauté Urbaine, a milité pour que chaque nouvelle station soit confiée à un architecte différent avec un thème inspiré du quartier. Par exemple, pour la nouvelle station de correspondance Bellecour, il suggérait d’évoquer les drapés rouges du théâtre des Célestins. La SEMALY nous a alors confié le soin, pour l’ensemble de la ligne D, de définir les dispositions communes à toutes les stations : éclairage, trame de 1.20 mètre sur les quais, locaux techniques et d’exploitations, signalétique, etc. Nous avons gardé la maîtrise d’œuvre de cinq stations de la ligne D : chacune des autres a été confiée à un architecte différent dans le respect des dispositions communes mais avec une forte volonté de différenciation. Pour notre part, nous sommes restés fidèles à l’ouverture sur l’extérieur et l’esprit du quartier comme à « Lumière » et « Sans Souci » et à l’accueil de fonctions collatérales au métro comme à « Grange Blanche » et « Bellecour ». Dans tous les cas nous n’avons jamais cédé à des tentations décoratives. D’ailleurs les étrangers qui visitent le métro lyonnais sont sensibles à la variété des ambiances qui s’intègre néanmoins dans un esprit d’ensemble.

 

Par rapport à vos ambitions de restructurer la ville sur elle-même, comment voyez-vous l’impact du métro avec du recul ?

On est loin d’avoir pu mettre en pratique toutes nos idées. Mais elles étaient tellement ambitieuses qu’il en reste malgré tout des traces importantes. La presqu’île a été revivifiée par des stations attrayantes et de nombreux prolongements piétonniers. Elle a pu ainsi résister à la concurrence de la Part Dieu. La station Perrache a permis de relier la gare à la ville malgré le faisceau de voies routières et autoroutières. Des places ont pu être crées ou restructurées comme les places Louis Pradel, Charles Hernu, Maréchal Lyautey, d’Arsonval et Guichard…ainsi qu’une partie de la rue Moncey,… Des axes comme le cours Emile Zola ou le cours Albert Thomas ont changé de visage avec de nombreux programmes de logements, de bureaux et d’hôtels.