Les travaux sur le non-recours montrent que le temps de la relation est décisif. A côté du non-recours par méconnaissance ou incompréhension, le non-recours frictionnel est important, c’est-à-dire d’abandon de droits dès lors que le bénéficiaire potentiel a eu un contact avec les opérateurs des politiques sociales. C’est là qu’il est utile de chercher à comprendre à la fois l’espace psychologique dans lequel les personnes inscrivent leurs démarches mais aussi les formes de ressources psychosociales qu’ils ont à disposition (solidarités intrafamiliales, etc.), pour ajuster l’action et la manière dont les professionnels vont présenter, proposer, et rendre disponible des droits.
Il est évident que la contre-demande fait fuir, a fortiori quand elle se présente sous la figure du projet. Une personne vient faire une demande, et en retour on lui demande quelque chose, remplir un dossier, faire montre du projet qui devrait exister derrière sa demande, donc finalement de justifier sa demande, non par le présent, mais par le futur. Si on dit « ce n’est pas juste pour vous nourrir que l’on vous donne un colis, derrière on a un projet pour vous, on va construire un projet ensemble », cela peut faire fuir… Quand les travailleurs sociaux en prennent conscience, ils sont assez terrifiés, ils ont le sentiment que si on enlevait la logique du projet, on supprimerait le sens propre de leur action. Toute la question est alors : comment peuvent-ils conserver ce sens, tout en ne le mettant pas dans la relation ? C’est compliqué, parce que cela va venir interroger la confiance. La confiance, c’est déposer quelque chose en l’autre, que je peux retrouver, si je le revois plus tard ou ailleurs. Or la confiance n’est pas quelque chose de pertinent pour les personnes les plus en difficulté, parce qu’il n’y a pas de plus tard ni d’ailleurs, elles sont assez souvent dans l’aujourd’hui, dans l’immédiateté. Y compris au regard des droits eux-mêmes : je ne sais pas ce que je vais obtenir, et combien de temps j’obtiendrai ce que j’obtiendrai, je ne me projette pas dans ces droits sur la durée, il y a là un vrai différentiel de perception avec le travailleur social.