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Le rôle primordial des utilisateurs dans le processus d'innovation

Interview de Marc Giget

Marc Giget, EHESS, Panthéon-Sorbonne
Docteur en économie

<< Le vrai mouvement d'ouverture de l'innovation, qui balaie la planète actuellement, est la co-conception avec les utilisateurs, pouvant aller jusqu'à la délégation de conception >>.

Marc Giget est diplômé de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et Docteur en Economie Internationale / Economie du développement (EHESS –Panthéon/Sorbonne).

De 1973 à 1983, il crée et dirige le SEST, groupe de recherche sur les problèmes Sociologiques, Économiques et Stratégiques liés aux Techniques nouvelles. Il y dirige des travaux sur la gestion de la technologie, l'innovation et la dynamique de développement des entreprises dans le monde.

En 1983, il crée Euroconsult, groupe de recherche, d'études et d’évaluation indépendante (due diligence), de grands projets d’innovation, qui fournit depuis des services à plus de 600 clients dans 60 pays. Jusqu'en 1997, il est Directeur Général et Scientifique d'Euroconsult.
En 1998, Marc Giget est élu Professeur Titulaire de la Chaire d'Économie et Gestion de la Technologie et de l'Innovation au Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris (CNAM). Il y est responsable des enseignements de gestion des processus d'innovation. Il quitte le statut de fonctionnaire de l’Education Nationale en 2007 pour se consacrer à l’IESCI.
En 2001, Marc Giget lance à Paris Les Mardis de l’Innovation, cours/conférences en format ouvert et gratuit sur les cultures de l’innovation et le retour d’expérience des entreprises et organisations les plus performantes au monde, diffusés dans plus d’une centaine de pays.

En 2002, il crée l’Institut Européen de Stratégies Créatives et d’Innovation (IESCI), organisme de recherche et formation sur l’innovation et le renouveau des entreprises, qui travaille pour une centaine d’entreprises, universités et organismes de recherche répartis dans une dizaine de pays.
En 2008, Marc Giget crée le Club de Paris des Directeurs de l’Innovation, qui regroupe une cinquantaine de grandes entreprises européennes et internationales et réalise des travaux de recherche sur l’innovation à travers le monde, les formes modernes de gestion de l’innovation et le partage du retour d’expérience des meilleures pratiques d’innovation.

Cet entretien avec Marc Giget permet de jeter un regard critique sur des concepts parfois à la mode qui entourent le sujet de l’innovation. La course à l’innovation dont la presse relaie chaque jour les multiples rebondissements donne lieu à des stratégies diverses dans les entreprises, dont cet entretien se propose en effet de pointer les principaux enjeux. Fort de sa connaissance des pratiques des grands groupes en la matière, Marc Giget insiste sur la place aujourd’hui centrale des utilisateurs dans les processus d’innovation. En réponse, les métropoles innovantes doivent fournir, outre la technologie et la connaissance scientifique, des moyens efficaces d’accès au marché et aux attentes sociétales.

Réalisée par :

Date : 16/12/2014

Vos interventions sur l’innovation, appuyées sur de nombreux cas pratiques, traduisent une très grande variété des pratiques en matière d’innovation. Est-ce à dire qu’il est délicat, voire contreproductif, de monter en généralité sur un tel sujet ?

L’innovation ne peut être appréhendée d’une manière conceptuelle, détachée de la culture et de l’identité de l’entreprise

L’innovation ne peut être appréhendée d’une manière conceptuelle, détachée de la culture et de l’identité de l’entreprise. C’est fondamentalement une science de l’action et chaque entreprise a une manière à elle d’innover. L’essentiel des stratégies d’innovation est lié à l’identité de l’entreprise et à son renouvellement. Donc il n’y a pas de modèle d’innovation gagnant ou perdant. Un modèle d’innovation peut être gagnant dans une entreprise et perdant dans une autre. Tout dépend de l’identité et de la culture de l’entreprise. Si Chanel adopte la stratégie de L’Oréal, elle meurt !

Quand bien même, on voit passer dans la littérature un bon nombre de concepts sur l’innovation dont on ne sait pas toujours s’ils traduisent des ruptures réelles ou des effets de mode. Par exemple, l’un des plus rencontrés est l’Open Innovation. Qu’est-ce que ce terme traduit selon vous ?
L’open innovation est avant tout un slogan derrière lequel il y a une multitude de situations propres à chaque entreprise. Cette ouverture existe depuis toujours, mais elle n’est pas mise en œuvre par toutes les entreprises ni de la même manière. Par ailleurs, une même entreprise peut décider d’ouvrir son processus d’innovation à un moment donné ou pour un projet particulier, et travailler de manière totalement fermée sur d’autres. Les coopérations avec l’extérieur peuvent en outre être plus ou moins intenses selon les périodes. Le système s’ouvre et se referme de façon cyclique. Quand il y a une vague technologique nouvelle qui arrive, comme par exemple le cloud ou le Big Data, les entreprises doivent s’ouvrir à des métiers et des technologies qu’elles maîtrisent mal. Une fois qu’elles les maîtrisent, elles ont tendance à se refermer. Depuis quatre ou cinq ans, nous sommes plutôt dans une tendance à la fermeture. Par exemple, Google a fermé son Open Lab, Lego a fermé sa plateforme ouverte aussi. On est plutôt dans une période un peu difficile où les entreprises ont tendance à se replier sur elles-mêmes. Une des raisons à cela est la montée des nationalismes qui met à mal aujourd’hui ces logiques de coopération et d’ouverture. L’ouverture est un fait, il faut bien se rappeler qu’un fabricant d’automobiles ou d’avions ne fait plus que 15 à 18% de son auto ou de son avion, contre 50 à 60% il y a une trentaine d’années. Mais au début de l’automobile le système était également très ouvert.

Par ailleurs, il faut bien avoir en tête que la chaine de l’innovation est internationale et ce, dès la phase de conception : les Indiens, les Chinois, les Brésiliens et autres sont associés au processus d’innovation. On va chercher les compétences et des marchés à cette échelle-là. Dans les cas de Valeo, Airbus ou Safran par exemple, la coopération est très large. L’Open Innovation n’est pas quelque chose de nouveau pour eux.

Est-ce que les pôles de compétitivité s’inscrivent efficacement dans cette logique d’innovation ouverte telle que vous la décrivez ?

Oui, sauf qu’il faut se garder d’une vision idéalisée des pôles de compétitivité qui consisterait à voir autour de la table l’ensemble des partenaires partager une stratégie commune. On coopère pour faire de la recherche ensemble mais pas pour innover ensemble dans les pôles. De surcroit, une des limites d‘une innovation qui serait trop ouverte, c’est la perte de l’autonomie stratégique. Si l’on dépend de 25 partenaires pour définir sa stratégie, cela devient impossible !

Est-ce que le facteur territorial est important pour une entreprise qui pratique l’innovation ouverte ?

Oui et non, la proximité permet de monter des projets complexes ensemble. Mais dans le monde digital, ce facteur de proximité est marginal. Avec les réseaux numériques et le Big Data, les entreprises coopèrent à distance comme si elles étaient l’une à côté de l’autre. Il n’y a pas d’avantages marquant à être sur le même territoire. C’est vrai pour les grandes comme pour les petites entreprises. Les jeunes entreprises, peut-être encore plus que les grands groupes, naissent directement sur le web, dans des réseaux mondiaux. Le fait d’être petit ne change strictement rien à la dimension internationale. Regardez Uber ou le Bon Coin : où est la dimension locale ? Elle est en fait uniquement dans l’adaptation à minima sur chaque marché d’un modèle global.

La territorialisation des processus d’innovation passe de plus en plus par l’émergence de lieux d’innovation, types fablab, living lab, hacklab, qui mettent en présence des compétences et des énergies nouvelles pour innover. Est-ce que c’est quelque chose qu’il faut prendre au sérieux ?

En dehors des plus professionnels et industriels (les Protospace d’Airbus, et les fablabs de Snecma, Renault ou Air liquide par ex.), la plupart des fablabs ne résistent pas au temps. Ceux qui résistent sont ceux qui ont dépassé le stade du bricolage et qui parviennent à faciliter le passage du prototype à l’industrialisation. L’exemple parisien en la matière est l’Usine IO1 . Mais pour moi les Fablabs ne sont pas une révolution. Ce n’est pas avec ça qu’Alstom va faire de nouveaux TGV! Par contre, ce type de lieu a des vertus d’animation de l’innovation participative dans l’entreprise et d’animation locale qui peut participer d’une culture de l’innovation dans le territoire. C’est à ce niveau qu’ils sont les plus fragiles : les exemples d’espaces coopératifs des pays du Nord de l’Europe prennent moins bien dans notre système hyper administré.

S’agissant des Living Lab, venus également d’Europe du Nord, ils ont suscité il y a quelques années un fort engouement au plan européen (des living labs ayant été lancés dans tous les pays européens dans le cadre de la présidence finlandaise de la CEE). Mais c’est retombé, et c’est bien dommage car cela a vraiment du sens de placer l’innovation au cœur de la vie réelle : les transports, les hôpitaux, les écoles, etc. Le système fonctionne toujours très bien dans les pays nordiques et il y a des entreprises qui ont des living labs en propre, du type Siemens Healthcare avec des hôpitaux, ou IBM avec des ONG.

Vous parlez surtout des grands groupes, mais n’y a-t-il pas de raisons de penser que ces lieux permettent au petit entrepreneur d’amorcer son projet en se connectant à une communauté et en disposant de moyens de prototyper son idée ?

Il y a des choses beaucoup plus solides que cela en terme d’innovation participative, comme le Design Thinking

C’est possible, mais de fait ce cas de figure est assez anecdotique selon moi. L’enjeu pour une entreprise qui démarre, c’est de décoller très vite et de façon très professionnelle. Je crains que beaucoup de Fablabs en soient encore au stade du bricolage et de l’animation de quartier, ce qui est déjà bien en soi. De plus, notre économie, c’est 70% de services, et il n’y a pas ou très peu de services dans les fablabs. Beaucoup de gens y viennent pour réparer des objets personnels ou fabriquer des gadgets. La Poste a ouvert il y a deux ans trois fablabs en région parisienne. Mais leur activité réelle, assez limitée, se ramène à de l’impression 3D à façon.

Il y a des choses beaucoup plus solides que cela en terme d’innovation participative, comme le Design Thinking qui consiste à travailler avec des vrais gens en face. Le nouveau 787 Dreamliner par exemple a été conçu par 140 000 passagers via les associations de passagers. Maintenant il y a plein de produits qui sont conçus avec les utilisateurs! Le vrai mouvement d’ouverture de l’innovation, qui balaie la planète actuellement, est la co-conception avec les utilisateurs, pouvant aller jusqu’à la délégation de conception.

Peut-on rapprocher la conception avec les utilisateurs de l’innovation par les usages ?

Il faut faire attention avec la notion d’usage. L’usage est un concept large qui englobe les attentes profondes de la société, ses rêves, ses désirs, ses valeurs, ses attentes, c’est tout ça ! Le principal enjeu est d’être capable de travailler avec les usagers! En France, nous avons du mal à associer l’utilisateur final à l’innovation car nous sommes toujours accrochés à des concepts intellectuels qui nous éloignent de la vraie vie et des attentes des utilisateurs. Or en 50 ans le niveau d’éducation a considérablement augmenté et les gens sont devenus tout à fait capables de dire ce qu’ils veulent sans être un objet d’analyse tels des animaux de laboratoire!

Regardez dans la santé! Les associations de patients jouent maintenant un rôle déterminant dans le choix des médicaments. Par le web, ces personnes se regroupent, s’expriment, se font conseiller par les meilleurs scientifiques et ont maintenant un pouvoir considérable sur les orientations en matière d’innovation. Le temps est fini où le patient était isolé et réduit à accepter ce qu’on lui proposait. Le même phénomène s’observe dans les transports, l’agriculture, etc. Il faut partir des utilisateurs eux-mêmes, pas d’une conceptualisation des usages. Par exemple, le dernier hélicoptère d’Airbus Industries a été totalement conçu par les pilotes. Ils n’ont pas travaillé sur les usages des pilotes, ce sont les pilotes qui ont défini l’appareil. En clair, l’usager devient le maître d’ouvrage, c’est lui qui rédige le cahier des charges, l’entreprise intervenant comme maître d’oeuvre.

A-t-on du retard sur cette approche « utilisateur » de l’innovation en France ?

Oui je crois. L’enjeu central ici a trait à l’association étroite des utilisateurs dans la définition de ce qui leur est destiné, et à un marketing de l’innovation plus sophistiqué, qui suppose la mobilisation de compétences en anthropologie, ethnologie, sociologie, psychologie... qui vont étudier les usages dans toute leur profondeur pour comprendre les ressorts de la société, ses valeurs, ses aspirations. La relation avec la société est décisive dans une perspective d’innovation. En France, nous avons trop longtemps cantonné le marketing à la promotion des ventes. Dans une équipe moderne d’innovation, il y a un tiers d’utilisateurs, voire la moitié, et c’est une équipe ouverte sur l’international. C’est l’utilisateur qui donne sa valeur à l’innovation. Cela suppose de savoir ce qui a de la valeur pour les utilisateurs. Contrairement à une idée reçue, l’innovation ne part pas de la technologie, elle part des utilisateurs et de leurs attentes.

Certes mais est-ce que tous les usagers sont capables de co-concevoir comme vous le dites ?

Mais bien sûr! L’utilisateur définit le cahier des charges, le fournisseur y répond. Les softwares les plus vendus dans l’agriculture sont les softwares conçus par les agriculteurs eux-mêmes, c’est la même chose dans le domaine médical où les médecins ont une place centrale pour innover. Il n’y a qu’à voir le nombre de produits leaders conçus par les utilisateurs eux-mêmes, c’est considérable! En France, on regarde les utilisateurs de haut, et on pense que seul un X-Mines est capable de définir le besoin d’une vieille dame. Ça fait rire tout le monde! Madame Michu n’existe plus depuis longtemps! Quand Renault a voulu travailler sur une voiture adaptée aux femmes enceintes, il a travaillé avec la plateforme Doctissimo, la plateforme la plus développée en France, dans laquelle il y a un forum qui s’appelle « forum grossesse » où des dizaines de milliers de femmes échangent des conseils sur leur expérience de la grossesse. Ils se sont aperçus qu’ils avaient 20 ans de retard sur ce qu’il fallait faire pour les femmes. Le cahier des charges peut être défini par les femmes enceintes elles-mêmes sans aucun intermédiaire. FIAT fait cela avec la Mio. Aujourd’hui il y a alerte rouge sur l’attention portée aux utilisateurs. Les entreprises perdent leurs clients parce qu’elles ne les écoutent pas assez. Il faut aussi mesurer la révolution qu’introduit le Big Data dans l’approche utilisateur. Le Big Data permet en effet d’analyser les gens sans leur demander leur avis. Cet outil d’analyse des consommateurs permet d’élargir sa base de consommateurs pour des produits existants. Pour autant, l’innovation nécessite la consultation directe des propositions des utilisateurs potentiels.

N’est-ce pas une explication de la montée en puissance de l’innovation par le crowdsourcing ?

Aujourd’hui, c’est avant tout le crowdsourcing de compétences qui est efficace, et non le crowdsourcing auprès d’utilisateurs.

Aujourd’hui, c’est avant tout le crowdsourcing de compétences qui est efficace, et non le crowdsourcing auprès d’utilisateurs. C’était bien l’objectif initial de l’open innovation définie par Chesbrough. Il n’a jamais parlé du marketing! Le crowdsourcing n’est pas efficace sur toute la partie située en aval du processus d’innovation, c’est-à-dire la dimension marketing. Les plateformes qui s’étaient positionnées là-dessus ont quasiment disparu. En clair, ce n’est pas un levier efficace de relation avec les utilisateurs. Il est nécessaire de s’adresser à de vraies communautés d’usage, concernées et motivées. Quand les gens ne se sentent pas concernés, leur participation n’a pas de profondeur. Si Boeing veut faire un avion, il demande à des associations de passagers, c’est beaucoup plus puissant que de demander à des personnes qui ne sont pas concernées via des plateformes. Donc la notion de « foule » est à relativiser.

Le crowdsourcing est-il un vrai levier d'innovation ?

Il est vrai que le web permet maintenant de réorganiser l’amont technologique de l’innovation en se connectant à des chercheurs et des centres technologiques du monde entier. C’est toute la force de ces plateformes telles que Innocentive, Continuum, Ninesigma, Presans ou ExperNova pour ne citer qu’elles. Avant de lancer son propre programme de recherche de R&D, l’idée est de s’assurer que la compétence ou la technologie n’existe pas déjà. Aujourd’hui, entre 10 et 40% des technologies des grandes entreprises proviennent de ces plateformes. General Electric, malgré une capacité énorme de R&D interne, lance régulièrement des défis d’innovation avec des montants de plus de 100 millions de dollars à la clé. Ils ont récemment lancé une telle démarche sur le thème des Smart Grids pour un montant de 200 M de dollars. L’idée ici c’est de dire que l’on n’a pas toutes les compétences donc de passer par des plateformes web pour se procurer celles dont on a besoin (échange de technologies, contrats de recherche, achat de licences). L’enjeu est bien maintenant de se connecter avec les meilleures sources d’invention tout en veillant à garder en interne une capacité suffisante de recherche, ne serait-ce que pour être capable de gérer l’achat des technologies extérieures et de les intégrer. C’est le concept de C&D (Connect & Developp) plutôt que de R&D défini par Procter & Gamble. L’ancien modèle linéaire de l’innovation (recherche-développement-commercialisation) a été supplanté dans beaucoup d’entreprises par la notion d’écosystème d’innovation qui traduit des relations beaucoup plus collaboratives, continues et diversifiées avec des partenaires.

Voilà une autre stratégie d’innovation qui semble largement s’affranchir du territoire, non ?

le crowdsourcing est l’antithèse de l’approche territoriale.

Oui, le crowdsourcing est l’antithèse de l’approche territoriale. Les compétences sont captées partout dans le monde. Par contre, le territoire joue un rôle dans la co-conception avec les fournisseurs (fournisseurs de systèmes, équipements, composants...). Les fournisseurs ne sont plus jugés uniquement sur un critère de prix, ils participent au processus d’innovation.

Il y a un autre courant de l’innovation qui s’inscrit dans la simplification maximale des produits et la volonté de la rendre accessible au plus grand nombre (innovation frugale, low cost, jugaad, etc.). Est-ce que c’est une bascule importante dans notre manière de concevoir l’innovation dans les économies développées ?

Le fait de faire plus avec moins est un des principes fondamentaux de l’innovation! La réduction des coûts est inhérente à l’innovation. Le coût des panneaux photovoltaïques a baissé de 50% en deux ans grâce aux innovations. Le coût des tests ADN ont baissé de plusieurs ordres de grandeur! Je parlerai plutôt d’innovation inclusive (inverse d’exclusive, c’est à dire réservée à une élite). Cette inclusion passe par la réduction des coûts en éliminant ce qui est accessoire en réponse à une baisse généralisée du pouvoir d’achat. Ce « design to cost » consiste à faire du prix la variable principale du design du produit. Cela donne naissance au mouvement de l’économie collaborative (Blablacar, Ryanair, OuiGo, etc.) et aux produits low cost, donc des innovations qui permettent aux gens de retrouver du pouvoir d’achat. Tout le monde doit réduire le coût d’accès aux produits pour les gens sauf à perdre 30 à 40% de part de marché. Résultat, la Cactus de Citroën coûte 4 000€ de moins que le modèle précédent et elle fait 400 kg de moins. C’est un produit dont le prix est ramené au pouvoir d’achat actuel des gens. La voiture européenne avait pris 500 kg en 25 ans, c’est un point d’arrêt à cette tendance. Total a sorti les stations Access, des stations essence low cost. En France, le low cost est associé au bas de gamme alors que ce n’est pas du tout cela, ce sont des offres accessibles, nettoyées de tout ce qui est superflu. Pour ne pas confondre avec une offre bas de gamme, le terme tendance utilisé est « Accessible » ou « Access ». Le low cost, c’est de la haute technologie contrairement à ce que l’on pense. Les avions low cost sont les plus modernes du marché car ce sont ceux qui consomment le moins. Et puis dans bien des cas, le produit low-cost génère plus de marge que le produit standard! La voiture la plus rentable de Renault, c’est la Duster, celle de Volkswagen, c’est la Golf 7, c’est-à-dire les modèles low cost. La moitié des innovations aujourd’hui se fait dans cette logique, sur toutes les gammes et dans tous les secteurs (même le luxe fait du low cost). Outre la réponse à la diminution du pouvoir d’achat dans les pays développés, c’est aussi une stratégie d’innovation pour pénétrer les marchés des pays émergents. Si une entreprise ne fait pas cela, elle se met en grand danger. L’innovation low cost vise par définition un grand marché, elle est un stimulus très important de l’outil industriel, et qui n’empêche pas le développement d’une gamme complète, partant d’une plateforme très peu coûteuse et allant vers des produits plus sophistiqués et plus chers.

Quelles sont les bonnes questions qu’une collectivité doit se poser pour soutenir l’innovation sur son territoire d’après vous ?

la clé de l’innovation est aujourd’hui dans le Design Thinking

La question qu’il faut se poser est comment faire en sorte que les entreprises viennent innover dans mon territoire plutôt qu’ailleurs. On a tendance à ramener cette question à l’amont technologique alors que l’accès au marché et aux attentes sociétales sont tout aussi importants. Le territoire doit être une fenêtre sur l’ensemble de ces ressources.

Ensuite, je dirais que la clé de l’innovation est aujourd’hui dans le Design Thinking2 , la co-conception, voire la délégation de conception. C’est ça la priorité. Retrouver le contact avec la vie réelle, c’est très difficile parce que la société bouge vite et toutes les études montrent qu’elle n’est pas satisfaite des innovations qui lui sont proposées. L’autre priorité, c’est d’attirer les vrais talents. Il y a une guerre des talents phénoménale aujourd’hui pour intégrer et garder les meilleurs d’entre eux pour innover. Les talents sont devenus très nomades, ils vont là où il y a les plus beaux projets. Rappelons-nous qu’Alcatel a arrêté de faire des téléphones portables car une partie importante de son équipe de conception est partie ailleurs, dans d’autres entreprises qui avaient des projets plus ambitieux.

Cependant, il ne faut pas surestimer l’importance de l’activité R&D - conception par rapport à l’activité économique globale d’un territoire. Si on ne met pas en production derrière, l’innovation reste marginale au plan de l’impact économique. Ce n’est pas l’activité de R&D en tant que telle qui produit la majorité des emplois (ce n’est que de l’ordre de 2% des emplois au niveau du pays), mais la production et le processus industriel qui en résultent. Le seul « designed en Rhône-Alpes » ne créera jamais beaucoup d’emplois et il est vital de défendre et réinvestir la filière productive. Au-delà des régions, on redécouvre aujourd’hui le rôle clef des villes dans l’innovation, comme creuset de combinaisons des talents créatifs et lieux d’expérimentation en lien avec les habitants.1- Inaugurée le 1er octobre, Usine IO propose sur 1500 M2 dans le 13e arrondissement parisien tout l’espace et l’équipement informatique, électronique et mécanique nécessaire pour passer de l’idée d’un produit à son industrialisation 2- Le Design Thinking (penser conception) est une approche de l'innovation qui fait de son point de départ la conception, en se posant d’abord la question du concevoir « pour qui », « pourquoi », « dans quel contexte »... phase dite d’empathie, avant toute proposition de solution technique. Il nécessite un contact étroit avec les utilisateurs finaux visés par l’innovation.

1-  Inaugurée le 1er octobre, Usine IO propose sur 1500 M2 dans le 13e arrondissement parisien tout l’espace et l’équipement informatique, électronique et mécanique nécessaire pour passer de l’idée d’un produit à son industrialisation

2-   Le Design Thinking (penser conception) est une approche de l'innovation qui fait de son point de départ  la conception, en se posant d’abord la question du concevoir « pour qui », « pourquoi », « dans quel contexte »... phase dite d’empathie, avant toute proposition de solution technique. Il nécessite un contact étroit avec les utilisateurs finaux visés par l’innovation.