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INNOVER : l'exemple de la voiture C-Zen

Interview de Hervé ARNAUD

Hervé Arnaud, Société Courb
Hervé Arnaud, Société Courb
Directeur de la Société Courb

<< Une étude de marché est hors de notre portée ! >>.

La société Courb  a été créée en 2007. Elle regroupe aujourd’hui 45 personnes. Son activité-clé est la fabrication de petits véhicules électriques à destination des PME/TPE, et plus tard des particuliers. L’usine de fabrication est située à Saint-Priest dans l’ancienne usine Renault Trucks. Courb a le profil d’une start-up industrielle sur un marché dominé par les grands constructeurs automobiles (Renault, Peugeot, Toyota, etc.).
La C-ZEN est une petite voiture électrique de deux places et d’un grand coffre de 540 litres. Outre sa performance, son originalité vient de ce que 83 % des pièces du véhicule sont d’origine Françaises, ce qui a permis à ce véhicule d’être le premier à être « Origine France Garantie ».

Cette interview est celle d’un praticien de l’innovation en la personne d’Hervé Arnaud, PDG de Courb. Elle illustre le processus d’innovation dans ce qu’il contient d’incertitudes, de tâtonnements, mais aussi de stratégie et de vision. Elle est aussi illustrative du modèle d’innovation par la recherche et le développement dans lequel la coopération avec les laboratoires de recherche de la région a été déterminante. Enfin, Courb est un exemple de projet innovant dans la région lyonnaise qui dévoile une aventure entrepreneuriale enthousiasmante. De ce point de vue elle marque l’importance du mode managérial qui accompagne le projet (mode « start-up ») pour continuer à innover et rester dans la course. Elle souligne également la place marginale qu’elle occupe dans  l’écosystème lyonnais de l’innovation, faute de temps (et de ressources) pour en tirer des bénéfices.

Réalisée par :

Date : 08/09/2014

Qu’est-ce qui a déclenché ce projet ?
Le projet est venu d’une intuition en avril 2001, il y a six ans, autour de l’idée qu’il y avait une réelle opportunité pour le petit véhicule électrique. La première chose est de se convaincre soi-même ! Mais je suis un homme de challenge et je me suis lancé. Après c’est une idée qui chemine, qui se construit et s’approfondit progressivement.

Votre projet revêt plusieurs innovations technologiques parmi lesquelles une batterie installée sous le châssis qui lui permet une autonomie de 120 kilomètres et une tenue de route performante, mais aussi une recharge en "plug and play" sur des prises de 220V. Est-ce que l’innovation technologique a été déterminante dans le projet ?
Elles sont importantes mais elles ne suffisent pas. Ces technologies ne sont innovantes que si elles sont accompagnées d’un modèle économique solide. Donc il ne faut jamais perdre de vue la dimension économique et marketing du projet sous peine de se retrouver avec une technologie sans usages, donc sans marché. On essaie de définir le modèle économique du projet avant que le produit soit au point.

Nombre de projets comme le vôtre ont échoué ces dernières années. Qu’est ce qui fait votre force selon vous ?
C’est d’abord l’hyperréactivité de l’entreprise. Nous fonctionnons sur le même mode que les start-ups avec une très forte proximité entre la direction générale, la direction technique et les exploitants. Je suis dans l’atelier tous les jours. Mes techniciens sont impliqués dans l’innovation à la faveur des nombreux échanges et contacts au jour le jour qui nous permettent d’améliorer le mode opératoire et le produit et d’innover sur une multitude de détails.

Une autre force provient des services qui entourent la C-Zen et qui sont destinés à faciliter son usage et à rassurer l’usager. Nous proposons donc un service à 360° incluant l’assurance du véhicule, l’assistance, l’entretien et le financement, à la faveur de tout un réseau de partenaires qui sont maintenant parties prenantes du projet. L’un d’entre eux est même devenu actionnaire de l’entreprise.

La C-ZEN a pour cible principale les PME/TPE. Quelle est votre vision du marché ?
Oui, nous ciblons dans un premier temps cette catégorie d’utilisateurs car les entreprises ont toujours un temps d’avance par rapport aux particuliers dans l’adoption de nouvelles technologies. Et puis, les entreprises ont besoin de travailler leur image et le véhicule électrique est un bon moyen. L’intérêt réside aussi dans le fait que cela permet de rendre le véhicule électrique visible et de l’installer progressivement dans le paysage urbain et périurbain, ce qui a un impact fort sur son adoption par les particuliers. Le véhicule électrique est entré dans une phase de croissance exponentielle. Tous les constructeurs automobiles s’y mettent. Mais selon nous il ne faut pas vouloir aller trop vite. Nous adoptons la stratégie des petits pas qui nous conduit à cibler une catégorie particulière d’utilisateurs, pour progressivement monter en charge et s’adresser aux particuliers.

Comment avez-vous intégré les usages dans votre projet ?
Nous n’avons pas fait d’étude de marché, car une bonne étude revient au minimum à 500 k€, ce qui était hors de notre portée. L’autre option a été de prendre notre bâton de pèlerin, de rencontrer des chefs d’entreprises, des usagers potentiels, d’aller sur des salons internationaux pour tester notre projet. Nous avons eu des milliers de suggestions parmi lesquelles il a fallu savoir faire le tri.

Vous avez collaboré avec des laboratoires de recherche pour mettre au point la C-ZEN. Que retenez-vous de cette collaboration ?
En effet, nous avons travaillé et travaillons toujours avec le LITEN du CEA, l'Ifsttar (Institut français des sciences et technologies des transports) à Grenoble et l'Ecole centrale de Lyon. Je connaissais les chercheurs de l’IFSTARR et du LITEN et une opportunité s’est présentée pour travailler avec Centrale. Ce sont des personnes extrêmement compétentes mais qui n’ont pas toujours la vision économique du projet, ni celle des usages appliqués aux technologies qu’ils proposent. Mon rôle, en tant qu’entrepreneur, a été de réorienter régulièrement le projet en fonction des contraintes économiques d’une part et de ma vision du marché d’autre part. Le travail de R&D a duré 6 ans. Toute la difficulté réside dans l’objectif d’être toujours innovant au terme de ce processus car les technologies évoluent très vite et le marché aussi. Nous n’avons aucune certitude là-dessus, c’est le risque que prend l’entrepreneur.

Vous avez lancé en début d’année une des opérations les plus importantes de crowdfunding (objectif de 10 M€) sur la plateforme Axiona. Qu’est-ce qui vous a poussé à le faire et quel bilan en tirez-vous ?
Nous avons dû abandonner l’opération. Nous nous sommes en effet aperçus que la France n’était pas prête à ce type de levée de fonds. Je rappelle que le ticket d’entrée minimum était de 10 k€, ce qui s’est avéré trop important et nombre d’investisseurs ont reculé. D’autre part, qui dit ouverture du capital dit aussi augmentation du nombre d’actionnaires, donc une complexification du management de l’entreprise, ce qui nous a aussi découragé. Enfin, une opération de crowdfunding exige beaucoup de temps d’explication auprès des investisseurs potentiels pour leur expliquer le projet, les convaincre, ce à quoi nous n’étions pas forcément préparés. Nous nous sommes lancés dans cette opération pour essayer, nous étions prêts à faire une erreur. Je suis convaincu que la même opération aux Etats-Unis aurait très bien fonctionné, nous avons d’ailleurs été approchés, avec la contrepartie d’installer une antenne de Courb dans le pays… Au final, cette opération a surtout été un coup médiatique très efficace. Depuis, nous avons trouvé d’autres investisseurs.

On voit se développer de nouveaux modèles d’innovation fondés sur la logique open source. Récemment, Tesla , le fabricant de batteries a donné accès à ses brevets par exemple. Que pensez-vous de cette tendance ?
Je suis très dubitatif. Les barrières à l’entrée subsistent malgré l’ouverture des brevets car il faut avoir les moyens d’exploiter et de financer ces brevets derrière… A notre niveau, nous n’avons pas les moyens ! Nous avons déjà déposé trois brevets et nous nous apprêtons à en déposer 17 autres. Le brevet nous confère une certaine avance pendant un à deux ans sur nos concurrents. Et puis, comme nous ne pouvons pas déposer de brevets tous les jours, nous avons besoin de confidentialité.

Les entreprises recourent également aux méthodes de typecrowdsourcing. Je pense à un projet comme Wikispeed qui a été fortement médiatisé et qui défend un mode de production automobile collaboratif.
Je ne connais pas bien ce projet mais là encore, je reste dubitatif. Ce ne sont pas les idées qui manquent mais les entrepreneurs capables de les porter sur un marché. Des voitures comme wikispeed peuvent être performantes sur le plan technologique, mais elles ne sont pas prêtes de rouler sur nos routes car il y a des barrières réglementaires, de sécurité, etc. qui sont très élevées. Le passage du prototype à la phase industrielle est une étape critique où l’on perd beaucoup de monde !

Quels sont les principaux freins à l’usager du véhicule électrique selon vous ?
C’est souvent l’autonomie mais c’est un faux problème, car nous parcourons moins de 50 km par jour en moyenne, donc il n’est pas nécessaire d’avoir un véhicule avec une grande autonomie. Le VE est adapté pour les petits déplacements au quotidien. Il est hyper économique et ne pollue pas. Je reste persuadé que son empreinte écologique est plus favorable que le véhicule thermique, d’autant plus qu’il y a un vivier d’innovations dans les énergies renouvelables pour produire de l’électricité.

Courb est un projet lyonnais. Quelles sont les externalités territoriales dont vous avez pu profiter jusqu’à maintenant ?
Nous sommes un électron libre dans le paysage lyonnais. Nous sommes membres de LUTB mais n’avons guère le temps de nous y investir. Les gros industriels du transport de Lyon ne s’intéressent pas forcément à ce type de projet. Nous sommes minuscules pour eux ! La région par contre est un marché test pour nous. C’est là que nous faisons nos armes. Nous sommes également très peu en lien avec les acteurs publics même si le Grand Lyon nous a aiguillés vers ces locaux pour installer notre centre de production. Ils ont été très à l’écoute et efficace. J’espère qu’ils se porteront acquéreurs de quelques CZEN dans les mois à venir.

Comment vous voyez votre entreprise dans 10 ans ?
10 ans est un horizon beaucoup trop lointain pour moi. Mon horizon est plutôt 5 ans. Dans 5 ans, nous espérons être à un rythme de 10 000 véhicules/an, nous rêvons à cet horizon d’avoir une usine hypermoderne, capable de produire l’énergie dont elle a besoin, nous aurons développé trois ou quatre modèles dans la gamme, notre voiture sera hyperconnectée.

Est-ce que vous croyez à la voiture sans conducteur ?
Nous y travaillons déjà, nous bénéficierons d’un site de test en Isère. Je ne crois à la voiture automatique que dans certains contextes d’usage. Demain la voiture se garera toute seule à l’entrée du parking, elle se rechargera toute seule, elle sera capable de réserver des places de parking. Par contre la voiture roulant toute seule en milieu urbain pendant que les passagers sirotent leur coca, je n’y crois pas trop, en tout cas pas avant au moins deux générations !