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Services de mobilité et données publiques

Interview de Jean COLDEFY

illustration représentant une application de traçage d'itinéraire sur un smartphone

<< Tout le monde se focalise sur l'open data, mais il faudrait mettre l'effort sur la collecte de la donnée, sa qualité et son entretien >>.

Jean Coldefy est coordinateur des programmes gestion de trafic et transports publics au service Mobilité urbaine du Grand Lyon.

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Date : 01/11/2012

Quelle place occupe la production de données au sein du service mobilités ?

La production de données temps réel est essentielle à la régulation du trafic - mission dévolue à la puissance Publique - et à l’information des voyageurs. Globalement, la chaîne de gestion de l’information sur les déplacements s’articule  autour de trois éléments : la collecte de données, leur traitement, puis leur diffusion, à ces fins de régulation de trafic et d’information aux voyageurs.

Quelques sociétés font de l’information aux voyageurs avec des données collectées par leurs propres moyens : c’est le cas de TomTom, Coyotte, etc.  Mais ces services sont très spécifiques et déconnectés des aspects de politique publique. Par ailleurs, en milieu urbain, les données privées de trafic routier sont encore très largement insuffisantes pour pouvoir assurer une information trafic de qualité sans les conjuguer avec les données publiques.

 

Quel coût représente la production de données ?

Les coûts de collecte sont de loin les plus importants  dans la chaîne d’information déplacements ; c’est pour cela qu’ils sont aujourd’hui supportés par la puissance publique - qui les utilisent aussi pour sa mission de régulation de trafic - , un acteur privé n’ayant pas les moyens de les financer, compte tenu des modèles économiques actuels de l’information voyageur.

Pour collecter des données de mobilité temps réel de manière fiable et permanente, il faut en effet mettre des capteurs dans le sol ; ce sont des outils qui permettent de compter le trafic, généralement par détection des variations du champ magnétique. Il faut ensuite des systèmes de télécom qui rapatrient toute cette information à un PC central.

Ce PC central nécessite des équipements informatiques, de gros logiciels, etc. qui traitent ces données et activent des plans de feux ou des systèmes d’information aux voyageurs. Cela implique des infrastructures numériques très coûteuses. Sous le macadam, il y a donc de la très haute technologie !

Aujourd’hui il y a 1500 carrefours à feux dans l’agglomération lyonnaise, dont 1100 environ sont reliés au PC central de régulation de trafic, le PC Criter. 40% de ces carrefours sont équipés de boucles qui permettent de faire remonter l’état du trafic en temps réel. Ces données-là nous servent donc à faire de l’information aux voyageurs en temps réel et elles sont particulièrement fiables, parce que très régulièrement contrôlée par les équipes du Grand Lyon.

Nous améliorons cela tous les ans et testons de nouvelles technologies, notamment les véhicules dits traceurs, équipés de GPS et de puces GSM qui permettent de remonter toutes les minutes des vitesses et des positions (c’est la technologie à la base des services TomTom et Coyote par exemple).

 

En quoi la fiabilité des données est-elle déterminante ? Est-ce un argument économique ?

La fiabilité de la donnée est indispensable pour des applications critiques comme la régulation de trafic. Elle n’a pas toujours bénéficié de l’attention nécessaire pour l’information à l’usager. Pourtant, si la donnée n’est pas fiable, aucun service de qualité ne pourra se développer et l’usager restera dans une posture compréhensible de méfiance et ne sera en aucun cas prêt à participer au financement de ces services. Car personne, aujourd’hui, n’achète de l’information aux voyageurs. Elle est toujours fournie gratuitement parce qu’elle est souvent jugée médiocre. Pour pouvoir passer d’une logique de gratuité à une logique de participation financière, il faut monter en qualité.

Si une information sur les déplacements fiable, précise, et temps réel, permet d’éviter de perdre 1h par mois, ou de se retrouver bloqué dans un bouchon ou une gare, on peut imaginer que l’usager pourrait participer à son financement avec par exemple des formules de 1 à 2€ par mois, ce qui constituerait des participations symboliques mais permettrait d’avoir des services encore meilleurs et des opérateurs privés qui puissent faire vivre ces services et les développer. Nous n’en sommes pas encore là, mais c’est la piste à poursuivre.

Pour monter en qualité, il faut améliorer la collecte de la donnée. Or, en milieu urbain, c’est très compliqué et très coûteux.
Cela suppose davantage de capteurs, des capteurs très bien entretenus, qui soient vérifiés tous les ans, et des données remontées en temps réel, à la minute. Tout cela nécessite des moyens informatiques et des équipes pour entretenir ces systèmes.

 

Êtes-vous favorable à l’ouverture des données publiques dans le champ de la mobilité ?

C’est un sujet complexe qu’au Grand Lyon nous essayons de traiter en regardant tous les tenants et les aboutissants. Selon le type de données, les positions peuvent être différentes ; il n’y a pas forcément de position de principe à avoir. Trois objectifs sont avancés par les tenants de l’open data : d’abord le développement économique, puis la démocratie participative et la transparence – chacun apprécie jusqu’où il veut aller ce sur point – ainsi que des logiques d’image et de modernité.

Sur les données de mobilité, notre principe est la mise à disposition pour qu’il y ait un foisonnement de services économiquement autonomes des fonds publics, en s’assurant qu’il y ait une cohérence avec nos politiques publiques. Si on fournit des données – par exemple de trafic en temps réel - à des opérateurs qui, grâce à l’information du Grand Lyon, constatant qu’il y a des bouchons sur une voie, envoient le trafic sur d’autres voies (sans information trafic) le long desquelles il y a des écoles et des habitations, c’est totalement incohérent avec nos politiques publiques. Nous avons donc besoin d’avoir des garanties. Il faut dans l’exemple cité que les opérateurs s’engagent à modifier leur algorithme de calcul de navigation pour s’assurer qu’ils ne nuisent pas à l’intérêt général. L’open data n’est donc pas forcément la solution systématique.

Tout le monde se focalise sur l’open data, mais il faudrait mettre l’effort sur la collecte de la donnée, sa qualité et son entretien.
Il faut se rappeler que le principal objectif de l’ouverture des données est le développement économique. Or c’est une théorie qui n’a pas été démontrée par les faits. Sur les mises à disposition de données réalisées, très peu de services ont été créés qui soient autonomes des finances publiques. Nous mêmes donnons depuis plusieurs années nos données de mobilité à un certain nombre d’opérateurs qui ont beaucoup de mal à en vivre. Ce sont des modèles économiques fragiles du fait du manque de complétude (données sur une partie du réseau, ne concernant pas tous les modes de transports, etc.) et parfois du manque de qualité. Pourtant, si on fournit des données de bon niveau, je suis persuadé qu’on arrivera à trouver des business modèles qui soient autonomes des finances publiques.

Donc oui, nous sommes favorables à la mise à disposition des données mobilité, en veillant à la cohérence avec les politiques publiques de mobilité, et en assurant par la qualité de la donnée, des services utiles et fiables pour des usages multiples.

 

Comment s’assurer qu’une fois les données ouvertes l’intérêt général soit préservé ?

Au-delà des clauses juridiques classiques - mettre à jour la donnée, indiquer la source, ne pas dénaturer les données – on peut très bien ajouter des clauses portant sur la cohérence avec les politiques publiques. Ainsi, on s’autorisera à stopper la mise à disposition à ceux qui ne respecteraient pas les politiques publiques ou qui auraient des effets pervers tels que ce serait nuisible à la collectivité, c’est-à-dire au bien commun.

Mais il y a des données où il n’y a pas d’enjeux de ce type-là, par exemple pour tout ce qui est lié au vélo. Il paraît donc plutôt raisonnable d’ouvrir ces données le plus largement possible. Mais de la même façon, si les services produits à partir de ces données sont de mauvaise qualité et que cela a un impact négatif, et bien on regardera.

Comment accepter qu’à partir de données publiques qui auraient été mal retraitées, soit diffuser de faux horaires ou de mauvaises informations avec un impact commercial négatif sur les sociétés privées qui assurent un service public (transports en commun ou Vélo’v) ? Imaginons : les opérateurs de parking donnent leurs données à des gens qui indiquent que leur parking est plein alors qu’il ne l’est pas. Ça a forcément un impact commercial sur ces sociétés, sur la mobilité et ça dégrade l’image du service.

Il faudrait sortir d’un discours un peu binaire qui assure que la mise à disposition des données est forcément un bien en soi. Ça peut l’être, mais il faut s’en assurer et prendre des dispositions pour que le service corresponde à l’intérêt général. A notre sens, le point essentiel n’est pas tant la mise à disposition des données, que la qualité de la donnée et sa complétude. L’effort doit porter là dessus. C’est valable en France, en Europe et dans le monde.

 

En l’espèce, où est l’intérêt général dans le domaine de la mobilité : dans la diminution de la part modale de la voiture individuelle ?

L’enjeu principal est connu, il n’est pas spécifique à Lyon mais à l’ensemble des agglomérations européennes, c’est le report modal de l’usage immodéré de la voiture particulière vers les autres modes quand cela est possible et pertinent. Tout ce qui incite au report modal de la voiture individuelle vers les transports collectifs, la voiture partagée (covoiturage, autopartage) ou le vélo (pour les faibles distances) est de l’intérêt de tous. Inversement, est incohérent tout ce qui incite à l’usage trop systématique de la voiture individuelle ou dégrade l’image d’un service public de mobilité, qui est de grande qualité sur l’agglomération lyonnaise.

 

Y a-t-il des données qui vous seraient très utiles mais qui seraient trop coûteuses à collecter ?

Comme toute structure, nous veillons à la juste utilisation de nos moyens. Par exemple, nous travaillons aujourd’hui  sur les temps de parcours. Il y a différentes technologies qui existent ; on est en train de les tester à la fois fonctionnellement et sur le plan économique. Si cela nous coûte trop cher au regard de la valeur ajoutée, on ne le fera pas. On recherche toujours le meilleur équilibre entre la valeur ajoutée, apportée à la fois pour nos systèmes de régulation et pour nos voyageurs, et le coût d’investissement et d’exploitation / maintenance. Avoir des données sur des temps de parcours est très utile.

Notamment pour construire des historiques car en milieu urbain on est fondamentalement sur de la récurrence : un lundi à 08h30 ressemble beaucoup à un autre lundi à 08h30, un jour de départ en vacances à un autre jour de départ en vacances… Si nous avions des temps de parcours communicables fiables, les gens porteraient déjà un autre regard sur leurs habitudes de mobilité, et prendrait du recul sur la réalité des temps de trajets et des coûts des déplacements. C’est typiquement le type de données que nous souhaitons mettre à disposition, et travailler avec l’usager pour qu’il les enrichisse.

C’est aussi un axe que nous étudions : faire participer les usagers à l’enrichissement des données. On fournit de la donnée et on demanderait à l’usager de l’améliorer, selon une logique communautaire de type web 2.0. Ainsi, pour donner un exemple, les usagers pourraient participer à l’enrichissement des données sur les temps de parcours entre les principales origines / destinations de l’agglomération selon les principaux modes de déplacement. Tout cela a aussi un coût ; il faut que l’on regarde comment le faire de la manière la plus efficace. Dans Optimod Lyon, nous travaillons avec nos partenaires sur ces différents axes : fonctionnels, techniques et économiques.

 

En quoi consiste le projet Optimod’Lyon ?

Optimod’Lyon est un projet d’expérimentation dont les objectifs sont de concentrer l’ensemble des données de mobilité de l’agglomération en un seul endroit, d’améliorer leur collecte (en testant de nouveaux systèmes de collecte), et de traiter ces données pour fournir trois grands services aux usagers. Optimod Lyon permettra ainsi de faire de la prédiction de trafic routier à une heure, base de nouveaux services de régulation de trafic (prévenir la congestion plutôt qu’intervenir en curatif) et d’information voyageur ; il proposera également un navigateur urbain inter modal en temps réel, autrement dit un outil, sur un site web ou une application mobile, qui permettra d’avoir l’ensemble de l’information mobilité (trafic routier, parking, TCL, TER, Vélo’v, covoiturage, etc.) et de calculer un itinéraire pour aller de A à B en fonction de différents critères et avec une information sur les coûts.

L’application vous alertera avant votre départ et pendant votre déplacement, des éventuelles perturbations et vous proposera un autre itinéraire lorsque cela sera nécessaire. Le 3e grand service est un navigateur de fret urbain (le fret représente 10% du trafic urbain) qui permet à des conducteurs de véhicules de livraison d’avoir une information en temps réel et une information spécifique au fret (hauteur des ponts, ondes vertes, aires de livraison, etc.). Cela permettra aux gens qui organisent les tournées de livraison de les optimiser.

 

Qu’apporte le Grand Lyon au projet Optimod’Lyon : le carburant, c’est-à-dire les données ?

Nous apportons effectivement de la donnée, grâce aux centaines de capteurs fixes installés dans l’agglomération qui nous renseignent sur le trafic en temps réel. Nous apportons aussi des données historisées qui nous permettent de connaître l’état de saturation du trafic toute les minutes depuis plus de 4 ans  sur environ 400 capteurs.

Mais en plus de ce « carburant », nous apportons aussi la compréhension de ces données. Nous sommes toujours dans des contextes spécifiques -  selon la typologie des villes, la taille des axes de circulation, l’implantation des grands équipements, des pôles d’emploi et d’habitation, etc. Il est essentiel de connaître ce contexte pour comprendre pourquoi telle donnée sur tel tronçon a cette forme-là à telle heure de la journée. Si vous n’êtes pas exploitant du réseau, vous êtes incapable d’exploiter cette donnée correctement. C’est un point très important : dans Optimod’Lyon, il y a un travail commun entre les équipes qui développent les services – le secteur privé, que ce soit IBM, City way, etc. – et les exploitants publics – en l’occurrence le Grand Lyon – pour être capable d’analyser les données. Si vous mettez à disposition des données sans cette compréhension du contexte local, il sera très difficile à un opérateur privé de l’interpréter correctement et de fournir une information de qualité. Il pourra estimer que tel tronçon est saturé alors qu’en fait il s’agit d’une zone à deux voies dont l’une est bloquée par un camion de livraison qui stationne précisément sur le capteur. Du coup, cela peut fausser l’information fournie à l’usager.

La valeur absolue d’une donnée sur une route ou sur une autre n’a pas la même signification. Cette intelligence-là se trouve chez l’exploitant du réseau.

 

En quoi le projet Optimod’Lyon peut-il intéresser d’autres collectivités ?

Nous mettons au point un référentiel de données qui soit un modèle duplicable dans d’autres villes. L’idée est d’utiliser les standards existants, et de relier entre elles les données de manière structurée pour optimiser le système global de mobilité et que demain des opérateurs privés puissent venir plugger leurs solutions sur ce référentiel, et qu’ils puissent le faire à Lyon, Toulouse, Göteborg, Madrid, etc. de manière relativement uniforme. On essaie donc de construire un futur standard d’architecture et de mise en relation des données de mobilité urbaine. A titre d’exemple, cela permettrait de relier entre elles une information bouchon ou accident sur un tronçon routier avec une ligne de bus. Ce lien permettrait de fiabiliser l’information donnée dans les TC et d’optimiser la gestion des bus.
Plus profondément, il faut arrêter de penser en silos : il y a les transports en commun d’un côté, la voiture de l’autre, etc. Le report modal ne se fera pas de la voiture vers les TC de manière exclusive. Cela ne correspond pas aux besoins des habitants ni à la capacité d’absorption des TC.

Ce mode de pensée, qui se retrouve dans les  institutions, se duplique dans le secteur privé avec des fonctionnements très cloisonnés : vous avez des navigateurs routiers, des navigateurs transports en commun,  etc. Mais il n’y a pas de navigateur intermodal alors qu’on utilise tous les différents modes selon nos besoins. Aujourd’hui, vous êtes obligé de jongler entre différents sites, différentes applis, etc. Si vous laissez votre voiture à une gare TER ou de TC urbains vous n’avez pas d’outil sur le trafic routier allant jusqu’à ce parc relais, ni sur les places de stationnement du parc relais. Si le parc relais est plein vous le découvrez en arrivant.

Fondamentalement, il faut être capable de fournir de manière intégrée de l’information sur l’ensemble des offres de mobilité, et d’accompagner le voyageur dans son déplacement. Avec Optimod’Lyon, nous relions les données mobilité entres elles, pour rendre possible l’intermodalité.

 

L’ouverture des données répond à un objectif de développement économique. Plusieurs sociétés privées sont engagées dans le projet Optimod’Lyon ; comment peuvent-elles y trouver leur compte ?

L’un des objectifs d’Optimod’Lyon est effectivement que des sociétés françaises développent leur savoir faire et soient au top niveau européen et mondial. Il y a donc clairement des visées commerciales. Les retombées évaluées par les partenaires privés d’Optimod Lyon sont de l’ordre de 83 millions d’euros de chiffre d’affaires.
L’idée est que ces sociétés co investissent dans les développements pour être capables de développer des offres, fonctionnellement et techniquement très concurrentielles par rapport à ce qui se fait ailleurs. Cela permet aussi de fixer de la R&D (Recherche et Développement) en France.

En général, la R&D n’est pas en lien avec l’exploitation. Or, avec Optimod, l’exploitant est très impliqué dans l’expérimentation. Nous voulons des solutions qui marchent à horizon de 3 ans et que nous puissions exploiter et maintenir à des coûts optimum et supportables.

Nous avons de fortes exigences ;  il y a donc une tension entre les équipes qui innovent et celles qui exploitent pour converger vers quelque chose qui apporte une réelle plus value, soit robuste et facilement exploitable  et qui donc aboutisse dans la vie réelle. De ce point de vue là, il y a très peu d’équivalents en Europe. Les fonctionnalités développées et leur intégration dans un centre de gestion de trafic seraient des premières européennes voire mondiales.

 

En quoi cette importance de plus en plus cruciale de la production et du traitement des données  fait-elle évoluer les contours et les missions du service mobilité ?

Il faut que l’on comprenne que le temps des grandes infrastructures est terminé ou est en train de se terminer ! Ce qui reste à faire c’est vraiment du résiduel par rapport à ce qu’on a connu dans les décennies précédentes et cela se situe essentiellement en milieu urbain qui concentre les problématiques de mobilité. Aujourd’hui, on est sur des logiques d’optimisation des infrastructures : comment faire passer plus dans les mêmes tuyaux, mais aussi comment connecter entre eux les réseaux. Pour cela, il faut avoir des informations en temps réel. Des centres de gestion de trafic se développent donc depuis une dizaine d’années, et contiennent une intelligence incroyable : des centaines de km de fibre optique, des milliers de capteurs,  des systèmes informatiques très puissants, etc. C’est ça l’avenir. La France a des grands acteurs sur l’infrastructure ; il faut qu’elle se renforce sur la partie software et équipement informatique. Il faut opérer ce virage-là. Les Hollandais l’ont fait il y a plus de 10 ans ; ils ont appelé ça le big shift. Nous ne l’avons pas encore fait.

 

Pas simple quand l’autorité dans le domaine du transport et des mobilités est éclatée entre plusieurs organismes !

C’est vrai qu’il est assez lourd de connecter les réseaux entre eux, car c’est à chaque fois une organisation différente qui s’en occupe. Sur le plan technique, nous avons sur Lyon un vrai temps d’avance, avec des réseaux de transports performants, disposant d’information en temps réel, en constante amélioration et de belles entreprises dans la région lyonnaise qui travaillent sur ces sujets. Il faut les renforcer. Par rapport à des homologues allemands, les entreprises françaises sur ces sujets sont de taille plus petite, le paysage est plus parcellisé ; il y a donc un vrai enjeu à avoir des acteurs plus importants. Il y a d’excellents savoir faire, il faut simplement que cela se structure.

 

L’un des enjeux  de l’ouverture des données est de permettre des croisements de données qui pourraient susciter des services innovants. Qu’en est-il dans le champ de la mobilité ?

Le croisement de données auquel tout le monde pense est le couplage du temps de transport avec la recherche d’habitation. Cela se fait aux Etats-Unis ou en Angleterre. Si un service permettait d’indiquer les solutions de transport, le temps de déplacement et leur coût en fonction de son emplacement, c’est sûr qu’il permettrait de faciliter le choix de localisation. Il y a peut être d’autres croisements à imaginer, avec des logiques d’achat, de commerce, etc.

Ce que nous souhaitons, c’est qu’il y ait plus de services d’information mobilité de qualité, indépendants des finances publiques. Mais si d’autres services naissent d’un croisement de données, c’est tant mieux !

 

Si on se projette dans 10 ou 20 ans, quelles évolutions imaginez-vous dans le champ de l’info mobilité ?

On aura de l’information en temps réel pratiquement partout, ainsi que de l’information sur les récurrences de mobilité : quel temps je mets habituellement pour aller de A à B en utilisant tel mode et tel mode, à quel coût. Elle sera coproduite avec l’usager. On aura une intégration des politiques de mobilité. Le système de mobilité sera géré en tant que tel, globalement : la voirie, les transports en commun, les trains, les vélos, etc. C’est dans l’intérêt de l’usager et de la collectivité.

 

Comment envisagez-vous la participation des usagers ?

Les usagers participeront de manière plus active à l’enrichissement des données et au financement des services d’information. Le service sera vraiment optimisé si on sort de la logique : « je consomme de la mobilité » pour : « je participe à l’amélioration du système de mobilité ». Cela signifie qu’il faut être dans des postures où l’on ne place pas les gens uniquement en situation de consommation. Si je suis dans un système de consommation, je demande toujours plus d’infrastructures, de services, etc. La voiture est certainement un mode de déplacement fantastique, sauf quand tout le monde s’en sert en même temps : la somme de décisions individuelles ne fait pas forcément l’intérêt commun. Or, si on avait seulement 10% des trajets qui ne se faisaient plus en voiture individuelle, ça enlèverait 20 000 voitures par jour, ce qui changerait fondamentalement la configuration du trafic routier et la qualité de vie en ville (20 000 voitures en moins en ville cela fait 200 000 m2 au sol récupéré). Sur Lyon où 220 000 voitures rentrent chaque jour dans l’agglomération, cela correspondrait à ce que chacun une fois par semaine s’essaye à un autre mode de déplacements : covoiturage (le taux d’occupation des voitures est de 1 aux heures de pointe : il ya clairement des réserves de capacité dans la voiture !), TC, vélo (58% des déplacements en voiture font moins de 3 km : la aussi des marges de manœuvre existent). Cela ne marchera que si l’usager a un intérêt, en temps et en argent, à le faire.

L’injonction économique, plus que le discours moralisateur sur la pollution, est sans aucun doute la plus efficace : quand le baril de pétrole sera à 200 $, les usagers seront poussés à lâcher la voiture. Mais pour cela, il faut que le système soit prêt et qu’il y ait des alternatives possibles et efficaces. Par exemple, si des services de covoiturage permettaient aux gens qui en covoiturent d’autres de gagner pour cela un peu d’argent, et que le service soit en temps réel, un peu comme un autostop communautaire, il est fort probable que ces services rencontrent leur marché. Optimod Lyon vise aussi à préparer l’avenir en anticipant sur ces évolutions.