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Le lean-mangement

Interview de Arnaud STIMEC

Professeur de gestion à l'université de Reims

<< Avec le lean-mangement, toutes les entreprises et leurs salariés sont pris dans un triangle qui comprend la qualité, la santé et la productivité >>.

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Date : 30/09/2012

Propos recueillis par Fabien Richert, journaliste en octobre 2012 pour la revue M3 n°3.

Née dans les usines japonaises du groupe Toyota, le lean management est une méthode de management ayant pour objectif d’augmenter la productivité en engageant les salariés à traquer toute éventuelle perte de temps. Questions à Arnaud Stimec, qui a enquêté sur l’application du Lean management en France.

 

Depuis quand le Lean management est-il arrivé en France ?

Dans les années 1980, alors que le secteur hexagonal de l’industrie automobile était frappé de plein fouet par la concurrence japonaise. Il a depuis 30 ans largement essaimé hors du secteur industriel et touche les hôpitaux, les services, les centres d’appels…

 

Vous avez étudié le Lean management sur le terrain, quels sont les enseignements de votre enquête ?

Nous avons étudié trois entreprises, en France, en nous concentrant sur les éventuels effets nocifs de la méthode. Le premier constat est que le contexte, comme le mode d’accompagnement du travail, compte beaucoup. Le Lean management peut prendre une forme brute qui impose une gestion du temps sans autre considération, ce qui est finalement contreproductif. Le dommage collatéral de cette pratique est une détresse accrue du management intermédiaire. Ces cadres sont ballotés entre une direction qui les juge incompétents et des salariés qui les considèrent comme trop nettement du côté de la direction.

 

Le Lean management fonctionne à condition de tenir compte de l’humain, n’est-ce pas paradoxal ?

Le Lean management est basé sur les rapports humains, car c’est un système de collecte d’information. Il est théoriquement souple sur le fond, la production est accrue grâce au dialogue, mais le but est toujours de produire plus. Dans ce contexte, l’entreprise est tôt ou tard confrontée à une limite. Il faut choisir entre la tâche et la relation, maintenir un équilibre entre santé des salariés et pression productive, ce qui est extrêmement complexe. Toutes les entreprises et leurs salariés sont pris dans un triangle qui comprend la qualité, la santé et la productivité. Confronté à cette triple contrainte, l’individu va commencer par relâcher la pression sur la productivité. L’organisation de son côté poussera à aller au-delà des limites psychologiques ou physiques. Quand ces tensions deviennent trop fortes, il faut réadapter les modèles et les approches, idéalement par le dialogue.

 

Quels sont les effets du Lean management pour la société, l’entreprise et pour les hommes chargés de l’appliquer ?

Dans les trois cas étudiés, la corrélation entre Lean management et augmentation de la productivité est indéniable. Cette croissance est cependant inégale car liée à la qualité de vie des salariés. C’est un système qui favorise les performances, mais tout l’enjeu managérial est de permettre leur pérennité. Il est en effet tentant pour une direction ,ayant un mandat court, de mettre en place un système Lean éphémère qui va dégrader les rapports sociaux, mais permettre d’augmenter la productivité de manière artificielle.

 

Le Lean management, venu d’Asie, est-il culturellement adaptée à l’Europe ?

Le rapport culturel à l’autorité et aux règles n’est pas le même selon les pays. Au Japon, le Lean management impose de créer des espaces formels de discussion, des lieux identifiés dans lesquels le dialogue est autorisé. Les pays latins, avec leur culture du dialogue, ont besoin d’informel : cantine, café, pauses communes par exemple. Les réunions à heure fixe avec un ordre du jour précis sont moins performantes pour améliorer la productivité.

L’étude complète est à consulter sur le site de l’institut d’économie et de management de Nantes dans la rubrique Documents de travail : Management des contradictions et santé au travail : exploration en pays de Lean management, Bertrand T., Stimec A. Lean M