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Le service culturel de l'Université Lyon 1 : un bel exemple de rencontre des arts et des sciences

Interview de Pascal Michalon

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© Université Claude Bernard Lyon 1

<< L'Université, en favorisant les croisements arts et sciences, joue pleinement son rôle de passeur de savoirs et en s'ouvrant au monde extérieur, elle se reconnecte avec la vie de la Cité >>.

Pascal Michalon est Maître de conférences en Biochimie, chargé de mission au service culturel de l'Université Claude Bernard Lyon 1 de janvier 2006 à janvier 2009 et photographe.

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Date : 31/03/2009

Votre parcours professionnel paraît être un bel exemple de rencontre des arts et des sciences.  Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? 

Mes centres d'intérêt m'ont poussé à suivre successivement deux cursus : une formation scientifique et une formation en histoire de l'art. Je suis devenu Maître de conférences en Biochimie et en parallèle, je n'ai jamais cessé de faire de la photographie. Je travaille sur un concept de séries essentiellement autour de l’architecture et du paysage. Mes clichés témoignent le plus souvent de la mutation des zones urbaines et périurbaines et interrogent sur la présence et la trace de l’humain dans le paysage. Mon engagement au sein du service culturel de l'Université Lyon 1 est ancien puisqu’il date de 1998 et précède les actions menées en tant que chargé de mission ces trois dernières années et il perdurera sans doute...

 

Parlez-nous de votre expérience au sein du service culturel de l'Université Lyon 1. Quel est votre bilan ?

Je pense que nous sommes les premiers à avoir essayé de favoriser un dialogue « arts et sciences » à l'Université. En 1999, au moment de l'organisation des premières expositions sur les campus, l'objectif était, dans une première étape, de faire entrer la culture via la photographie à l'Université ; c'était déjà une révolution ! Cette volonté de créer un noyau culturel était largement ignorée par le corps enseignant mais heureusement soutenue par le Président du CEVU (Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire), Domitien Debouzie, qui devint ensuite le Président de l'Université. La mise en place de spectacles, la création de lieux destinés à l’image ont permis d'importer un peu du monde extérieur au sein de l’Université (qui, à l’époque, était encore fermée et entourée de barrières) pour lui donner son statut de pilote au sein de l’enseignement supérieur en matière de création culturelle.

Dans une deuxième étape, nous avons souhaité montrer ce que la science pouvaient produire notamment en termes d’image photographique, qui est un médium largement utilisé en science, et de confronter cette production à celles de créateurs comme par exemple Orlan, Reto Rigassi ou Joan Fontcuberta qui ont un regard critique ou décalé sur la science et ses applications. 

Ainsi, au cours de cet événement qui a regroupé quinze lieux d’exposition, il a été possible de valoriser et de confronter certaines collections scientifiques remarquables que possède l’Université Lyon 1. Par exemple, nous avions exposé une partie des collections de l’Herbier Bonaparte qui est le 2ème plus grand herbier de France en regard de l’Herbarium de Fontcuberta ; nous avions aussi installé de grands tirages de John Coplans dans le Musée d’Anatomie face aux saisissantes images de la Collection Ollier. 

 

Le 3ème temps est-il celui d'un réel dialogue entre les arts et les sciences permettant la coproduction d'objets de recherche et d'objets artistiques ?

En effet, mais pour le moment, les opportunités de rencontre, et donc de dialogue, entre les arts et les sciences me semblent particulièrement sous-exploitées.

 

Comment expliquer cette absence de dialogue entre les arts et les sciences ?

Beaucoup de conformisme règne encore dans le monde scientifique et cela ne favorise pas l'ouverture vers l'extérieur. Ce travail en vase clos s'explique car les scientifiques sont dans une perpétuelle course aux publications qui déterminent ensuite la progression de leur carrière, puisque celle-ci dépend essentiellement de leur travail scientifique ; l’expression anglaise « Publish or Perish » résume assez bien la pression qui s’exerce sur les jeunes chercheurs qui souhaitent poursuivre plus tard une carrière dans la recherche scientifique. La conséquence est un manque de temps et d’envie de s'ouvrir à autre chose, à d'autres disciplines que la leur. Je pense que l’on aboutit ainsi à une recherche stéréotypée qui perpétue des schémas anciens qui n’ouvrent pas sur des confrontations stimulantes. Or, les avancées en recherche scientifique se font très souvent dans des zones marginales aux interfaces de deux ou plusieurs disciplines mais aussi en regard de la société dans laquelle on vit.

Les artistes viennent parfois provoquer la rencontre, mais malheureusement, le temps et l'argent manquent toujours pour accueillir convenablement et développer des projets communs. Dans le cadre du prochain contrat quadriennal en préparation avec l’Etat et la Région Rhône-Alpes, nous menons une réflexion pour tenter d’implanter des enseignements à vocation culturelle dans les cursus scientifiques et aussi pour favoriser des projets de création artistique en milieu scientifique.

Enfin, il manque une « courroie de transmission » entre artistes et chercheurs, courroie essentielle pour bien définir un projet, pour veiller aux nécessités de la création en respectant la rigueur et les impératifs de la recherche scientifique tout en garantissant la liberté de chacun. Ce type de projet doit forcément être bien encadré… Sans cette étape là, on risque de ne rester qu’en surface.

 

Que peut-on attendre d'un développement des échanges entre artistes et scientifiques, pour les uns comme pour les autres ?

Rien pour l'instant... tant qu'il n'y a pas de prise de conscience générale de l'intérêt de tels échanges et de moyens dédiés pour les faire vivre. Actuellement, seuls quelques individus mènent des recherches à la marge et qui sont passionnantes. 

Ariel Ruiz i Altaba, fait partie de ceux-là. C’est un biologiste de renommée internationale qui dirige un grand laboratoire à Genève. Il propose au travers de la photographie une « contre-expertise » plastique de travaux scientifiques. Dans une série intitulée « Génome et identité », il superpose à des visages et des silhouettes humaines des représentations de séquences d'ADN ou d'empreintes digitales. Il se situe ainsi à la frontière de la photographie de portrait et de la représentation scientifique de l'identité et élargit ainsi la définition classique du portrait. La série « Mémoire », nous invite, à partir de portraits détériorés, à nous remémorer l'image d'une personne connue, image abîmée par le temps dans notre esprit et reconstituée par l'acte volontaire de se souvenir de la réalité. 

On peut aussi citer le plasticien Joan Fontcuberta qui invente de fausses expériences scientifiques avec des échantillons créés de toutes pièces. Il y a dans cette démarche une véritable remise en cause du Dogme scientifique qui débouche sur un questionnement à la fois de l’expérience elle-même et de son intérêt général mais intervient aussi sur le terrain de la fraude scientifique qui est un phénomène bien réel. Ce type de travail critique dérange souvent la communauté scientifique comme l’ont montré certaines réactions lors de la « découverte » et de l’exposition des « Sirènes de Dignes ». Il s'agit d'une « invention archéologique » de l'artiste : il présente des squelettes de forme humaine, encastrés dans la roche et se terminant... en queue de poisson.

 

Mais quels seraient les bénéfices pour les artistes et les scientifiques d'échanger davantage, de travailler ensemble ?

Je pense qu’il s’agit tout d’abord de confronter deux univers très différents et d’en retirer des bénéfices réciproques. Pour les artistes (de tous horizons), il s’agit de s’imprégner des avancées de la recherche et de nourrir un imaginaire, une création, en rapport avec de grandes questions scientifiques ou sociétales actuelles. Pour les scientifiques, le bénéfice semble moins évident a priori, cependant cela permettrait aux chercheurs (et aux étudiants par la même occasion) d’être confrontés à une vision extérieure du monde scientifique, critique et poétique qui pourrait leur proposer d’envisager leur recherche (et leur enseignement) d’une manière plus ouverte.

Par ailleurs, les bénéfices pour la collectivité sont évidents car ils permettent une autre entrée dans le monde scientifique ainsi qu’une réappropriation des sciences par le biais de la création artistique. Ces croisements arts et sciences sont particulièrement porteurs en termes d'image. L'Université, en les favorisant, joue alors pleinement son rôle de passeur de savoirs et en s'ouvrant au monde extérieur, elle se reconnecte avec la vie de la Cité. Il faut maintenant convaincre les politiques… 

 

Quels sont les gages de réussite de ce dialogue arts et science ?

Je vois principalement deux écueils à éviter. Il serait souhaitable tout d'abord de sortir des clichés ! Prenons l'exemple de la photographie : le public est habitué à voir des belles images scientifiques, de photos de l'infiniment petit ou au contraire de l'espace, des photos colorisées, etc. Or, le propos n'est pas de produire du beau ou de l'insolite ou de « regarder la science » mais bel et bien d'avoir une véritable réflexion, un questionnement d'ordre scientifique, sociétal, esthétique au travers d'une expérience artistique. 

Bien sûr, cette dimension doit être accessible à tous, avoir un sens immédiat (parfois celui du dérisoire) sans être réservée à quelques initiés, comme c’est trop souvent le cas dans l’art contemporain, mais elle doit aussi développer une réflexion (voire une sensation) qui dure dans le temps. 

Cependant j’ai constaté à plusieurs reprises lors de la conception d'expositions qu’il est difficile de proposer des choses différentes et ambitieuses. Les gens retombent trop souvent vers un choix des mêmes types de photographies ou de créations. Ainsi, en 2001, au lieu d’avoir une très belle exposition à partir de clichés de Bonaparte de la fin du 19è siècle que nous souhaitions mettre en rapport avec l’Herbier du même nom, notre partenaire a préféré nous proposer des images d’insectes, mignonnes certes, mais sans grand intérêt. Je suis persuadé qu'on peut sortir des clichés habituels et proposer autre chose au public ! 

Ensuite, je pense que certaines manifestations scientifiques, telles que la Fête de la Science par exemple, pourraient être mieux utilisées, et notamment à d'autres fins que celle de la seule diffusion scientifique.

Tant de pistes pourraient être creusées : j'évoquais à l'instant la question de l'identité (physique, biologique, construite...), la question de la mémoire, mais il y aussi tout l'imaginaire médical scientifique qui depuis la fin du 19è siècle, a alimenté la littérature fantastique (Shelley, Stevenson, Wells, etc.) et qui continue à fournir des pistes au cinéma (fictions de tous ordres, science-fiction…). On peut citer par exemple le travail du réalisateur David Cronenberg. La question du progrès scientifique pour assurer le bonheur de l’Humanité reste toujours d’actualité…

 

D'après votre expérience, pensez-vous que les artistes et les scientifiques soient prêts à travailler ensemble ?

Les artistes sont assez ouverts, même s'ils raisonnent en fonction de leurs domaines d'activité et de ce que ces collaborations avec les scientifiques peuvent leur apporter. Ils viennent parfois provoquer la rencontre comme l'artiste Martine Rondet-Mignotte qui utilise les travaux sur les fractales effectués par les mathématiciens de l’Université Lyon 1 pour créer des tableaux abstraits originaux. En revanche, 99% des scientifiques ne voient pas l'intérêt de s'intéresser à l'art. Ceux qui se lancent dans l'aventure d'une collaboration originale avec un artiste sont rares et doivent en plus subir le manque de reconnaissance de la communauté scientifique.

 

Une évolution des mentalités pourrait venir des étudiants eux-mêmes... Sont-ils demandeurs de produits culturels, de collaborations avec des artistes ou encore de pratiques culturelles ?

Je pense que l'organisation actuelle ne favorise pas vraiment ces demandes. Les universités sont de plus en plus grandes et certaines initiatives culturelles peuvent passer complètement inaperçues. L'organisation de l'enseignement par semestre complique l'engagement des étudiants dans telle ou telle activité, leurs enseignants ne leurs donnent pas vraiment l’envie d’aller « perdre leur temps » avec des intérêts périphériques à leurs disciplines.
Des ateliers culturels existent mais ils sont actuellement détachés, indépendants des enseignements scientifiques. Pourtant, cette année universitaire, nous avons lancé un module d’enseignement sur l’image, de 45 heures, dans le cadre de l’AUP (Année Universitaire Préparatoire, année visant le renforcement des compétences et des méthodes d'apprentissage et permettant d'intégrer l'enseignement supérieur), c’est une grande première… 

Et puis il y a toujours des exceptions, comme Lucian Stanculescu, étudiant actuellement en thèse qui se passionne pour la recherche sur les images numériques et qui la relie à une réflexion de plasticien. Le directeur de l’IUT de Provence, avec qui nous collaborons depuis quelques années, a été tellement séduit qu’il lui a demandé de donner une conférence dans son département d’Informatique. 

 

Percevez-vous des indices de changement ?

Pas réellement, mais quelques évolutions méritent d'être signalées. Avec l'intégration de l'IUFM à l'Université, il y a de nouvelles pistes, une volonté d'intégrer dans les filières d'enseignement de Lyon 1 des modules qui existaient au sein de l'IUFM. C'est le cas du module « Corps et Voix » animé par deux musicologues qui apprennent aux étudiants à placer leur voix et à évoluer dans l'espace en même temps. Nous espérons aussi mettre en place des modules autour de l’image et de son utilisation pour les étudiants en thèse, voire même en masters, dans les années à venir.

 

Ces aptitudes (maîtrise de la voix, utilisation de l'image, etc.) pourraient être utiles dans de nombreuses professions. Pourquoi ne pas généraliser leurs enseignements dès maintenant ?

Les raisons sont en général toujours les mêmes : un manque de volonté générale, un manque de compétences, un manque de temps et un manque de moyens. Comme vous le voyez, il y a beaucoup de lacunes à combler mais je pense qu’il suffit de jouer sur un de ces leviers, par exemple trouver de l’argent et des partenaires pour que le reste puisse suivre. Si les moyens financiers sont au rendez-vous il sera beaucoup plus facile de motiver les gens, de trouver les bons interlocuteurs et de dégager du temps…