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Les temps forts des politiques communautaires depuis la création de la communauté urbaine

Interview de Jacques MOULINIER

Président délégué du Conseil de Développement de la Communauté urbaine de Lyon en 2008

<< Je pense que les Eurocités ont été le moment où Lyon s’est éveillée aux questions internationales >>.

Economiste de formation, Jacques Moulinier devient PDG des laboratoires Vial en 1971. Se réclamant politiquement du centre (UDF), il remplace Louis Pradel au conseil municipal quand celui-ci décède en 1976. Il a alors les délégations municipale et intercommunale successivement dans le domaine de l’urbanisme, des technologies de l’information, de l’économie et de la stratégie d’agglomération. Il reste adjoint au maire et membre du bureau de la Communauté Urbaine sans discontinuité jusqu’en 2001, date à la laquelle il décide de quitter progressivement la vie politique. Jacques Mouliner aura ainsi effectué quatre mandats à la Communauté Urbaine. Parmi les principaux projets auxquels il a contribué, nous pouvons citer la mise en place de l’équipe opérationnelle de Gerland en 1982, la démarche stratégique « Lyon 2010 », la relance du Plan Technopole en 1996, la démarche millénaire 3. Jacques Moulinier a également beaucoup œuvré pour l’internationalisation de Lyon.
Figure emblématique de la modernisation des politiques du Grand Lyon, Jacques Moulinier nous expose les temps forts qui ont marqué la montée en puissance des politiques communautaires.

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Date : 19/11/2008

Pouvez-vous nous décrire la situation de l’agglomération lyonnaise dans les années 60, c’est-à-dire avant la création de la Communauté Urbaine ?

Malgré une vie culturelle significative, on attribuait à la ville une couleur assez grise dans les années 60. De plus, elle souffrait des départs des sièges sociaux en faveur de la région parisienne et il n’y avait pas vraiment de politique volontariste pour contre-carrer ce mouvement, les milieux économiques étant assez peu attentifs à ces questions-là. C’est aussi les années où ont été engagés des travaux extrêmement importants sur l’ensemble de l’agglomération lyonnaise tels que la Part-Dieu, le tunnel de Fourvière ou le métro. Ces travaux ont été réalisés d’autant plus facilement que nous étions en plein dans la période faste des Trente Glorieuses et qu’il y avait de l’argent qu’Herriot n’avait pas dépensé. Le remplacement d’Edouard Herriot par Louis Pradel en 1957 a quand même beaucoup changé les choses puisque Herriot avait conduit une politique qui était un peu minimaliste, tandis que Pradel a vraiment pris les choses en main. 

 

La création de la Communauté Urbaine a-t-elle été vécue comme une aubaine à l’époque ?

C’est évident. Nous étions arrivés à un stade où Lyon devait considérer son développement à une autre échelle pour assurer son avenir. Bien qu’elle ait été imposée par l’Etat, la mise en place de cette institution communautaire a été une réelle chance pour Lyon.

 

Outre les services urbains, la Communauté Urbaine s’est rapidement investie dans la compétence en aménagement urbain. Comment cette compétence s’est-elle mise en place au sein de l’institution ?

C’est en donnant à l’Agence d’Urbanisme une place complètement nouvelle et en créant la Direction Développement Urbain au sein de la Communauté Urbaine que nous avons pu mobiliser localement des professionnels de l’aménagement. Nous avons toujours eu la chance, nous élus, d’être entourés de professionnels de très haut niveau, ce qui n’est pas le cas de toutes les collectivités urbaines. C’est grâce à ces compétences que nous avons pu remettre à plat l’ensemble de la politique d’urbanisme à la fin des années 70. 
D’autre part, il faut souligner la continuité des grands projets d’aménagement au cours des différents mandats politiques. C’est une grande qualité que l’on peut reconnaître aux élus lyonnais que de ne pas à chaque fois réinventer la lune mais de s’inscrire, en ce qui concerne les grands projets urbains, dans la continuité des prédécesseurs. Ceci a permis la diffusion de la culture d’aménagement au sein des services techniques. Tout en assurant cette continuité, chaque mandat a quand même su insuffler dans la Communauté Urbaine de nouvelles manières d’appréhender l’aménagement. Je prendrai comme exemple Michel Noir qui, accompagné d’Henri Chabert, a contribué à instaurer une culture des espaces publics au Grand Lyon, qui est aujourd’hui un des axes forts de sa politique d’aménagement.

 

Quelles étaient alors les relations avec l’Etat dans la conduite de cette politique d’aménagement qui s’affirmait au sein de la Communauté Urbaine ?

Lyon s’est très bien préparée à la décentralisation, nous étions tout à fait prêts à prendre les choses en main, et nous avons continué de travailler avec l’Etat de manière très confiante, en particulier au sein de l’Agence d’Urbanisme où l’Etat était représenté. Mais nous avons aussi su, nous Communauté Urbaine, constituer nos propres équipes pour pouvoir intervenir de manière autonome et indépendante. De ce point de vue là, je pense que ce fut une époque très forte qui marque le Grand Lyon encore aujourd’hui !

 

La Communauté Urbaine a d’ailleurs commencé à faire ses preuves en aménagement en assurant le pilotage du projet Gerland au début des années 80. Pouvez-vous nous raconter cette mise en marche ?

A l’époque, Lyon était équipée d’un éventail d’outils qui étaient pour la plupart des Sociétés d’Economie Mixte (Semaly pour le métro, la Serl pour la Part-Dieu notamment,) associées à la Caisse des Dépôts. Et le Projet Gerland a été l’occasion pour la Communauté Urbaine de devenir maître d’ouvrage. Quand nous avons créé l’Agence d’Urbanisme et la Direction Développement Urbain, nous avons eu les moyens de reprendre la main par rapport à ces sociétés d’équipement d’autant plus qu’il y a eu une équipe dynamique d’élus qui s’est créée autour de l’Agence d’Urbanisme animée par Jacques Rigaud, et qui comptait des personnes comme Bernard Rivalta, Maurice Charrier, Guy Fischer et moi-même. Cette époque correspond à l’arrivée aux responsabilités d’une nouvelle génération politique âgée entre 30 et 40 ans. Cette nouvelle génération était incarnée par des personnes telles que Jean-Jacques Queyranne ou Bernard Rivalta à Villeurbanne, Michel Noir et Gérard Collomb. Et je dois dire que nous avons su travailler au-delà de nos différences politiques. Sur les grands projets d’aménagement et de développement urbain, il s’est créé en effet un consensus et un dynamisme collectif qui nous ont permis de relever le défi de Gerland.

 

La démarche stratégique a été, plus tard, une autre manière de construire la politique communautaire. Quels en sont les fondements ?  

Comme je vous l’ai dit, dans le premier mandat de Francisque Collomb, nous avions prévu de réviser le Plan d’Occupation des Sols qui venait d’être voté. Et pour ce faire, nous avions décidé de mettre en place des réflexions à la fois territoriales, sur les grands quartiers de l’agglomération, et des réflexions plus stratégiques sur la politique économique. C’est sur la base de ce travail que l’on a reconstruit un Plan d’Occupation des Sols qui fut très novateur à l’époque ! Il fallait aussi rétablir un nouveau schéma directeur puisque les bases du précédent n’étaient plus valables. Et pour appréhender ce nouveau schéma directeur, nous avons privilégié une vision large qui a été portée par la démarche Lyon 2010. Elle a commencé par un colloque « Demain l’agglomération lyonnaise » qui a été le point de départ de la démarche. Ce point de départ était très important car il amenait la manière dont on voulait conduire notre réflexion, à savoir une réflexion à la fois stratégique et ouverte sur la société civile. A l’époque, Lyon était l’une des premières villes françaises à lancer ce type de démarche.

 

La démarche Millénaire 3 mise en place 13 ans plus tard procède-t-elle de la même logique ?

Millénaire 3 s’est inspiré de Lyon 2010 mais avait une dimension plus sociétale : elle traitait de sujets plus variés, qui d’ailleurs sortaient des compétences du Grand Lyon, alors que pour Lyon 2010, nous avions quand même pour objectif de produire un nouveau Schéma Directeur. En outre, Millénaire 3 a été réalisé avec Raymond. Barre qui était un homme qui s’intéressait beaucoup à la prospective et qui s’est associé étroitement à la démarche. J’ai eu la chance d’être associé à Lyon 2010 et Millénaire 3 et suis fier que Lyon ait été aussi précurseur dans les techniques de  planification et de stratégie.

 

Quel a été l’impact de Millénaire 3 ?
La démarche a permis de créer un lieu de débat pour l’ensemble de l’agglomération lyonnaise en rassemblant une grande variété d’acteurs : plus de 2000 personnes ont participé aux travaux et des publications régulières ont été réalisées pour partager les idées et les débats. Concrètement, elle a débouché sur la mise en place du Conseil de Développement qui fonctionne aujourd’hui de manière très active sous la présidence de Jean Frébault et qui continue à être un partenaire très important de la Communauté Urbaine. Et puis Millénaire 3, comme Lyon 2010, a été produit juste avant de nouvelles élections municipales, ce qui a permis de nourrir les programmes des différentes équipes candidates. Ces démarches ont d’une part nourri le débat d’idées qui précède chaque élection et d’autre part, elles ont permis de créer un consensus autour d’un certain nombre de thèmes qui se sont prolongés par la suite dans les différentes équipes qui ont dirigé l’agglomération.

 

Vous avez également été aux avants postes de la relance du Plan Technopole en 1996, initié en 1984 par l’Aderly. Ce fut là aussi la première fois que la Communauté Urbaine prenait la main sur le développement économique. Quelle a été la marque « Grand Lyon » du Plan Technopole ?

En 1984, c’est l’Aderly, sous la responsabilité de Pierre-Yves Tesse, qui était le leader du Plan Technopole. Dès cette époque, j’ai contribué à ce que la démarche soit accompagnée par la Communauté Urbaine, essentiellement sur le volet aménagement des sites technopolitains. Par contre, lorsque nous avons décidé de relancer la démarche, c’est nous qui en étions les pilotes. Et là nous avons vraiment décidé d’y mettre les moyens : nous avons créé une Direction au Développement Economique, qui a marqué la volonté de la Communauté Urbaine de s’impliquer dans le développement économique. Dès le mandat de Michel Noir, les questions de développement économique commençaient à être soulevées à la Communauté Urbaine mais les actions se sont vraiment organisées sous le mandat de Barre. Raymond Barre était en outre très sensible aux relations entre l’université, la recherche et le monde économique et il nous a beaucoup appuyé dans la relance du Plan Technopole dont l’objectif restait le même  qu’en 1984, à savoir rapprocher universités, recherche et entreprises. C’est aussi le moment où les collectivités mettaient beaucoup d’argent dans les universités avec le Plan Université Lyon 1 2 et 3 et où l’on cherchait à tirer profit de l’Ecole Normale Supérieure Sciences et Lettres. Ce faisant, et cela marque une évolution majeure de la place occupée par l’institution communautaire, le Grand Lyon s’est progressivement rapproché des acteurs économiques. Le poids de Raymond Barre y a fait pour beaucoup dans la conduite des opérations.

 

Sur quels appuis avez-vous mené la politique de développement économique ?

Nos collaborations avec l’Aderly d’une part nous ont permis de mener les grandes opérations de délocalisations publiques des années 80 et 90 (ENS, Interpol, Euronews, OMS, etc.). D’autre part, nous avons senti le besoin de nous équiper en compétences économiques, comme nous l’avions fait sur le volet aménagement, pour pouvoir être un partenaire du milieu économique compétent et disposant de moyens. Nous nous sommes donc constitués un ensemble de partenaires (CCI, Medef, Gil, etc.) parmi lesquels Charles Mérieux a joué un rôle central. Charles Mérieux nous a en effet accompagné dans tout le développement de Gerland et des biotechnologies, il a été un interlocuteur permanent disposant d’un carnet d’adresses fantastique et toujours en avance sur son temps.

 

La santé est un des domaines d’excellence de l’agglomération lyonnaise qui était d’ailleurs une priorité affichée du Plan Technopole, tout comme le numérique. La priorité accordée à certains secteurs économiques résulte-t-elle d’une volonté de spécialisation de l’économie lyonnaise ?

Dans le domaine de la santé, nous avons incontestablement un poids particulièrement fort en France et en Europe. Mais il est extrêmement important de continuer de s’appuyer sur le tissu industriel classique qui est lui-même très innovant (mécanique, chimie). Il ne faut pas systématiquement chercher à Lyon un domaine de spécialisation mais considérer le tissu local dans sa  profondeur et sa diversité.

 

Vous avez contribué également à la mise en place d’une politique de développement international de Lyon qui constitue aujourd’hui une politique à part entière au Grand Lyon. Quels en ont été les premiers jalons ?

Il y a d’abord eu une politique de délocalisations publiques extrêmement forte en collaboration avec l’Aderly sous l’égide de Jean-Marc Roumillac à partir de la fin des années 80. L’arrivée de l’ENS Sciences, puis de l’ENS Lettres et par la suite des grandes implantations publiques comme Euronews, Interpol, l’Ecole Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre ou encore l’OMS a permis de doter l’agglomération lyonnaise de nouveaux ressorts de développement et d’accroître sa visibilité internationale.
Par ailleurs, il y a eu un élément important qui a été la création des Eurocités en 1988, dont je me suis occupé. Y participaient un certain nombre de villes européennes qui étaient des villes secondes dans chacun de leur pays comme Birmingham, Milan, Francfort, Rotterdam ou encore Barcelone et qui, avec Lyon, étaient les villes fondatrices des Eurocités. Cette relation avec les autres villes européennes nous a sensibilisé aux questions internationales et nous a encouragé à mettre en place des outils permettant de développer les fonctions internationales de Lyon. Le projet de la Cité Internationale constitue l’un de ces outils. Je pense que les Eurocités ont été le moment où Lyon s’est éveillée aux questions internationales bien que son tissu économique et culturel fût déjà international. Et puis le classement au patrimoine de l’Humanité ou l’organisation du G7 ont été des événements qui ont incontestablement renforcé la dimension européenne de Lyon.

 

Le Grand Lyon se bat aujourd’hui pour faire rentrer Lyon dans le top 15 des villes européennes. Que pensez-vous de cet objectif ?

Aujourd’hui, on parle beaucoup de classements internationaux qui, au-delà de leur effet mobilisateur, ne veulent pas dire grand-chose en eux-mêmes ! Ce qui est important par contre dans ces classements, c’est que Lyon soit la deuxième ville française après Paris, ce qui a toujours été le cas jusqu’à présent ! Il faut que Lyon reste dans le peloton de tête, en particulier des villes secondes, mais la forte centralisation du territoire français est un élément qui doit nous inviter à prendre du recul par rapport à ces classements. L’Allemagne et l’Italie sont dans des configurations tout à fait différentes ! Pour progresser sur la scène internationale, il faut que Lyon continue de développer ses réseaux, qu’elle fasse l’effort de se comparer aux autres grandes villes européennes et échange avec elles pour avancer.

 

Quels seront les défis à relever pour le Grand Lyon dans les prochaines années ?

Je pense que le principal défi à relever pour le Grand Lyon sera de réussir l’alliance entre la compétition et la solidarité. Il faut que Lyon reste une ville à la fois équilibrée et dynamique. Un autre grand défi est celui de la région métropolitaine. Nous avions créé la RUL dans les années 80 et nous étions déjà en avance par rapport aux autres agglomérations françaises. Le défi sera alors de trouver un équilibre entre la vie démocratique et la dimension de ces nouveaux territoires pertinents qui se dessinent aujourd’hui.