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Le travail protégé en entreprise

Interview de Gilbert NEVES

<< Le vrai challenge est que l'entreprise accepte la différence >>.

Interview de Gilbert Neves, chargé de communication et Emmanuel Le Goff, coordinateur de l'ESAT Hors Murs (Etablissement et Service d'Aide par le Travail), à L'ADAPT Rhône, association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées. 

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Date : 30/09/2006

La loi de 2005 privilégie l'insertion des personnes handicapées en milieu ordinaire, est-ce aussi votre positionnement ?

Le slogan de L’ADAPT est de "vivre avec et comme les autres". Le travail et le lien social permettent aux personnes handicapées de prendre de l'assurance et d'être valorisées. Nous privilégions l'intégration dans la société et le monde du travail ordinaire plutôt que le travail en milieu protégé. Néanmoins, les institutions spécialisées ont la préférence des certaines associations de parents qui sont effrayés à l'idée que leurs enfants, même adultes, soient confrontés au milieu ordinaire. Il est vrai que cela peut être très difficile car il faut affronter toute la souffrance liée au handicap et aux représentations qu'il suscite.

 

Quels sont les avantages d'une telle démarche d'intégration ?

Pour les personnes travaillant en milieu protégé, le lien avec l'extérieur est quasi-inexistant, certaines personnes passant juste du foyer à l'atelier, sans compter que pour intégrer un établissement protégé adapté à sa pathologie, la personne doit parfois attendre plusieurs années ! Au départ, ce système devait permettre à certaines personnes de réintégrer au bout de quelques années le milieu ordinaire. Or le pourcentage de sortie est très faible. Les personnes se retrouvent dans un cocon et ont peur de le quitter : le milieu est tellement protégé qu'il en devient "enfermant" ! Pourtant, bon nombre de ces personnes, à force d'expérimentations et d'entraînement, peuvent réintégrer le milieu ordinaire et sortir d'une action médico-sociale. C‘est la raison pour laquelle L’ADAPT Rhône a ouvert en 2004 un nouveau type de structure, l’ESAT Hors Murs, permettant un accompagnement médico-social pour des personnes intégrées dans des entreprises ordinaires.

 

Quelles activités recherchez vous au sein des entreprises ?

On s'intéresse aux niches d'activité qui répondent à un besoin pour l'entreprise et peuvent être assurées par des personnes handicapées. Cette démarche se heurte de plus en plus souvent aux logiques industrielles qui tendent à délocaliser ces activités peu qualifiées. Le travail est aussi abordé par la notion de tâches et non de postes. Cela demande aux entreprises un effort d'imagination et de s'éloigner d'une organisation du travail formatée. Sont-elles capables de prendre des risques et d'être flexibles ? Bien peu ont cette capacité alors qu'elles peuvent se retrouver confrontées au handicap de leurs salariés à tout moment !

 

Que craignent les entreprises ?

Le handicap fait peur et doit rester le moins perturbant possible. En France, il est assimilé au fauteuil roulant ou au handicap mental alors qu'il est multiple et parfois invisible : perte de mémoire, d'audition, défaut d'autonomie… Très souvent, les entreprises nous tiennent des discours stéréotypés sur l'efficacité, la rentabilité, la polyvalence… mais employer des personnes handicapées n'a jamais remis en cause la rentabilité des groupes avec lesquels nous travaillons ! Les entreprises sont dans une rentabilité à court terme. Sur le long terme, elles auraient pourtant intérêt à s'interroger sur leur éventuelle  "rentabilitésociale et sociétale". Elles exigent aussi que la personne soit diplômée mais peu de personnes handicapées le sont, leur accès à la formation n'ayant jamais été vraiment favorisé ! Le vrai challenge, c'est que l'entreprise accepte la différence.

 

Quelles sont les clés d'une intégration réussie ?

Il faut bien évaluer la capacité à travailler de la personne, sa situation par rapport à son handicap et quelle plus-value elle peut apporter à l'entreprise. L'entreprise ne fait pas de bonne action et doit avoir un intérêt à embaucher : intérêt financier, en terme de communication, et avant tout parce que les compétences sont au rendez-vous !
Malgré tout, l'intégration n'est pas simple et échoue souvent sur le long terme. Pour cette raison, nos équipes sont présentes pour faciliter la prise de poste et l'organisation du travail. Le stage est aussi un moyen idéal pour expérimenter ce que veut dire "vivre et travailler" avec une personne handicapée. Certaines difficultés ne peuvent être vues qu'in situ et a contrario, l'entreprise découvre aussi que ce n'est pas si compliqué ! Ce qui importe est de donner à la personne une chance de travailler. Le public handicapé n'est pas différent des autres publics. Si cela ne marche pas, ce n'est pas grave. Notre objectif n'est pas de faire du social "pur" mais que chacun construise petit à petit son parcours d'insertion.
On a maintenant des expériences positives à valoriser auprès des entreprises. La présence d'une personne handicapée peut impulser une nouvelle dynamique à toute l'équipe : forte motivation, peu de problème d'absentéisme ou de ponctualité… Pour prouver ses compétences, elle doit souvent être meilleure que les autres !

 

Quelles sont les pistes pour faire changer le regard sur le handicap ?

Le marché de l’emploi est un des lieux les plus discriminants pour les personnes handicapées. Pour cette raison, des personnes qui ont des handicaps réels refusent d'être reconnues travailleurs handicapés et de bénéficier des avantages liés à ce statut ! Il serait bon que chacun expérimente une situation de handicap (prendre un fauteuil, porter des lunettes noires, se boucher les oreilles) et tente de se déplacer ou de travailler. On comprendrait mieux les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes et les compétences incroyables qu'elles développent pour s'adapter et compenser leur handicap.
Les cadres d'une entreprise ont essayé et, à leur grande surprise, se sont aperçus qu'ils arrivaient à travailler ! Les valides et les personnes handicapés devraient se rencontrer plus souvent et faire un effort de communication les uns envers les autres. C’est la raison pour laquelle L’ADAPT organise chaque année en novembre la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées.