Vous êtes ici :

Le cluster des neurosciences

Interview de Andrea PFEIFER

<< Il me semble très important pour un pays comme la France de se positionner économiquement et d'investir dans le secteur des neurosciences >>.

Les Neurosciences, leur positionnement, et le cluster Handicap, vieillissement et neurosciences.

Interview de Andrea Pfeifer, PDG d'AC Immune, entreprise de biotechnologie lausannoise qui développe des thérapies innovatrices contre la maladie d'Alzheimer.

Tag(s) :

Date : 20/03/2006

On a l'impression que les pouvoirs publics réinvestissent les neurosciences, pourquoi ?
Je suis persuadée depuis longtemps que les neurosciences représentent une science d'avenir et qu'il faut investir dessus. On se trouve à une conjonction de divers facteurs qui contribuent à placer ce domaine sur le devant de la scène : l'augmentation des maladies liées au cerveau,  l'évolution des techniques de diagnostic avec le développement des techniques d'imagerie, une meilleure compréhension des mécanismes du cerveau, l'apparition des premières thérapies et un intérêt croissant de l'industrie pharmaceutique. Le nombre de publications est aussi un bon indicateur : actuellement dans chaque numéro de grandes revues comme Nature ou Science, on trouve des articles sur le cerveau.

 

Comment se positionne la Suisse sur ce secteur ?
La Suisse a de bons atouts et des pôles complémentaires : le cluster neurosciences de Bâle est axé sur la cognition, Zurich sur la neuro-génomique; Lausanne et Genève plutôt sur l'imagerie. Lors de grands congrès américains réunissant 3-4000 chercheurs, vous vous apercevez que la Suisse est bien représentée sur la thématique des neurosciences. Le problème est le manque de start-up. En neurosciences, la Suisse en compte 5 et la France quasiment aucune.

 

N'est ce pas dû au fait que les retombées industrielles du secteur sont faibles ?
Au contraire ! Si on réussit la conversion de la recherche au produit, c'est un domaine qui peut générer beaucoup d'argent. Regardez la croissance des ventes de médicaments : elle est de 8-10% pour les médicaments liés aux pathologies du cerveau contre 5 % pour les autres classes médicamenteuses ! Les choses évoluent vite et il me semble très important pour un pays comme la France de se positionner économiquement et d'investir dans ce secteur.

 

Y-a-t-il des problèmes de financement ?
Le problème rencontré par les entrepreneurs est double : le développement est beaucoup plus long que dans les autres domaines, et c'est extrêmement coûteux car il existe peu de marqueurs. Récemment lors d'une rencontre à l'échelle européenne, on s'est demandé quel était le meilleur pays européen pour débuter une société de biotechnologies. L'Autriche arrive en tête car il y a beaucoup de fonds d'amorçage. L'Allemagne et la France sont très mal positionnées. La suisse est, quant à elle, un bon endroit pour la deuxième phase de développement des entreprises. Il y a ici beaucoup d'argent et d'investisseurs privés qui prennent des risques. La bourse suisse est aussi accessible et active. L'idéal serait de créer sa société en Autriche puis de venir en Suisse. Un premier fond capital-risques spécialisé en neurosciences a récemment vu le jour aux USA et la Suisse examine aussi la possibilité de mettre sur pied ce type de structures. Dans deux ans, je pense qu'il sera plus facile de trouver de l'argent pour soutenir des projets de développement comme le nôtre.

 

Que peuvent faire les politiques publiques ?
En France, le poids des charges sociales et les lois du travail sont un véritable frein pour développer des sociétés de biotechnologies. Je crois que les lois se sont assouplies dans ce domaine pour favoriser l'émergence de petites structures de valorisation. C'est une bonne chose. Ce sont des domaines qui nécessitent de pouvoir évoluer, notamment en terme d'axes de recherches et donc de personnels. C'est très difficile en France de pouvoir faire cela.

 

La démarche cluster est-elle une force pour les neurosciences ?
Structurer et mettre en relation est une bonne chose en soi. Le cluster permet des échanges d'informations et de technologies mais il faudrait penser de manière plus large et ouverte. J'ai eu une expérience très frustrante en Allemagne : le gouvernement voulait répartir de manière rationnelle un investissement en matériel d'imagerie entre différents laboratoires. Il s'est avéré impossible de faire travailler deux laboratoires sur une même machine : manque de disponibilité, utilisation clinique pour les uns, scientifique pour les autres … toutes les raisons ont été évoquées ! Il ne faut plus penser par laboratoires, ni par universités. Si chaque petite université européenne veut faire un centre de neurosciences cela ne peut pas marcher. Les coûts d'investissement pour les plateaux d'imagerie sont énormes. La France et la Suisse n'ont plus les moyens de financer chacune son propre pôle technique. On n'est plus compétitifs par rapport aux USA qui disposent de moyens gigantesques en terme de plateaux techniques et d'investissements.

 

Quelles sont pour vous les conditions de réussite ?
Je pense que trois choses sont nécessaires. Tout d'abord, le cluster doit franchir les frontières et croiser les expériences françaises, italiennes et suisses ! La France et la Suisse devrait commencer à travailler ensemble et décider de pôles thématiques : l'imagerie en Suisse romande, la neuroimmunologie à Lyon… Il faut être pratique et économique. Ensuite, il faut de l'argent, non pas des pouvoirs publics, mais d'investisseurs privés pour soutenir la création de sociétés innovantes. Enfin, il faut avoir le soutien des grandes industries pharmaceutiques. Sans cela, les neurosciences vont rester très scientifiques et n'auront pas retombées économiques. Le cluster ne peut marcher que si toutes ces conditions sont remplies.