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La posture et la position de Lyon en matière de solidarité internationale

Interview de Rosemarie DI DONATO

<< La question centrale est comment valoriser l’enrichissement personnel et professionnel qu’apporte une expérience de solidarité internationale >>.

Quelle est la posture et la position de Lyon en matière de solidarité internationale ?
Interview de Rosemarie Di Donato, coordinatrice de Resacoop.

Réalisée par :

Date : 27/02/2006

Il est difficile d’avoir une vision claire des acteurs qui composent le milieu de la solidarité internationale, d’établir une typologie représentative de ces acteurs. Comment faut-il appréhender ce milieu à votre avis ?
Le tissu d’acteurs de la solidarité internationale est composé en grande partie de petites, voire très petites associations ; beaucoup de migrants, d’origine africaine notamment, ont monté leur association pour aider leur pays d’origine. Ensuite, c’est un milieu qui est composé essentiellement de bénévoles qui sont très impliqués dans l’action humanitaire ou le développement ; ils sont peu identifiés et c’est dommage ! Ce sont souvent des gens qui bossent bien et qui n’ont pas le temps d’aller aux réunions ou prendre du recul à travers des échanges d’expériences ou d’information. La question qui me semble alors importante est de savoir capter l’énergie de ces actifs qui ne sont pas des professionnels, qui ont leur boulot en plus du temps qu’ils passent dans l’association et d’étudier les passerelles qu’il y a entre leurs compétences professionnelles et leurs actions de solidarité en tant que bénévoles. C’est un enjeu important qui n’est pas seulement celui de la solidarité internationale mais qui a un impact sur la vie de la cité.

 

Avez-vous l’impression qu’à Lyon le milieu de la solidarité internationale est particulièrement dynamique ?
C’est difficile à dire. Le slogan « Lyon, capitale de l’humanitaire », c’est un peu de l’autoproclamé ! C’est tellement autoproclamé que cela finit peut-être par être vrai ou à instaurer une sorte de croyance autour de cela…
De fait, Lyon, en tant que grande ville, connaît beaucoup d’initiatives dans ce domaine mais c’est plus un effet masse à mon sens. Il est difficile de dire qu’elle en comporte plus que Marseille ou Bordeaux par exemple. A Paris, c’est tout autre chose. C’est là que sont implantés les principaux sièges des plus grandes organisations, il y a une pléthore d’acteurs multiples et variés. D’ailleurs, il serait impossible de mettre en place un dispositif tel que Resacoop parce que le milieu de la solidarité internationale y est indécodable, trop complexe ! Je pense par contre à Rennes, et à la région Bretagne en générale, qui font aussi office de référence dans le domaine de la solidarité internationale.
Mais je pense que ces références sont principalement dues au rôle des collectivités locales. La Région Rhône-Alpes est connue pour être engagée de longue date sur ces questions là. Les chiffres sont là pour le montrer, elle consacre un budget conséquent aux actions internationales ; C’est, à mes yeux, le principal élément différenciateur.
Au-delà de l’effet d’image que cela provoque, l’implication de la collectivité locale sur ces questions contribue à créer un environnement, une ambiance propices à l’initiative dans ce domaine même si c’est difficile à mesurer.

 

Par rapport à Genève, qui est la ville par excellence de la coopération internationale, comment situez-vous Lyon ?
Pour la plupart des gens, Genève c’est loin ! Et pour aller y faire quoi ? Il n’y a que des ONG inaccessibles. On ne joue pas dans la même cour. Je pense que les acteurs lyonnais de la solidarité internationale font un peu un complexe par rapport à Genève, en tout cas, ils sont  frileux. Alors qu’ils pourraient effectivement mener des actions de lobbying ! C’est probablement aussi le résultat de la prédominance du centralisme français qui freine peut-être le rapprochement avec Genève… En tant que coordinatrice à Resacoop, je n’ai moi-même plus vraiment de raison d’y aller si ce n’est par intérêt personnel.

 

L’idée que l’on se fait de la solidarité internationale a-t-elle vraiment changé ces dernières années selon vous ?
Le terme de  solidarité internationale a une forte connotation judéo-chrétienne, et évoque spontanément l’aide des pays riches aux pays pauvres. Ce n’est pas notre bannière à Resacoop. Ici, on préfère le terme de coopération où prédomine un rapport d’égal à égal;  Ce n’est pas qu’un discours ! Sur de nombreux sujets, les pays "développés" auraient tout intérêt à apprendre des pays en voie de développement. Par exemple, on aurait besoin de s’inspirer des pays du Sud pour la prise en charge des personnes âgées ou sur les questions de lien social ; La solidarité internationale, c’est toujours connoté Nord-Sud alors que pour nous, c’est tout le monde aide tout le monde. Notre démarche, c’est la coopération, c’est-à-dire avancer et agir ensemble. Si le terme de "solidarité" ne fait que se substituer à celui "d’aide", alors on n’aura pas avancé !

 

Qu’est-ce qui explique, selon vous, ce changement de posture dans le domaine de la solidarité internationale ?
Je pense que c’est une réponse au phénomène de mondialisation qui investit notre quotidien, qui est maintenant à nos portes ; Cela va de paire bien sûr avec l’émergence d’institutions internationales dans les années 90  et un ensemble d’événements, type Rio, et surtout Johannesburg, qui nous nous ont fait prendre conscience que nous ne sommes plus en dehors du monde, et de la tension de l’extérieur vers l’intérieur ; Immergés dans un monde de plus en plus complexe, les citoyens sont à la recherche de clés pour comprendre le monde dans lequel ils vivent et trouver un sens à leur vie. Ce sens, certains le trouvent à travers la solidarité, pas seulement internationale, mais la solidarité au sens global.

 

Et c’est ce que vous essayez de promouvoir et d’organiser chez Resacoop… ?
En effet, Resacoop n’est pas un opérateur de la coopération, on vient en appui aux gens;  on essaie de faire en sorte que les gens se rendent compte des raisons pour lesquelles ils s’intéressent à la solidarité internationale et en quoi cet intérêt donne du sens à leur vie et à leur manière d’agir ici. On essaie de donner de la cohérence, et de pousser les gens à se poser la question de l’engagement dans la solidarité internationale. C’est la raison pour laquelle c’est plus la notion de citoyenneté internationale qui nous intéresse. La solidarité internationale est un outil au service de la citoyenneté internationale. La question centrale est comment valoriser l’enrichissement personnel et professionnel qu’apporte une expérience de solidarité internationale. Cet enrichissement se retrouve par la suite chez ces personnes dans leur manière de travailler, d’être avec les autres, de mener des projets, etc. A ce titre, il est très dommage que l’on de valorise pas plus les gens qui ont une expérience à l’étranger et qui travaillent en entreprises. Ils ont des compétences intéressantes que l’on ne trouve pas chez le premier venu ! Il ne faut pas circonscrire la solidarité internationale à une espèce de petit club de 30-40 organisations que l’on pourrait labellisées, il faut sortir de cela !

 

Vous attribuez à la  coopération internationale des vertus qui ne sont pas suffisamment valorisées. Quelles sont-elles selon vous ?
La coopération internationale est synonyme d’ouverture. Elle fait sauter des verrous dans notre inconscient collectif qui va faire qu’on va peut-être être plus décideur ou plus volontariste ou prendre plus d’initiatives. C’est l’acquisition de compétences à travers l’action internationale qui peut aider à mettre en œuvre d’autres choses ici, à une échelle locale.

 

En quoi ces expériences à l’étranger peuvent-elles se transformer en valeur sociale, être réinvesties dans l’action locale ?
Une action que devrait mener la Région serait de dispenser une formation aux étudiants qui s’apprêtent à partir à l’étranger qui leur permette de se préparer et de tire meilleur profit de leur expérience.

 

Dans la même logique de décloisonnement du secteur de la solidarité (internationale) et de passerelles avec d’autres secteurs, pensez-vous qu’il existe une sorte d’essaimage en provenance des grosses ONG, type Handicap International et que la présence à Lyon de grandes ONG profite directement ou indirectement à d’autres secteurs de l’économie locale ?
Sans HI (150 salariés), Lyon serait certainement moins connu mais je ne pense pas qu’il y aurait moins d’acteurs de la solidarité à Lyon ; Je ne crois pas qu’il existe un système organisé autour de Handicap, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’essaimage ou d’effets indirects ! Pour prendre un exemple, le directeur actuel de l’antenne lyonnaise de l’Institut de Mécénat de Solidarité (IMS, dont le siège est à Paris) est un ancien d’Handicap. Ce qui montre que ces gens, de passage dans le secteur de la solidarité internationale, vont ensuite planter la graine dans d’autres secteurs et continuer dans cette voie.
Mais incontestablement, les grosses ONG comme Handicap exercent une force d’attraction pour un certain nombre de jeunes (comme Bioforce qui a fait un travail pour reclasser les anciens expatriés) et elles offrent la possibilité d’un engagement dans la solidarité internationale tout en véhiculant une image forte qui conforte les gens dans leur expérience.

 

Quels sont pour vous les freins à ces décloisonnements ?
On a tendance à toujours opposer l’action intéressée à l’action désintéressée, ce qui fait d’ailleurs que l’on a du mal à avancer sur cette question de la solidarité avec le monde de l’entreprise ; Mais je pense qu’il n’y a pas vraiment d’action désintéressée, tout le monde à intérêt à travailler ou mener des actions à l’international. Il suffit alors de se le dire et que cet intérêt soit acceptable et accepté ! Cela peut paraître très philosophique mais c’est en fait du bon sens ! Et c’est avec ce bon sens que l’on va pouvoir faire avancer de nouvelles initiatives, en particulier qui permettent de croiser des acteurs qui n’ont pas forcément l’occasion de le faire.

 

Pensez-vous qu’à l’instar de ce que l’on observe dans le domaine des entreprises, il puisse exister une sorte de cluster de la solidarité internationale à Lyon pouvant être source de rayonnement de la métropole et d’attractivité pour d’autres acteurs de la solidarité ?
Je connais plusieurs cas d’ONG parisiennes qui désirent s’installer à Lyon car il existe un potentiel d’emplois et d’action et les conditions de vie sont jugées plus attractives. Mais cela, on le retrouve aussi chez les entreprises et les habitants, ce n’est pas spécifique au milieu de la solidarité internationale. Je pense que ce qui génère de l’attractivité à Lyon dans ce domaine, c’est plutôt les actions et le positionnement des pouvoirs publics.
Sur cette question, il y a eu un projet de création d’une plateforme de la solidarité internationale à Lyon porté par la MITRA (anciennement ADERLY). A l’époque, on se posait la question de savoir s’il n’y avait pas, en Rhône-Alpes, un potentiel susceptible d’attirer des organisations internationales. C’était au moment où Bioforce était à la recherche de nouveaux locaux. Au début, l’étude portait sur les besoins immobiliers : les associations ont commencé à se manifester, à exprimer leurs besoins et à réfléchir à leurs raisons de cohabiter. L’idée était de dire que ça pourrait être intéressant de concentrer des associations dans un espace commun pour favoriser les synergies, avoir plus de visibilité. Le projet n’a finalement pas été mené car l’étude immobilière avait abouti à un projet immobilier pharaonique qui a été abandonné par les collectivités locales. Aujourd’hui, à l’exception de Handicap International et de Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières qui cohabitent au sein de l’ERAC, chacun joue un peu dans sa cour.
Mais depuis 2-3 ans, on essaie de remobiliser cette dynamique à travers le projet de Kiosque de la Solidarité Internationale, qui est véritablement la première manifestation d’une action collective !

 

Quels sont les objectifs du Kiosque ?
Le Kiosque sera un espace d’information et d’orientation du grand public sur les questions internationales. Sa vocation est de constituer un point focal pour les personnes souhaitant s’informer sur les questions internationales ou s’investir dans des actions et de contribuer ainsi à l’implication des Lyonnais dans la coopération et la solidarité internationales.
Resacoop assure l’animation technique, fait en sorte de réunir les conditions pour que tout le monde s’exprime sur le projet, et est l’initiateur des premiers contacts avec les politiques.

 

Que pensez-vous de la réflexion sur la Solidarité Internationale dans la démarche Lyon 2020 ?
Je pense que le discours sur la solidarité internationale dans la démarche Lyon 2020 ne doit pas être un discours ghettoïsant : il faut la solidarité internationale soit remise dans le quotidien des gens pour que ce soit un ressort pour faire autre chose, un enrichissement et que cet emblème ne soit pas réduit à la "générosité lyonnaise". J’insiste, la solidarité internationale est une notion très transversale, ce n’est pas quelque chose qui est à côté de la vie de tous les jours. C’est plus de citoyenneté internationale que de solidarité internationale dont il faut parler maintenant.