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"Sport dans la ville" : un projet social et éducatif

Interview de Philippe ODDOU

<< Le sport permet de faire passer beaucoup de choses. Dans la pratique sportive, il y a de grands plaisirs. Ce qui nous intéresse, ce n‘est pas le sport en lui-même, mais d’utiliser ce plaisir pour accompagner les enfants >>.

Sport dans la ville (SDV) est une association qui s'adresse aux jeunes des banlieues. Installée au pied des tours, elle porte un projet social et éducatif qui utilise le sport comme accroche.

Son objectif est d'aider à l'intégration de ces jeunes par le sport ainsi que de travailler avec eux à leur future insertion professionnelle. Pour cela elle propose :

  • des activités sportives les mercredis et samedis, des sorties, notamment pour assister aux matches de l'OL et de l'ASVEL, des sorties nature et découverte, des camps d'été et des échanges à l'étranger (Brésil et USA). Le plus souvent, il s'agit de sortir les jeunes de leur environnement et de leur faire vivre des expériences fortes ;
  • des activités de découverte et d'insertion dans les différentes entreprises partenaires ;
  • des formations aux métiers du sport, et notamment éducateur sportif.

Rencontre avec Philippe Oddou, co-fondateur et directeur exécutif de Sport dans la ville.

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Date : 29/09/2004

Quelle est la mission de Sport dans la ville (SDV) ?

SDV est un projet social et éducatif qui utilise le sport comme accroche. Nous implantons des centres sportifs au cœur de quartiers en difficulté pour toucher les jeunes au plus près de chez eux. Nous pouvons ainsi leur proposer une pratique régulière du sport et les accompagner sur du long terme pour les aider, au-delà de la pratique sportive, dans leur développement personnel et leur insertion sociale et professionnelle. Nous proposons du foot (centres "But en or"), du basket (centres "Défense de zone") et de l’escalade (centres "Vers le haut"), à Vaulx-en-Velin, La Duchère, Givors, Lyon-Mermoz et Villeurbanne. Au total, notre équipe de 42 animateurs, tous diplômés et salariés de SDV, accueille chaque mercredi et samedi environ 850 jeunes de 7 à 17 ans. Nos programmes sont gratuits et nous accueillons tout le monde.

 

Pourquoi avoir choisi le sport ?

Cela tient à l’histoire des fondateurs de l’association. Par ailleurs, notre but est de toucher le plus grand nombre de jeunes. Si vous proposez une initiation à la musique à La Duchère ou à Vaulx-en-Velin, vous aurez dix inscriptions. Un centre "But en or", c’est 200 inscriptions. C’est donc un outil d’accroche massif, très fédérateur et bien adapté au public qu’on veut toucher. De plus, le sport est un vecteur de plaisir extraordinaire, un vecteur de rêve, d’enthousiasme, de passion. Quand on aime le sport, pouvoir en faire régulièrement est une bonne façon de trouver un équilibre, ce qui nous paraît être une condition pour bien gérer d’autres aspects de sa vie. Cela permet de se structurer. Pour nous, la dimension du plaisir est importante, d’autant que l’on intervient dans des quartiers où la vie n’est pas toujours rose.

 

Vous avez utilisé l’expression "le sport comme accroche". Pouvez-vous préciser ?

Nous n’avons pas prioritairement pour mission d’apprendre aux enfants à jouer au foot ou au basket, mais de les toucher au plus près de chez eux et de leurs centres d’intérêt pour les accompagner dans leur développement et les aider à trouver des perspectives. Le sport permet de faire passer beaucoup de choses. Dans la pratique sportive, il y a de grands plaisirs. Ce qui nous intéresse, ce n‘est pas le sport en lui-même, mais d’utiliser ce plaisir pour accompagner les enfants.

 

Depuis une vingtaine d’années, le sport est largement utilisé par les collectivités locales comme un des éléments des politiques publiques d’intégration et de "pacification" des quartiers sans toujours beaucoup de succès. Qu’est-ce qui fait votre différence ?

Les municipalités nous accueillent, nous prêtent des locaux et sont ainsi partie prenante de notre action. Il est vrai que beaucoup d’entre elles ont recours au sport pour régler des problèmes sociaux ou comportementaux, mais ce qui fait notre originalité, c’est d’essayer d’intervenir directement au cœur du quartier. Les municipalités le font également, mais indirectement, par le biais de clubs dont elles facilitent la création ou qu’elles subventionnent. Or, premièrement, les clubs ne sont peut-être pas toujours les mieux placés pour accompagner les enfants en difficulté et, deuxièmement, peu des enfants que nous touchons les fréquentent. Sur 850 enfants, 200 seulement sont également inscrits en club.

 

Comment expliquez-vous que ces enfants, qui aiment le sport, ne le pratiquaient pas avant que vous arriviez ?

Souvent c’est l’argument financier qui est mis en avant. Mais c’est généralement un motif fallacieux car de nombreux clubs font preuve de compréhension et proposent des tarifs adaptés. Il y a une autre raison, moins clairement exprimée, qui est que, finalement, les clubs sont des structures de compétition. Or le principe de la compétition est que seuls les meilleurs jouent. Quand un coach sélectionne des jeunes pour les matchs, il y en a toujours qui restent sur le banc de touche. A 10 ou 12 ans, si vous ne jouez pas, vous vous découragez vite. Enfin, il y a une troisième raison liée, celle-ci, à l’environnement du quartier et au mode de fonctionnement de ces jeunes. Dans les clubs, les règles sont très strictes, il faut être à l’heure, être toujours présent, etc., et certains jeunes ont du mal se plier à ces règles.

 

Cela veut dire que ces jeunes sont déjà passés par des clubs et ont été déçus ?

C’est vrai pour quelques-uns d’entre eux. Il y a deux façons de pratiquer le sport : la pratique en club et une pratique de loisir, sur des espaces de proximité. Nous touchons cette deuxième frange de la population qui joue au foot ou au basket avec des potes, pour passer un bon moment… Les jeunes qui viennent à SDV sont attirés par ce type de pratique.

 

Mais les activités que vous proposez sont également encadrées !

Bien sûr. Et nous permettons aussi à des jeunes de s’intégrer dans des clubs sportifs puisque 15 % de nos effectifs s’inscrivent en club et que beaucoup de nos éducateurs travaillent également dans des clubs. Mais on a une approche un peu différente du sport ; on accueille les enfants, on fait l’appel, on fait un échauffement, vient ensuite un petit apprentissage technique et, après, on laisse une large place au jeu. Donc les séances sont très structurées, mais l’accent est mis sur le jeu. Nous organisons des compétitions entre les sites, mais peu, pas plus de 5 à 6 par an. Ce n’est pas notre mission. Notre mission est d’être, au cœur du quartier, un lieu de vie, de détente et de structuration personnelle. Cela, on peut y arriver en touchant les jeunes qui sont accrochés par la pratique sportive.

 

Quel est votre public et touchez-vous réellement tous les jeunes ?

Non. Il n’y a pas de mixité sociale pour la bonne raison que l’on intervient au pied des immeubles, là où se posent les problèmes. Cela signifie que l’on ne touche pas tous les jeunes, mais les jeunes des périmètres dans lesquels nous installons les centres, c’est-à-dire une population en difficulté. A 95% ce sont des enfants en situation familiale ou sociale précaire.

 

Comment définiriez-vous l’intégration ?

Pour nous, l’intégration, c’est sortir du quartier. Le problème des quartiers c’est, premièrement, un problème d’urbanisme — sur lequel SDV ne peut pas agir —, deuxièmement, un problème de chômage — qui ne favorise pas la culture du travail —, et, troisièmement, un problème d’enfermement. Les jeunes ne sortent pas de leur quartier ; leur horizon, c’est le quartier. Il faut casser cela. En complément des activités du mercredi et du samedi, on essaie de faire sortir les jeunes du quartier. On les emmène voir les matches de l’OL et de l’ASVEL. Les mercredis, on organise des sorties nature et découverte (via ferrata, canyoning, etc.). On a également des programmes de camps d’été (100 enfants durant 15 à 21 jours) et d’échange à l’étranger, au Brésil et aux USA. Il s’agit de sortir les enfants de leur environnement et de leur faire vivre des expériences fortes. On parle de "souvenir heureux". Nous sommes convaincus qu’un « souvenir heureux » est un atout qui permet aux enfants de puiser de la motivation. Qu’elle soit scolaire ou qu’elle favorise l’intégration sociale, cette motivation leur donne envie d’avancer. On est là pour leur donner envie et, quand l’envie est là, ils peuvent s’en sortir.

 

Permettent-ils de faire vivre le programme annuel ?

Oui. Ça les motive. Ça leur donne envie de s’accrocher… Comme nous accompagnons les enfants sur 5 à 6 ans, beaucoup d’entre eux peuvent bénéficier d’un programme spécifique. Cela, c’est pour lutter contre l’isolement des quartiers et encourager l’intégration sociale. Mais nous agissons également en faveur de l’intégration professionnelle, notamment grâce à deux dispositifs spécifiques. D’abord on a mis en place des formations d’éducateurs sportifs avec les fédérations de foot et de basket. Aujourd’hui, huit encadrants diplômés de SDV sont d’anciens jeunes bénéficiaires. C’est un magnifique exemple pour les jeunes qu’on reçoit. Le deuxième axe de travail est celui de l’insertion dans l’entreprise.

SDV est aidée par une cinquantaine d’entreprises très différentes les unes des autres. Une quinzaine d’entre elles a accepté de jouer le jeu et de participer à un programme de découverte. Dans un premier temps, les jeunes vont voir ce qu’est une entreprise. Beaucoup n’y ont jamais mis les pieds, or c’est important de voir comment cela fonctionne. Ensuite, ces entreprises prennent certains jeunes pour des stages de 15 jours à 2 mois, afin de leur mettre un pied à l’étrier. L’année d’après, ceux qui sont intéressés peuvent intégrer des dispositifs de formation en alternance.

 

Vous parliez de situations scolaires précaires, est-ce que votre programme motive les jeunes scolairement ?

Intuitivement, je répondrais oui. Mais pour être franc, je ne peux pas le montrer objectivement. On a pensé mesurer l’impact de nos activités sur la scolarité mais, d’abord, c’est difficile, ensuite, il est important que SDV montre un peu de distance vis à vis de l’école pour que les jeunes qu’on accueille, qui sont souvent en rupture avec l’école, se sentent en terrain neutre. Ici, ce n’est pas l’école, même s’il y a des contraintes. Au lieu de travailler sur leur "savoir", on travaille sur leur "savoir être" : "savoir être à l’heure", "savoir comment se comporter", etc., ce qui est un préalable à toute intégration. Ceci étant, lorsqu’on présente les programmes spéciaux aux jeunes, type camp d’été ou échange à l’étranger, on met les résultats scolaires dans la balance et là, on s’aperçoit que ça marche, les enfants font de très gros efforts.

 

Comment gérez-vous l’échec ? Y a-t-il des exclusions et comment les présenter à des gamins pour qui vous êtes le dernier recours ?

Oui, nous sommes parfois contraints d’exclure des jeunes. C’est toujours un déchirement et un échec, mais on ne peut pas mettre un groupe en danger parce que deux ou trois jeunes se comportent mal ou ont un comportement agressif. On doit privilégier l’intérêt général. De plus, nous ne sommes pas une cellule d’accueil pour enfants en grande difficulté psychologique, nous ne sommes d’ailleurs pas formés pour cela. Chaque année, sur les 850 jeunes, 20 à 30 posent problème et nous sommes obligés de passer le relais à des structures plus adaptées, comme les services sociaux.

Mais, globalement, ça se passe bien, d’autant que nos activités sont basées sur le volontariat : ils ne sont pas tenus de venir. Bien sûr, s’ils décident de le faire, on leur demande ensuite de la régularité. Pour 10 à 15 % des enfants, l’assiduité est inconstante. Mais comme on fait systématiquement l’appel, on peut réagir assez vite, voir avec leurs parents à quoi tiennent les absences et essayer de faire revenir l’enfant. Mais la régularité doit être importante pour que les programmes pédagogiques et sportifs puissent porter.