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Les apports de la présence animale auprès de l'homme

Interview de Geneviève BERNARDIN

<< On n’amène pas n’importe quel animal dans n’importe quelles circonstances ! L’animal doit, d’une part, être équilibré et sociable, d’autre part, être préparé et entraîné >>.

Geneviève Bernardin, conductrice de Lou et Otan’e, chiens visiteurs,  explique comment l'association "Compagnie Homme Animal" milite pour l'introduction de l'animal dans des établissements où les résidents ont été coupés de leur milieu : résidences de personnes âgées, établissements pédo-psychiatriques... La présence de l'animal, qu'elle soit régulière ou ponctuelle (visites organisées par l'association) offre l’opportunité aux personnes ayant des difficultés relationnelles de recréer une relation privilégiée avec un être vivant.

Propos recueillis dans le cadre de la Journée Prospective du 16 mars 2004, sur le thème de "L'Homme et l'animal en milieu urbain".

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Date : 10/02/2004

Comment est né votre intérêt pour la relation enfant / animal ?
En 1992, dans le cadre d’un déplacement professionnel, j’ai eu l’occasion de faire une visite à la Ferme Pédagogique de Green Chimney’s, à New York. Cette Ferme Pédagogique accueille en permanence près de 120 enfants et en suit quelques 400 autres. Tous ces enfants arrivent de milieux déstructurés et sont en grande détresse psychologique. Tenue à l’époque par le fondateur Sam Ross et son épouse thérapeute, Green Chimney’s leur donne l’opportunité de se (re)trouver dans une ambiance familiale, avec un environnement naturel et… beaucoup d’animaux ! Ce qui m’a surprise, c’est que le programme d’accompagnement de chaque enfant se construit à partir de sa capacité à prendre en charge pour tout ou partie l’animal de son choix. Les enfants vont à l’école avec leurs animaux tenus en laisse ! Quand un enfant conduit un animal en laisse, cela signifie qu’il a acquis une certaine autorité sur lui, et cela lui confère un nouveau statut par rapport aux autres : ce n’est plus « l’enfant à problèmes », c’est « l’enfant qui amène la petite chèvre noire » ! Pour moi, cette visite a été l’élément déclencheur de la prise de conscience de l’importance que peut avoir l’animal pour l’enfant… Au terme de mon séjour, les enfants de Green Chimney’s ont choisis deux chiots éduqués pour les offrir, par le biais de l’ANECAH, à des enfants français handicapés moteurs. J’ai suivi le parcours de ces deux chiots, et je me suis dit qu’il était possible d’utiliser plus largement l’idée en France.

 

Qu’avez-vous choisi de mettre en place ?
En 2000, j’ai participé à la constitution d’une association, « Compagnie Homme Animal » (CHA), accompagnée par un comité scientifique et basée à Nantes.
Cette association a deux objectifs :

  • Premier objectif : pérenniser une plateforme de référence en matière d’introduction de l’animal en institution de personnes âgées. Ce concept de « chien collectif » en maison de retraite, lancé initialement par l’AFIRAC en 1993 et pérennisé depuis 2000 par CHA, a été expérimenté dans le cadre d’un programme de 7 ans dans les Pays de la Loire.
  • Second objectif : développer le concept de l’animal visiteur en France, c’est-à-dire la visite d’un animal accompagné de son conducteur à un enfant coupé de son milieu pour des raisons de santé.

C’est une ambition modeste de mise en relation dans des situations préparées à l’avance. On n’amène pas n’importe quel animal dans n’importe quelles circonstances ! L’animal doit, d’une part, être équilibré et sociable, d’autre part, être préparé et entraîné. A même de gérer son animal, le conducteur doit posséder une ouverture et une formation envers les enfants. L’animal ne s’impose pas, il se propose ! Les responsables du lieu de visite doivent avoir validé et préparé la rencontre. Les critères d’hygiène doivent être respectés. Il est évident que l’on ne va pas amener un chien dans un bloc opératoire, par contre, plusieurs sas peuvent être utilisés : salles d’attente, salles de jeux hospitalières, lieux de rencontre mère / enfant…

 

Dans quels types d’établissements faites vous vos visites ?
Idéalement, nous visiterons les enfants hospitalisés en pédiatrie, les enfants en longue maladie, les enfants placés et / ou en classes spécialisées. En pratique, depuis novembre 2002, c’est le service pédo-psychiatrique du Professeur Marcel Rufo au CHU Sainte Marguerite à Marseille qui me reçoit avec les chiens. Le programme testé sera ensuite soumis à l’évaluation du comité scientifique de l’association CHA. Les enfants visités sont des enfants de 5 à 12 ans en difficulté d’apprentissage, hyperactifs ou ayant développé des phobies scolaires. Ils sont pris en charge dans des classes à petits effectifs et bénéficient des apports de plusieurs professionnels médicaux et paramédicaux. Le service accueille également en hôpital de jour des enfants de moins de 5 ans, non scolarisés, qui présentent des troubles liés à l’autisme. Une vingtaine de visites du binôme conducteur/animaux visiteurs sont programmées sur l’année scolaire, en accord avec l’équipe médicale et pédagogique. Lors de chaque visite, les deux chiens rencontrent une quarantaine d’enfants, en séances individuelles ou en séances de groupe.

 

Comment se passent les rencontres avec les enfants autistes ?
Habituellement, l’enfant ne s’intéresse absolument pas à moi mais toujours à l’animal ! Son mode d’approche peut varier : agression, contacts physiques avec les mains, les pieds, le nez… Ce sont des contacts qu’il n’a avec personne ! Lors d’une séance individuelle, il y a toujours une progression : tout d’abord, l’enfant ne veut pas regarder le chien. Il lui tourne le dos. Ensuite, il le regarde à distance, et l’un ou l’autre s’approche. Le contact physique se fait : l’enfant ne veut pas le toucher avec l’intérieur des mains, alors il va le toucher les mains à l’envers… Il va commencer par l’arrière-train ou les flancs, pour progressivement venir le toucher sous le cou et se retrouver enfin en face de lui. Les regards se croisent. L’enfant accepte un petit bisou du chien sur l’oreille… Au fil des séances, il découvre que s’il ne veut pas y aller avec les mains, il peut le toucher avec les pieds ! Quand c’est le cas, le chien s’allonge et l’enfant s’en sert comme oreiller… jusqu’à l’endormissement ! Une autre porte d’entrée possible est la queue du chien qui bat : l’enfant s’approche, intrigué, pour sentir l’air… Lorsque l’enfant est agressif, c’est à moi d’intervenir : le chien, qui sait qu’il est au travail, ne bouge pas et attend ma réaction. Je demande à l’enfant d’arrêter. L’enfant retourne alors à son petit monde et fait l’indifférent. Au bout d’un moment, il prend un jouet et le balance au chien pour renouer le contact…

 

Quels sont les apports de la présence animale pour les enfants des classes pédo-psychiatriques ?
Ces enfants sont en difficultés relationnelles avec les autres. La présence animale leur offre l’opportunité d’avoir une approche et une communication différente avec un autre être vivant. Tout d’abord, il y a la prise de conscience de l’importance du langage non verbal. Les mimiques et la posture de l’enfant lui suffisent pour se faire comprendre du chien : je souris, le chien vient vers moi ; je fronce les sourcils, il se tient à distance… Pour faire asseoir le chien, il suffit que je me tienne debout devant lui en lui disant une seule fois "assis" ! Par le biais du toucher, l’enfant apprend aussi à respecter l’animal : si je caresse le chien ou si je lui arrache des poils, la distinction entre son plaisir ou son déplaisir va être immédiatement perceptible. Et l’animal est insatiable pour les choses agréables ! C’est un autre apport de la présence animale : la mise en relation engendre beaucoup de détente… Une séance commencée dans l’hyperactivité ou l’agressivité se termine dans la relaxation. Enfin, et surtout, devenir le "dompteur" du chien dans le déplacement ou le jeu amène à la valorisation personnelle et la prise de confiance en soi. Une anecdote : une petite Elodie de 5 ans, hyperactive, pas du tout dans l’écoute, qui renversait beaucoup de choses… Dès la première séance, en un quart d’heure, elle a réussi à prendre les deux chiens en main, à jouer avec eux et à les promener sur deux étages et à l’extérieur du bâtiment. Au fil des séances, elle a appris à gérer ses crises d’impatience en attendant son tour et ses crises de désespoir à la fin des rencontres : elle est sortie d’un comportement perturbé pour entrer dans un comportement structuré. Sa transformation lors des jours de visite des chiens était spectaculaire et cela a beaucoup fait réagir le milieu éducatif et paramédical ! Elodie a fini par réintégrer un établissement scolaire normal. Cette anecdote illustre une réalité : l’enfant et l’animal sont capables d’une interaction particulière. La complicité entre eux naît facilement, et l’animal instruit l’enfant sur les limites à ne pas dépasser sans que cela passe par un jugement ou un cadre moral…

 

Racontez-nous une séance de groupe avec les enfants…
La séance a lieu en présence de l’enseignant spécialisé. J’arrive avec les chiens et l’enseignant nous présente. Les enfants se présentent à leur tour, posent des questions et viennent saluer et caresser les chiens. Je choisis de travailler, par exemple, le toilettage. Je fais un appel aux volontaires, et je montre comment brosser les poils, les dents, nettoyer les oreilles, les yeux… C’est un formidable prétexte à un retour sur soi, à son identité propre : ce qu’on fait au chien, il faudrait aussi que je le fasse correctement sur moi… L’enfant parle de lui, de chez lui, de la manière dont il prend soin de son corps… C’est aussi l’occasion de travailler ensemble l’anatomie et l’identification des différentes parties du corps et du squelette.

 

Votre conclusion ?
Pour l’instant, ces expériences ne sont pas assez exploitées par les équipes enseignantes et médicales. Elles ne s’approprient pas véritablement la démarche. Il faudrait les former pour qu’ils utilisent professionnellement les ouvertures pédagogiques et les opportunités de mieux connaître l’enfant suscitées par la présence animale. Il faudrait imaginer des méthodes d’évaluation et des fiches d’observation prenant en compte le comportement de l’enfant et celui du chien, avoir les moyens de filmer les séances et de les visualiser avec les membres du comité scientifique... Dans ce domaine, tout reste à faire en France : étendre le réseau des conducteurs et des chiens, trouver des services hospitaliers prêts à accueillir l’expérience, réfléchir à une meilleure exploitation des visites animales auprès des enfants…