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Les cultures émergentes et le rôle de la Communauté urbaine

Interview de Elisabeth MACOCCO

<< Il faudrait que l’on puisse ouvrir sur une plus grande amplitude horaire, en particulier le soir, le samedi, le dimanche et l’été >>.

Interview d’Elisabeth Macocco, comédienne et metteur en scène, directrice du Centre Léonard de Vinci à Feyzin, réalisée pour le cahier Millénaire3, n° 19 , p 13-14.

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Date : 28/01/2000

Quelle est la vocation du centre Léonard de Vinci ? 
Le centre Léonard de Vinci est l’Etablissement Culturel de la ville de Feyzin. Il doit donc répondre à un certain nombre de nécessités comme, par exemple, une programmation interdisciplinaire : danse, théâtre, théâtre de rue, cirque... C'est un lieu exigeant, mais il propose des spectacles largement accessibles. En plus d'un rôle de diffusion, nous avons un rôle d’accompagnement, à travers la création de stages et d'ateliers pour les jeunes. Pour la danse, par exemple, où l'on distingue beaucoup de cultures émergentes, nous travaillons notamment avec la compagnie Accrorap en pro posant des d'ateliers d'initiation au Hip-Hop ou d'accompagnement pour ceux qui pratiquent déjà mais de manière un peu... "désordonnée". A la fin des spectacles, ces jeunes peuvent participer avec des free-style. Nous organisons ainsi des événements qui dépassent le cadre de la seule diffusion et qui permettent de brasser les cultures et les publics. L'an dernier nous avons accueilli Zoro Henchiri en résidence. C'est un jeune chorégraphe venu du Hip-Hop. Il a créé un spectacle au mois d'avril, animé régulièrement des ateliers, et nous avons monté des "petites formes" avec lui. Il est maintenant chorégraphe du groupe de Feyzin qui a été choisi pour participer au défilé de la Biennale de la Danse, et nous avons l'intention de mettre en place des ateliers, après le défilé, pour pérenniser ce travail. 

 

Comment accède-t-on à ces cultures émergentes qui sont en dehors des institutions culturelles ?
Nous allons voir des gens que nous avons envie de découvrir et que nous ne connaissons pas, le contact se fait, on les accueille mais nous leur demandons de faire autre chose qu'une simple diffusion. Nous n'avons pas vraiment fait émerger de groupe. Lorsqu'on a commencé à travailler avec Zoro Henchiri il avait déjà un parcours de chorégraphe, avec Traction Avant. De même avec Accrorap, ce n'est pas nous qui les avons découverts et nous n'avons pas cette prétention. Ce sont tous des gens qui ont déjà une démarche artistique forte, ancrée dans un travail de proximité, ce qui est une dimension essentielle. Nous travaillons toujours à partir d'un projet artistiquement ambitieux, avec une équipe solide, qui peut aboutir, à travers des ateliers, à une réalisation qui mêle amateurs et professionnels. 

 

Comme ce que vous avez fait pour le spectacle "Je me souviens..." écrit par des habitants de Feyzin dans le cadre d'ateliers conduits par la Bibliothèque municipale...
Exactement. Ce sont des projets qui permettent d'établir des passerelles entre les institutions et les publics. Mais nous accueillons également un grand nombre de spectacles professionnels, et autour d'eux nous développons l'initiation d'amateurs ou l'accompagnement de groupes émergents qui ne sont pas totalement structurés, notamment sur un plan administratif. Nous avons le devoir d'accompagner la professionnalisation dans ce domaine-là aussi.

 

Cela participe-t-il à la démocratisation de la culture ?
Oui, et c'est aussi un de nos rôles. Mais on le fait surtout parce que cela nous plaît. Lorsque nous avons accueilli Khaled en 1994, nous avons été parmi les premiers à le faire et à démontrer que ce type de lieu pouvait également s’ouvrir à ce type d’accueil. Les ateliers jouent également un rôle important dans cette démocratisation. Pour les jeunes, mais aussi pour leurs parents : lorsqu'ils viennent voir leurs enfants, ils sont accueillis dans un théâtre, comme de vrais spectateurs, et non pas dans la salle des fêtes du lycée. Un de nos devoirs est de faire sentir au public que ce lieu est un lieu ouvert, et non un lieu de culture fermé et réservé à des gens ayant déjà acquis une pratique culturelle.

 

Comment se passent les rencontres entre danses issues du Hip-Hop et danse classique ?
Zoro Henchiri essaie de brasser, à l'intérieur de sa propre démarche artistique, le Hip-Hop avec d'autres techniques de danse, contemporaines ou asiatiques. D'ailleurs, la plupart des cultures émergentes sont des cultures de brassages. La compagnie Accrorap est partie du Hip-Hop pur et dur pour arriver aux techniques de la danse contemporaine, ce qui donne une danse très intéressante à la fois hybride et très construite. Ils réinvestissent une culture qui n'est qu'indirectement la leur et la confrontent à une culture de danse plus contemporaine. Il y a un désir de retrouver une culture familiale et de la mêler à sa propre culture de génération. La dimension importante c'est la rigueur du travail, et c'est la différence fondamentale entre la pratique amateur et la pratique professionnelle.
C'est la même chose à travers les ateliers. La motivation de départ doit résister à l'épreuve d'un travail rigoureux, du temps... Il ne suffit pas d'avoir du talent, il faut le cultiver. C'est aussi notre rôle de faire comprendre cela.

 

En intégrant des structures institutionnelles, les cultures émergentes s'éloignent-elles de ce qu'elles étaient à l'origine ?
L'art est toujours en mouvement. Il ne peut pas se fossiliser autour d'une technique. Lorsqu'un art a trouvé sa pleine expansion il faut qu'il cherche ailleurs, qu'il avance à travers un brassage aboutissant à des formes encore nouvelles. C'est la ligne de force de toute discipline artistique, et c'est encore plus vrai des danses urbaines qui, petit à petit, s'enrichissent. Nul art ne peut exister sans prendre les autres formes artistiques en considération. Notre devoir c'est d'être à l'écoute, très généralement. Savoir entendre ce qui se fait, ce qui se cherche, ce qui est désiré, et essayer d'y répondre tout en tenant compte du public. Nous avons accueilli des gens qui focalisent des énergies et des envies très diverses comme l'Orchestre National de Barbés, ou Khaled. Lorsqu'on réunit, dans une même salle, des familles maghrébines entières venues de Vénissieux ou de St-Fons et un public d’abonnés, on est contents d'être là !

 

Ces cultures émergentes ont-elles vocation à tisser du lien social ?
Oui, mais le lien social ne se tisse pas par le seul biais des cultures émergentes. Cela voudrait dire que le mouvement n'opère que dans un sens, or ce n'est pas vrai. Nous faisons aussi l'inverse, à tra-vers des ateliers de pratique artistique, comme au Lycée Jacques Brel à Vénissieux. Lorsque ces jeunes lisent du Cocteau, c'est aussi leur culture qu'ils se réapproprient.

 

Quelle est la politique de la ville de Feyzin ?
La ville nous laisse toute liberté artistique et semble largement approuver nos choix. Les Feyzinois viennent nombreux mais ce ne sont pas toujours les mêmes selon les spectales. Le centre est fré-quenté très largement, mais pas forcément par tout le monde en même temps, ni pour les mêmes
raisons. En six ans, le nombre d'abonnés est passé de quarante à plus de mille ! C'est le résultat d'une politique tarifaire basse, d'ateliers pratiques, d'un travail de diffusion, et surtout de création.

 

Que manque-t-il pour qu'il y ait plus d'initiatives d'accueil des cultures émergentes ?
L’énergie et les idées sont là, mais il nous manque de l'argent, car cela demande un important travail d’encadrement. Il faut surtout penser très différemment la notion d’ouverture au public. Ce serait une manière très concrète et pratique de proposer d'autres choses, en dehors des horaires traditionnels. Il faudrait que l'on puisse ouvrir sur une plus grande amplitude horaire, en particulier le soir. Nous voudrions organiser plus de concerts, des programmations plus fréquentes... Ouvrir l'été, pour toucher les jeunes qui ne partent pas et qui représentent justement ces cultures émergentes.
Ouvrir entre 18 heures et 20 heures, et également le samedi, ou le dimanche. Nous avons besoin d’argent pour faire des choses très ciblées. Il n'y a pas de MJC à Feyzin et cela manque. Notre vocation n'est pas de prendre cette place, mais nous pouvons proposer des événements artistiques plus fréquents, plus légers...

 

Quel rôle pourrait jouer une communauté urbaine comme le Grand Lyon tel que le prévoit la loi Chevènement ?
Je déplore fortement que le Grand Lyon n'ait pas de compétence culturelle et j'y suis tout à fait favo-rable. Le centre rayonne largement au delà de Feyzin, en direction de petites communes qui n'ont pas d'établissement culturel. Nous avons une véritable action sur ces communes, mais aucune reconnaissance institutionnelle précise. Le Grand Lyon pourrait prendre en compte ce travail fait sur les communes voisines. L’action de cette communauté urbaine pourrait être multiple. A travers les équipements, à travers la politique de la ville. Mais, plus directement, le Grand Lyon, pour-rait intervenir sur le fonctionnement du lieu, dans la mesure où un véritable rayonnement est à l’œuvre, ce qui est notre cas.

 

Est-ce que la notion "d’équipement structurant" vous paraît adaptée ?
Oui. C'est une bonne chose. Nous le faisons à travers les "petites formes". Nous proposons des inter-ventions d'une vingtaine de minutes, en priorité sur la commune de Feyzin, car on ne peut pas répondre à toutes les demandes comme par exemple pour la break in Feyzin avec Zoro Henchiri. C'est typiquement le genre de manifestations qu'on pourrait proposer sur les communes avoisinantes avec des formes décentralisées. Une des compétences du Grand Lyon pourrait être, par exemple, à la fois d’accentuer le rayonnement qui est déjà à l’œuvre à partir du Centre Léonard de Vinci, et de nous donner les moyens de décentraliser ces actions artistiques.