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Lyon Biopôle et la médecine de demain

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Illustration représentant différent types de béchères

Interview de Bernard Mandrand

<< La médecine sera de plus en plus personnalisée >>.

Bernard Mandrand est Directeur scientifique du pôle de compétitivité mondial « Vaccins et Biotechnologies » à Lyonbiopôle.

Propos recueillis par Anne-Carolien Jambaud, avril 2010

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Date : 22/04/2010

En quoi la ville de demain s’invente-t-elle dans Lyonbiopôle ?

Le lien avec la ville du futur est sans doute moins facile à établir que pour d’autres pôles de compétitivité. Car Lyonbiopôle a été créé sur la base d’une compétitivité mondiale indépendante du lieu de vie. Le but est de maintenir cette compétitivité, et bien entendu de la développer. La raison d’être de Lyonbiopôle est que la région soit leader mondial dans le domaine des vaccins et des biotechnologies.

 

Peut-on se projeter sur ce que sera la médecine de demain ? On parle beaucoup de médecine personnalisée…

La nouveauté, effectivement, c’est que la médecine sera de plus en plus personnalisée. Et ce n’est pas un phénomène de mode ! Grâce au séquençage partiel des génomes, on adapte de plus en plus les traitements à des caractéristiques individuelles qui résultent d’études multicentriques sur des grands nombres. On obtient de plus en plus de données concrètes, précises, efficaces. L’hypothèse de la séquence totale d’un individu à mille euros devient un objectif raisonnable à cinq ou six ans. Or mille euros, c’est moins que le coût d’une journée d’hospitalisation !

 

Les Etats-Unis semblent avoir pris de l’avance dans ce domaine ?

L’introduction de cette médecine personnalisée sera sans doute moins rapide en Europe que sur le continent nord-américain. Car cette approche, plus diagnostique, est très nord-américaine. Outre Atlantique, si vous voulez tout savoir sur vos paramètres biologiques, vous allez à l’hôpital, vous faites faire une batterie de tests payés par l’assurance et vous obtenez ainsi votre profil personnel. Les compagnies privées d’assurance essaient de prévenir le plus possible. En fonction des résultats de recherche, cela permet d’anticiper certains risques qui paraissent plus importants chez les uns que chez les autres.

En France, si l’on procède à des études prospectives, c’est plus ponctuel, comme par exemple dans le cas du dépistage du cancer du côlon. Il y a de plus en plus de dépistages qui sont des dépistages ciblés. Alors qu’aux Etats-Unis, le système de dépistage est plus ouvert, moins ciblé. Ce sont des approches différentes mais qui renvoient toujours in fine à une médecine personnalisée.

 

Ces différences d’approche recoupent-elles l’opposition classique entre système de soin et système de prévention ?

Le système de soin, c’est la vision du malade qui se fait soigner. Alors que la vision du futur c’est plutôt de garder les personnes le plus longtemps possible en bonne santé. C’est une logique qui est différente. Mais même dans le système de soin, à moyen terme, ce qui prime, c’est quand même cette idée de médecine personnalisée. Le patient est considéré en fonction de sa maladie passée ou probable. Et les soins des patients sont de plus en plus découpés en thèmes personnalisés. 

 

Concernant l’hospitalisation, qu’en sera-t-il ?

On aura moins d’hospitalisation de longue durée, et de plus en plus de traitements ambulatoires, de type « hôpital de jour ». La demande, pour ce genre d’approche, est celle d’une ville dotée de moyens de transports facilement accessibles et d’une meilleure desserte des centres de soin de jour. C’est aussi une demande d’accès à des réseaux informatisés, basés par exemple sur le téléphone portable, de suivi de patients ou de systèmes de distribution de soins personnalisés.

On peut imaginer assez facilement que le patient aura un petit outil de diagnostic à domicile et, en fonction des résultats, il faudra lui fournir les médicaments qui conviennent. La pharmacie de quartier, par exemple, peut devenir le centre d’un système de distribution de moyens thérapeutiques sous un mode interactif. Nous avons là un moyen très simple, vu le nombre de pharmacies en ville dans chaque quartier, de développer la personnalisation des traitements. C’est un avantage important par rapport à la campagne et aux zones d’habitat dispersé, c’est donc un facteur de réurbanisation.

 

Comment le développement de la médecine personnalisée est-il possible dans un contexte de baisse du nombre de personnels soignants ?

C’est un contexte très français : la démographie médicale va effectivement passer par un point bas. Dans cinq ou six ans, on devrait être au creux de la vague puisque le nombre de médecins formés a été très sous-évalué et qu’on recommence à former des médecins depuis 5 ans. Entre 2015 et 2020 on assistera à une diminution de 10 à 15% des effectifs médicaux ce qui sera susceptible de créer une tension assez forte. Lyon étant une ville d’attractivité moyenne pour le corps médical, on aura donc automatiquement un déficit de soignants au sens large.

Par ailleurs, le vieillissement de la population va se traduire aussi par un déficit en maisons de retraite. Il faudra donc faire appel à plus d’hospitalisations de jour, à des systèmes informatisés, à davantage d’aides directes au handicap et aux personnes âgées. J’entends par aide directe le développement de la robotique, par exemple de systèmes de fauteuils roulants très ergonomiques. Les logements sont pour la majorité déjà construits, donc peu adaptés. Mais pour les nouveaux immeubles, il faudra modifier les permis de construire de façon à faciliter l’accès à des personnes handicapées ou âgées. Cela veut dire aussi développer des accès privilégiés au SAMU et en même temps, à des aides de quartier qui peuvent porter secours à une personne en difficulté qui a déclenché un système d’alarme.

 

Sur quoi portent les programmes de recherche de Lyonbiopôle ?

Ils concernent essentiellement la vaccination, la biothérapie et les outils diagnostiques. Nous avons soit un objectif spécifique de protection contre des agents infectieux définis, soit des objectifs plus génériques de stimulation de la réponse immune, afin de permettre aux personnes d’être dans un meilleur état immunologique et de rester en bonne santé plus longtemps.

Un volet important de notre action porte sur le suivi immunologique et la compétence immunologique des personnes : ont-elles un répertoire de réponse suffisamment ouvert, un bon équilibre immunologique ? Nous travaillons aussi sur les thérapies nouvelles qui utilisent des anticorps monoclonaux (fabriqués industriellement), qui aident les défenses des patients.

Dans l’optique d’une médecine personnalisée, Lyonbiopôle travaille sur des traitements qui peuvent être plus facilement appliqués. On propose ainsi des traitements dispensés avec des systèmes de délivrance retardée qui permettent d’avoir des prises une fois par semaine au lieu d’une fois par jour. Ce genre de processus permet d’espacer les prises. On intervient donc sur le fond – la méthode de traitement pour la maladie considérée – et aussi sur le système de délivrance.

 

Au sein de Lyonbiopôle a été conçue une seringue révolutionnaire… Qu’en est-il ?

La seringue BD (Microvax) est effectivement le résultat d’un projet labellisé par Lyonbiopôle. C’est une seringue munie d’une très petite aiguille d’un demi-millimètre, d’un usage facile en toute sécurité. Avantage supplémentaire en vaccination, la réponse intradermique est meilleure que la réponse intramusculaire. C’est aussi très bien toléré et moins douloureux ! Progressivement, on aura de plus en plus de procédés comme celui-ci qui permettront une automédication. Mais il n’y aura jamais d’automédication isolée. Les patients auront toujours besoin de suivi, de formation, d’adaptation…

 

Est-ce que dans la ville du futur les citoyens seront mieux protégés des risques pour leur santé : virus, etc. ? Vous parlez de « bouclier sanitaire »…

On est de plus en plus protégés. La vaccination élimine, progressivement, un certain nombre de gros risques. Parallèlement, les protocoles thérapeutiques comme les médicaments anti tumoraux sont de plus en plus efficaces.

 

Donc que reste-t-il comme risques individuels ?

Principalement des risques liés aux modes de vie des gens : obésité, allergie, etc.

 

Vous parlez d’allergies. Ne sont-elles pas liées, paradoxalement, à la trop grande propreté de nos villes et à nos modes de vie ?

Les allergies ne sont pas uniquement liées à la ville mais leur incidence augmente parce que l’exposition des enfants à beaucoup de stimulants antigéniques traditionnels diminue alors qu’augmente leur exposition à des produits nouveaux inconnus du système immunitaire humain. Tout le système immunitaire qui régit l’allergie a été fait pour lutter contre les parasites qui infectaient l’homme au début de son histoire. Mais nos enfants n’ont plus de vers solitaires ! Or tout ce système immunologique qui existe de toute éternité dans la filiation de l’espèce humaine est encore là, il faut donc l’occuper… C’est cela qui a hypertrophié la réponse allergique. On la combattra en faisant des formes vaccinales, des expositions à des agents variés qui solliciteront le système immunitaire. 

La façon de gérer l’allergie, ce n’est pas de couper tous les arbres et d’éliminer tous les poils de chat ! C’est plutôt de faire en sorte que les enfants soient précocement au contact des animaux et des végétaux. C’est toute une réappropriation d’antigènes qui doit se faire le plus tôt possible de façon que les personnes deviennent tolérantes à leur environnement.

 

La problématique de la ville est donc importante dans le domaine de la santé ?

Du point de vue immunologique, elle est très importante ! D’un côté, vous avez cette problématique de besoins – liés au vieillissement de la population – d’être en ville pour des raisons de proximité, d’accès, de thérapies personnalisées, etc. Le phénomène d’urbanisation devrait donc continuer à s’accentuer. Et d’un autre côté, vous avez besoin de réintroduire en ville, dans la vie des urbains, des éléments du biotope naturel de l’espèce. L’espèce ne peut pas changer d’habitudes en une génération. A trop vouloir assainir, on a fait disparaître des antigènes, des sollicitations immunologiques. La réponse du système s’est alors dirigée contre des éléments du soi.

 

Vous parlez beaucoup de structures médicales de proximité. On assiste pourtant à une concentration des hôpitaux, notamment dans le Grand Lyon avec la réorganisation des HCL, Hospices Civils de Lyon en trois grands pôles. N’est-ce pas contradictoire ?

Ça, c’est la philosophie du traitement, je dirais même de l’usine à traitements. C’est une philosophie hospitalière qui est basée sur l’optimisation financière et le maintien indispensable d’un très haut niveau de compétences. C’est une vision qui a des avantages. L’intérêt d’un gros centre hospitalier est d’avoir des médecins qui voient beaucoup de malades affectés par les variantes d’une même pathologie, ce qui les rend de plus en plus experts. L’expérience se fait sur le nombre. De plus, en terme de soins intensifs, d’environnement, d’IRM, etc., plus l’environnement hospitalier est coûteux, plus il faut de patients pour le rentabiliser. Ce type d’hôpital centralisé est donc justifié parce que les soignants sont expérimentés, voient de nombreux cas et qu’il y a l’équipement approprié et le personnel en nombre adéquat.

Mais tout cela va et vient ! On fait construire des gros hôpitaux, on fait disparaître les petits, et, dans le futur on reconstruira des petits centres de soins polyvalents proches des patients.

 

On assistera donc à un double mouvement, de concentration des hôpitaux et de multiplication des petites unités de soins ?

On verra les deux effets. Un effet de concentration pour les pathologies lourdes qui nécessitent des traitements très instrumentalisés et parallèlement un besoin de décentralisation pour le suivi des traitements courants, beaucoup de soins pouvant se faire en ambulatoire. Ainsi, le phénomène urbain, s’il est bien géré, sera positif pour la santé.