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Transition énergétique et territoire

Interview de Nicolas GARNIER

Nicolas Garnier AMORCE
Délégué Général d’AMORCE

<< La centralisation de la gestion de l'énergie a entraîné une déresponsabilisation, une déconscientisation des acteurs des territoires : ménages, entreprises, collectivités >>.

Interview réalisée par Boris Chabanel (Nova7) le 1er décembre 2014 dans le cadre de la réflexion sur l'économie de proximité et la place de la production locale d' énergie.
Nicolas Garnier est Délégué général d’AMORCE (association nationale des collectivités, des associations et des entreprises pour la gestion des déchets, de l’énergie et des réseaux de chaleur).

Dans cette interview, Nicolas Garnier revient sur la place faite aux territoires dans la récente loi sur transition énergétique pour la croissance verte. Il souligne également l’importance de la question des choix d’investissement que devront faire les collectivités pour faire de la transition énergétique un soutien à l’économie locale. 

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Date : 01/12/2014

Alors que le modèle énergétique français se caractérise historiquement par son centralisme, la transition énergétique semble appeler une approche territoriale de la question énergétique. Qu’en pensez-vous ?
Il faut se rappeler les objectifs initiaux de notre modèle énergétique actuel, celui fondé après-guerre par les lois de nationalisation de la production d’électricité et de gaz avec la création d’EDF et GDF. Il s’agissait de donner accès à tous à l’énergie, à faible coût. On peut dire que les deux grands opérateurs ont globalement rempli leur mission : l’énergie est disponible partout à un prix identique, donc nivelant les différences de coûts de production et d’acheminement entre territoires.

Ce système doit aujourd’hui faire face à une nouvelle donne. Il ne s’agit plus seulement de produire et distribuer de façon industrielle de l’énergie. Au vu des enjeux climatiques et de la tendance au renchérissement des prix de l’énergie, on voit bien que la question de la maîtrise de la demande devient incontournable. Or, les opérateurs énergétiques nationaux ne paraissent pas les mieux placés pour prendre à bras le corps cette question, pour deux raisons. D’abord parce qu’ils n’y ont pas vraiment intérêt : comment être pour la baisse de la consommation de ce que l’on vend ? D’autre part, la centralisation de la gestion de l’énergie a entraîné une déresponsabilisation, une déconscientisation des acteurs des territoires : ménages, entreprises, collectivités. Or, l’enjeu de la maitrise de l’énergie est bien là : prendre conscience de sa consommation d’énergie et des moyens permettant de la réduire. Cela oblige à appréhender la question énergétique au plus près des consommateurs, dans les territoires. C’est à cette échelle que l’on peut apprendre à consommer moins.

L’autre responsabilité des territoires dans la transition énergétique est de valoriser les ressources énergétiques locales. Il est important ici de préciser que l’enjeu n’est pas de parvenir à l’autonomie énergétique, à l’autoconsommation, mais de rapprocher les niveaux de consommation et de production d’énergie à une échelle plus locale. Bien entendu le potentiel énergétique n’est pas le même d’un territoire à l’autre. De façon un peu schématique, on peut penser que les territoires urbains tels que l’agglomération lyonnaise doivent d’abord faire des efforts de maîtrise de leur consommation d’énergie. A l’inverse, les territoires ruraux ont surtout un enjeu de valorisation de leurs ressources énergétiques. Quoi qu’il en soit, la transition énergétique sera territoriale ou ne sera pas.

 

Quel regard portez-vous sur la place faite aux territoires dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ?
Pour répondre à votre question, il faut distinguer les intentions et les mesures concrètes exprimées par la loi. Concernant les intentions, il est toujours assez facile et consensuel d’exposer des objectifs ambitieux pour 2030-2050. Chacun pourra être d’accord avec les objectifs formulés dans le titre 1. Par contre, qu’en est-il des engagements à plus court terme, à l’échelle du mandat ? De ce point de vue, on ne peut qu’être déçu car la loi ne fait mention d’aucun engagement concret d’ici 2017.

Ensuite, concernant les mesures, il faut reconnaitre que la loi, dans la version qui a été votée par l’assemblée nationale, ne change quasiment rien pour les collectivités territoriales. Elle vient graver dans le marbre des initiatives déjà existantes. Prenons quelques exemples. On peut évoquer l’intégration de la gestion des réseaux de chaleur au code général des collectivités territoriales, après 30 ans d’existence. Dans le domaine de la rénovation des logements, on dit aux collectivités de mettre en place des « plateformes de la rénovation ». Or, on en compte déjà plus de 80 sur le territoire national. Par contre, la loi ne s’engage pas sur leur financement. Idem pour la participation des collectivités à des projets de production d’énergies renouvelables participatifs. Concernant la question essentielle de la distribution, les contrats de concession conclus entre les collectivités et les opérateurs de l’énergie resteront globalement les mêmes que ceux que nous connaissons aujourd’hui. La loi crée surtout une instance de représentation des collectivités concédantes à l’échelle nationale. Une petite nouveauté que l’on peut noter cependant concerne le tiers financement : les collectivités peuvent désormais jouer un rôle de « banquier » et proposer des financements pour développer des projets d’investissement.

 

Que manque-t-il à cette loi pour impulser la transition énergétique territoriale ?
Un premier point essentiel me semble-t-il est que les documents de planification énergétique – Plan Climat et Schéma Régional Climat Air Energie – doivent être impérativement co-élaborés par l’ensemble des parties prenantes, c’est-à-dire en intégrant les acteurs qui vont devoir mettre en œuvre leurs orientations. Ces documents doivent également devenir prescripteurs par rapport aux autres documents de planification territoriale : PLU, PLH, PDU, etc.

Ensuite, il nous paraît important que le champ de la maitrise de l’énergie soit reconnu comme un véritable service public local, avec des moyens financiers dédiés. Ce qui nous amène à la question de la lutte contre la précarité énergétique. Dans leur forme actuelle (tarifs sociaux et volet énergie du fonds solidarité logement) les dispositifs existants consistent pour l’essentiel à compenser les difficultés de paiement de foyers à faible revenu. Sauf exception, ces dispositifs ne s’accompagnent pas de démarches permettant d’identifier et de résorber une éventuelle surconsommation d’énergie. En ce sens, le service public local de la maîtrise de l’énergie devrait accompagner en priorité ces personnes afin de les sortir de leur situation de précarité énergétique.

Concernant la distribution d’énergie, levier essentiel de la transition énergétique des territoires, l’enjeu est celui du renforcement du rôle d’Autorité Organisatrice des collectivités. Aujourd’hui, nous sommes dans un système où les relations sont fortement déséquilibrées puisque les collectivités se voient imposer le concessionnaire puisque les gestionnaires de réseau sont en situation de monopole. Ce qui permet au concessionnaire d’imposer « son » contrat, c’est-à-dire celui qu’il définit à l’échelle nationale. Si l’on veut que les territoires développent de véritables politiques énergétiques territoriales, il faut se donner les moyens d’élargir les marges de manœuvre dans la définition de ces contrats de concession. Cela passe par une réelle indépendance des gestionnaires de réseaux de distribution, ERDF par exemple dans l’électricité, vis-à-vis des fournisseurs de gaz et d’électricité dont ils sont des filiales. Ce que l’on demande ensuite c’est l’élaboration obligatoire d’un schéma directeur d’approvisionnement et de distribution énergétique à l’échelle des territoires. Ce schéma doit intégrer les différents réseaux d’énergie – électricité, gaz, chaleur, etc. – et permettre ainsi aux collectivités d’avoir une vision d’ensemble de leurs infrastructures énergétiques. Cela suppose que les différents concessionnaires mettent à disposition des collectivités l’ensemble des éléments d’informations cartographiques et statistiques sur les réseaux, les consommations et les consommateurs. L’élaboration de ce schéma permettrait de définir un développement cohérent des différents réseaux en fonction des spécificités des différentes parties du territoire. Ce qui permettrait de sortir de la situation de concurrence des réseaux que l’on connait aujourd’hui, avec des redondances d’investissements qui font que l’on peut avoir des réseaux surdimensionnés. Ainsi les différents concessionnaires pourraient être réunis par la collectivité afin de définir les choix d’investissement : ici l’électricité, là le gaz, ailleurs la chaleur… Autrement dit, ce document pourrait jouer un rôle essentiel dans la négociation entre la collectivité et les concessionnaires. Enfin, nous demandons à ce qu’un chapitre « transition énergétique » soit intégré aux contrats de concessions et co-élaboré entre la collectivité et le concessionnaire. Ce volet comprendrait un ensemble d’actions de maitrise de l’énergie pour un montant correspondant à 10% du chiffre d’affaires.

 

Au vu de ce que représente l’énergie dans les importations françaises ou le budget des ménages, la transition énergétique soulève également des enjeux économiques importants
Absolument ! Cette dimension-là est encore dans l’angle mort. Qui connait précisément sa consommation et sa facture d’énergie annuelles ? De même, à qui bénéficie cette facture ? Qu’est-ce ce qui part à l’étranger ? Qu’est-ce qui reste en France, à l’échelle régionale, au niveau local ? Autant de questions essentielles auxquelles nous n’avons aujourd’hui pas de réponses.

 

En matière de distribution et de production d’énergie, certains choix techniques ne sont-ils pas plus favorables que d’autres à l’ancrage local de la facture énergétique ?
Cela dépend des besoins énergétiques à satisfaire. Si l’on parle d’électricité, il est clair que ce n’est pas à l’échelle des territoires que ça se joue. Concernant les besoins de chaleur en revanche, on voit bien que les villes ont des marges de manœuvre importantes puisqu’elles peuvent maitriser le processus de bout en bout : la production de chaleur grâce à la valorisation de ressources de proximité (déchets, bois, etc.), les réseaux de distribution, et la possibilité de vendre de l’énergie directement aux habitants. Pour nous, les réseaux de chaleur sont le symbole de la transition énergétique : ressources locales, production locale, distribution locale, consommation locale.

 

De même, pour maximiser la production locale d’énergie, ne faudrait-il pas privilégier la cogénération (production simultanée de chaleur et d’électricité) ?
C’est une évidence. Le problème est que nous sommes dans un système électrique dominé par le choix du nucléaire. Il n’est malheureusement pas rentable aujourd’hui de faire de la cogénération en France. Il faudrait une volonté politique pour faire payer le vrai coût du nucléaire et baisser la part du nucléaire dans la production d’électricité.

 

On parle beaucoup en France du développement de l’électromobilité. Pour autant, le développement de la production de biogaz par méthanisation des déchets organiques n’est-elle pas une voie également intéressante à explorer pour trouver des substituts locaux aux carburants d’origine fossile ?
Il faut d’abord souligner les illusions qui entourent le développement de l’électromobilité. A mon sens, c’est se tirer une balle dans le pied. Vous imaginez ce que représente la diffusion de la voiture électrique pour le système de production et de distribution d’électricité ? C’est une mise sous pression énorme pour produire et pour que les réseaux tiennent le choc face aux appels de puissance pour recharger les véhicules. C’est combien de centrales nucléaires ? C’est combien de km de réseau à renforcer ? Sur le biogaz, je suis d’accord avec vous mais il ne faut pas trop fantasmer. Le gisement de biogaz en France reste limité. En gros, il correspond à 10% de la consommation de gaz du pays. Donc, on voit bien que ce n’est pas avec cela que l’on résoudre la question de la mobilité.

 

L’économie circulaire vous parait-elle également comme un levier intéressant pour économiser l’énergie localement ?
Cette notion me laisse tout à fait sceptique. D’abord parce qu’elle n’est pas nouvelle. L’idée de recycler, de valoriser des sous-produits d’une activité auprès d’une autre ne date pas d’hier. Plus grave, la vague actuelle en faveur de l’économie circulaire laisse entendre que l’on va faire des économies pour notre portefeuille. C’est faux ! S’il y avait des gains financiers à recycler l’ensemble des matériaux et des produits, ça se saurait et cela serait déjà mis en œuvre. Aujourd’hui, vous trouverez quelqu’un pour reprendre vos objets contenant de l’or, mais personne pour valoriser vos déchets de plâtre. Force est de constater que la plupart des filières de recyclage ne sont pas rentables et ne peuvent fonctionner sans subvention via les éco-contributions. Tant qu’il coûtera moins cher d’utiliser des ressources naturelles     que des matières recyclées…

 

La transition énergétique apparait comme un terrain propice aux coopérations entre territoires, en particulier entre les villes et les territoires voisins autour de la valorisation du potentiel d’énergies renouvelables local. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, c’est quelque chose que l’on peut observer dans d’autres pays. C’est le cas des Pays-Bas où l’on a des villes qui sont actionnaires majoritaires de parc éoliens situés dans les territoires voisins. C’est une perspective tout à fait intéressante. Il me parait essentiel de développer à l’avenir les partenariats urbain-rural sur ces questions. La difficulté c’est que cela implique d’investir et de créer des organismes en charge de la mise en œuvre de ces projets. On pourrait ainsi imaginer de créer une SEM pour alimenter l’agglomération en bois de chauffage et dans laquelle le Grand Lyon serait actionnaire.

 

Une autre question délicate soulevée par la transition énergétique est celle de son financement…
Ce qui nous amène à la question de la fiscalité énergétique. A l’heure actuelle, les seules ressources financières potentiellement dédiées au développement des politiques territoriales Energie Climat sont les redevances de concessions (perçues par les Autorités Organisatrices de la Distribution du gaz, de l’électricité et de la chaleur), la taxe sur la consommation finale d’électricité (instaurée par les communes et les départements), l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) et la part de la Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers (TIPP) perçue par les régions. Les premières sont affectées au contrôle de concession, la seconde est en minorité affectée à la gestion des réseaux et en majorité versée au budget général des communes et des départements, les deux dernières sont versées au budget général des collectivités. Par ailleurs, la somme de ces prélèvements représente un peu plus de 3 milliards d’euros, lorsque les autres prélèvements sur l’énergie (en particulier la TIPP) rapportent près 25 milliards d’euros à l’Etat. Enfin, les prélèvements fiscaux sont extrêmement inéquitables entre énergies. La centralisation de cette fiscalité parait d’autant plus dommageable que la consommation d’énergie est partout dans les territoires. Pour toutes ces raisons, une réforme de la fiscalité énergétique parait indispensable afin renforcer les ressources des collectivités pour mettre en œuvre leurs politiques énergie climat.

Plus largement, un enjeu essentiel pour un pays comme la France est de savoir comment utiliser le signal prix pour se préparer à la montée des prix de l’énergie. Autrement dit, soit on attend que les pays exportateurs de pétrole et de gaz ou que les opérateurs du nucléaire augmentent leurs prix, soit on anticipe ces augmentations en fixant dès à présent un prix supérieur à celui du marché afin de financer la transition énergétique.

 

Des pays comme l’Allemagne et le Danemark nous montrent par ailleurs qu’il est possible de mobiliser l’épargne locale pour financer certains projets. Quel regard portez-vous sur ce type d’initiatives ?
Le principe est intéressant mais en France cela reste pour l’instant réservé aux écolos, à ceux qui sont prêts à financer des projets sans perspective de gains réels à la sortie. Encore une fois, si l’on voulait développer cette voie, il faudrait faire payer le vrai prix du nucléaire afin de rendre plus rentables les projets de production d’énergies renouvelables. Si ça marche au Danemark ou en Allemagne c’est aussi parce que le prix de l’énergie y est plus élevé et qu’investir dans ces projets est un bon placement pour les épargnants.

A côté du financement participatif, une question importante est celle du financement des projets des collectivités, pour la maitrise de l’énergie, pour les réseaux, pour la production. Or, la conférence de juin dernier sur le financement de la transition énergétique a bien montrée les limites de ce que l’on pouvait attendre des acteurs financiers classiques. Si l’on attend des investissements de transition énergétique la même rentabilité que lorsque l’on investit dans des firmes, on a un problème…

 

Finalement, un territoire peut-il se fixer de réels objectifs en matière de relocalisation de sa facture énergétique ?
Absolument, simplement il faut le faire sérieusement, sur la base d’une analyse rigoureuse des évolutions de la consommation et de la production locales. Pour le reste, je suis convaincu que c’est un domaine sur lequel les élus peuvent tenir un discours et afficher une ambition : « aujourd’hui, chaque ménage grand lyonnais consomme x kWh d’énergie pour son logement et ça lui coûte x euros chaque année, à l’échelle du mandat nous nous fixons l’objectif de les réduire de x %… ».