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Le handicap dans l'entreprise

Interview de Jacques CHAMBON

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Comédien

<< Quand un corps social oublie de prendre en compte une de ses composantes, c’est l’ensemble du corps qui est handicapé >>.

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Date : 31/03/2001

Propos recueillis par Catherine Panassier, le 1er avril 2011

Jacques Chambon, auteur du «Petit fauteuil de Raymond», une pièce sur l’embauche et le maintien des personnes handicapées dans l’entreprise.
Cette Interview est  réalisée dans le cadre de la réflexion conduite par la Direction de la Prospective et du Dialogue Public du Grand Lyon sur le thème «Ville et handicap»

Jacques Chambon : présentation

Né en 1962, acteur de télévision, de théâtre et de café-théâtre, Jacques Chambon est également auteur et metteur en scène.
Après une formation à l’Ecole d'acteurs Jean-Louis Martin-Barbaz à Paris, puis à l’Atelier du Théâtre de l'Epée de Bois de la  Cartoucherie de Vincennes, ce lyonnais enchaîne les rôles au théâtre et à la télévision. Connu notamment pour son rôle de Merlin l’enchanteur dans la série télévisée Kaamelott, il a joué dans différents téléfilms à l’exemple de Bienvenue aux Edelweiss, La Grève des Femmes, Femmes de loi, Fabien Cosma ou encore Louis la Brocante. Sur les planches, il a joué  dans des pièces comme L’Horizon en pente d’après Romain Gary, Chez les Titch et Les Mandibules de Louis Calaferte, Don Quichotte d’après Cervantes, Hamlet comme il nous plaira d’après Shakespeare, Tchekov en 4 – quatre courtes pièces d’Anton Tchekov, S’agite et se pavanne d’Ingmar Bergman mise en scène par Roger Planchon, mais aussi Ce ne sont pas les femmes qui... d'après Feydeau, Poule Fiction d’Alexandre Astier, ou encore celles qu’il a écrites lui-même pour le café-théâtre : Ta gueule ! et Bilan Provisoire : un One Man Show dans lequel il ose établir un premier bilan de l’humanité !
Metteur en scène à cinq reprises, il est également l’auteur des Sentinelles, Plein Phare, Ascension pour les fauchés, Vidange Tardive, et de Nous Crions Grâce.
Cet homme aux multiples talents a également participé à plus de 150 spectacles de Théâtre d’Entreprise pour des clients tels que BP, L’Oréal, le Crédit Agricole, Rhône-Poulenc, SCREG, Sanofi Aventis, le Crédit Mutuel.... 
En 2007, il a écrit pour la compagnie Guichets Fermés installée à Rillieux-la-Pape : Le petit fauteuil de Raymond.

Pour en savoir plus sur Jacques Chambon :

« Le petit fauteuil de Raymond »

Créée en 1992, et aujourd’hui regroupant cinq permanents, la société lyonnaise Guichets Fermés propose aux entreprises d’utiliser le théâtre comme outil efficace de communication. La pièce, Le petit Fauteuil de Raymond, a été écrite à la demande du Club Entreprises et Handicap de l’Isère, qui regroupe des entreprises attentives au sujet du handicap dans l’emploi. Un certain nombre d’entre elles voulaient témoigner de leurs expériences en matière d’intégration des personnes handicapées pour les partager avec le plus grand nombre.
La pièce aborde sans tabou ni compromis, tous les thèmes comportementaux et législatifs de la loi de février 2005 sur le handicap, reconnaît la difficulté et aborde des pistes de succès quant à l’intégration des personnes handicapées dans une équipe.

Le synopsis : Paul Berthier, le directeur de site de la SOCOMEC, reçoit de son siège la mission de faire baisser sa contribution AGEFIPH de moitié. La solution, c’est de faire plus en matière d’intégration de personnes handicapées, mais n’est-ce pas prendre de gros risques dans un contexte concurrentiel ?
Berthier confie le dossier à Sophie Terraille, la DRH en lui donnant 6 mois pour réussir. Mission impossible ? 
Armée de sa conviction, de son sens du dialogue, et forte du soutien de Raymond Beaupré, un chef d’atelier particulièrement motivé, Sophie va partir à l’assaut des préjugés et des frilosités….Dans cette interview, Jacques Chambon présente l’évolution de sa vision du handicap après avoir écrit et joué à plusieurs reprises Le petit fauteuil de Raymond. Il relate également comment le handicap est perçu aujourd’hui dans l’entreprise, et notamment les points de vue et questionnements qui s’expriment à l’occasion des débats qui suivent la présentation de la pièce aux salariés des grandes entreprises.

Jacques Chambon : l’interview

Le théâtre au service de l’entreprise

Comment l’écriture de la pièce a-t-elle modifié votre propre regard sur le handicap ?

Avant d’être sollicité pour écrire sur ce thème, je n’avais pas vraiment réfléchi à la place de la personne handicapée dans la société en général, et dans le monde du travail en particulier. Pour moi, comme pour la plupart d’entre nous, la personne handicapée, c’était quelqu’un dans un petit fauteuil, quelqu’un pour qui je ressentais de la compassion, et sans doute, inconsciemment, un peu de condescendance. En entreprenant la rédaction de la pièce, j’ai pu mesurer la diversité des situations de handicap et des façons de le vivre. Je crois que seulement 16% des personnes handicapées sont en fauteuil. J’ai également pris conscience de la volonté des personnes handicapées d’être reconnues dans leurs différences et considérées au-delà de leur handicap. En effet, elles rejettent les diverses formes de compassion y compris dans le vocabulaire. Les personnes handicapées préfèrent qu’on appelle les choses par leur nom et que les difficultés d’insertion qu’elles rencontrent soient abordées clairement. Surtout, elles souhaitent que l’on ne voit pas en elles que leur handicap. Trop souvent, celui-ci prend toute la place, alors qu’il n’est qu’un élément et non l’entièreté de la personne. Un programmeur informatique en fauteuil, une fois à son bureau, n’est pas « handicapé » dans l’exercice de son métier, or on aura tendance à voir d’abord son handicap. Les personnes handicapées entendent être reconnues pour leurs compétences.

En quoi le théâtre est-il un bon outil de communication pour aborder des questions comme celle du handicap au sein de l’entreprise??

Le théâtre repose sur le principe de l’effet miroir. Le spectateur a face à lui des personnages auxquels il peut s’identifier. De fait, les processus de prise de conscience s’accélèrent. Autour d’une même situation, le théâtre permet de faire se rencontrer les différents points de vue avec le plus de vraisemblance possible. De plus, il est important de souligner la capacité à dédramatiser offerte par la comédie. Ainsi, le théâtre permet d’aller plus loin sur des sujets difficiles,  d’échapper aux précautions de langage et aux approches seulement techniques du sujet. Il apporte une dimension plus humaine et plus concrète.

Quels sont les messages essentiels que vous avez voulu transmettre à travers cette pièce??

A travers le petit fauteuil de Raymond j’ai voulu transmettre trois principaux messages.
Le premier, c’est que l’insertion des personnes handicapées dans l’entreprise est un long cheminement qui demande un effort au quotidien de tous les acteurs de l’insertion. Par exemple, une entreprise qui souhaiterait décréter que sa priorité est l’emploi de personnes handicapées et qui voudrait mettre en œuvre immédiatement cet objectif prioritaire, ne le pourrait pas. L’intégration de personnes handicapées dans l’entreprise nécessite du temps car elle repose sur des processus qui réunissent de nombreux acteurs. Il faut d’abord trouver une personne handicapée qui corresponde au poste de travail. Or, par exemple, il est difficile de trouver des personnes handicapées dans les métiers à haute qualification. En effet, les personnes handicapées sont en grande majorité moins qualifiées que les personnes non handicapées. Celles qui sortent des grandes écoles ou qui ont fait cinq ou six années d’études après le bac sont généralement très recherchées. Une fois, la personne trouvée et retenue, il faut aménager le poste avec l’ergothérapeute, préparer son intégration dans l’équipe et parfois réorganiser le travail collectif, suivre de nombreuses démarches administratives… Bref, l’embauche d’une personne handicapée est une démarche longue qui mobilise de nombreux acteurs.
Le deuxième message que j’ai souhaité transmettre porte sur les freins à l’embauche qui se retrouvent à tous les niveaux dans l’entreprise. Tout le monde s’accorde à dire qu’il est important que les freins psychologiques soient levés, et pourtant des freins que l’on croit objectifs – financier – managérial – organisationnel – en fait, ne le sont pas et demeurent des raisons contournables, mais souvent non contournées.
Enfin, je tenais à dire qu’au-delà de la question financière liée à l’obligation d’embauche par la loi sous peine d’amende, de l’aspect civique ou citoyen, la dimension managériale est incontournable, patente. Travailler sur l’embauche d’une personne handicapée permet de s’interroger sur comment on s’organise, on travaille et on communique. Réfléchir à la façon de concevoir son fonctionnement peut-être l’occasion d’une remise en cause constructive pour aller vers quelque chose de meilleur. Par exemple, dans la pièce, à un manager qui refuse l’embauche d’un sourd, la DRH lui dit : « certes quand tu parles à un sourd, tu dois le regarder en face, mais n’est-ce pas une attitude à avoir avec tout le monde ? »
Ce travail au sein de l’entreprise permet aussi de révéler des limitations d'activité ou des handicaps existants, mais cachés. Des personnes qui ont par exemple, un diabète difficile à gérer ou une sclérose en plaque, n’osent pas se revendiquer handicapé par peur d’être moins bien considéré, voire de perdre leur emploi. Or, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé peut permettre d’aménager les horaires, et de fait, protéger la santé des personnes concernées, mais aussi améliorer leur confort et probablement leur rentabilité dans l’entreprise.
J’ai vu travailler des équipes sur l’accueil d’une personne handicapée et constaté que ce travail permettait réellement de renforcer les liens dans l’équipe, sa cohésion, mais aussi son efficacité.

Handicap et entreprise

Vous avez joué  Le petit fauteuil de Raymond à de nombreuses reprises à la demande de grandes entreprises. Quelle était la motivation principale des entreprises ?
Le petit fauteuil de Raymond rentre dans le cadre des actions d’information et de sensibilisation au handicap dont le coût est défalqué de la contribution des entreprises à l’AGEFIPH. Très souvent, nous avons présenté la pièce à l’occasion de la mise en place d’accords d’entreprise.

Généralement qui était votre interlocuteur  au sein de l’entreprise ?

Nous pouvons être en relation avec la DRH, mais le plus souvent notre interlocuteur est le responsable de la mission handicap de l’entreprise, et je devrais dire notre interlocutrice car ces postes sont principalement confiés à des femmes. Nous travaillons avec de grandes entreprises qui ont effectivement une mission dédiée au handicap, qui se charge de l’élaboration et de la mise en œuvre des accords d’entreprise pour l’embauche et le maintien dans l’emploi des personnes handicapées, mais aussi des actions d’information et de sensibilisation. Les responsables des missions handicap sont des militants de la cause. En effet, l’insertion des personnes handicapées pour booster une carrière dans les ressources humaines : y’a mieux ! Lorsqu’elles font appel à nous, au théâtre d’entreprise, ces personnes engagées souhaitent qu’on les aide à faire bouger les choses, à faire tomber des tabous, à déclencher des prises de conscience, et à fédérer autour de l’importance de cette problématique qui concerne tout le monde. Notre intervention est aussi pour elles l’occasion de rendre compte de leur travail et de leurs difficultés, et de mobiliser y compris leur hiérarchie.

Quelles sont les principales réactions des salariés pendant et après la représentation ?

Pendant, ils rient et c’est le premier objectif ! Au départ ils n’osent pas trop, c’est difficile de rire de tout et surtout de questions graves, mais au fil de la pièce nous les entrainons dans la comédie et ils se laissent prendre au jeu. Quand il y a des personnes handicapées parmi les spectateurs, généralement ce sont elles qui rient en premier. Les salariés sont heureux que le théâtre vienne jusqu’à eux qui n’ont pas tous l’habitude d’aller au théâtre. La pièce a toujours été bien accueillie.
Après la représentation, les gens se sentent concernés. Tout le monde a une histoire personnelle en lien avec le handicap : une sœur, un ami… On a l’impression que le handicap est marginal, car personne n’en parle, mais en fait on s’aperçoit que tout le monde y est confronté de près ou de loin.
Le deuxième point qui ressort de nos débats après la présentation de la pièce et qui me marque toujours, c’est que les gens sont partants. Certes, on est dans l’émotion de la représentation, mais ils semblent volontaires et prêts à intégrer une personne handicapée dans leur équipe. Nous ne savons pas si cet intérêt dure dans le temps ou s’estompe face aux difficultés de mise en œuvre, mais à l’évidence la pièce déclenche un reflexe solidaire.

Quelle différence avez-vous pu observer dans l’approche de la question de l’embauche de personnes handicapées dans l’entreprise entre les équipes de direction, d’encadrement, et les salariés ?

Je n’ai pas observé de différences particulières. Tous partagent le même regard sur la chronophagie et les difficultés que représentent l’embauche d’une personne handicapée, ainsi qu’une certaine crainte de perte d’efficacité et de qualité de travail. Cependant, les freins les plus lourds se concentrent plutôt dans le management intermédiaire pris entre les injonctions de rentabilité et l’organisation du terrain souvent difficile, voire conflictuelle.
Je pense qu’il n’y aura pas de réelles améliorations tant que ces indicateurs ne seront pas intégrés dans les mesures de performance des entreprises.

L’intégration de personnes handicapées dans l’entreprise participe-t-elle de l’amélioration de l’image de l’entreprise ?

Une entreprise qui accueille des personnes handicapées est effectivement un bon élément en termes de communication. L’image est en effet flatteuse : les gens sont sensibles au label «?entreprise citoyenne?» qui humanise l’entreprise.

Solidarité et handicap

La loi de février 2005 impose aux entreprises de plus de 20 salariés d’employer 6% de personnes handicapées. En cas de manquement à cette obligation, l’entreprise est redevable d’une contribution qui va être portée à 1500 fois le SMIC horaire par personne handicapée manquante. Cette politique de quota vous semble-t-elle indispensable et pourquoi ?
Malheureusement oui, je pense que les quotas sont nécessaires. Ce n’est pas parce qu’il y a du cynisme en face, mais les contraintes de temps et d’économie dans l’entreprise sont telles qu’elles fabriquent effectivement des résistances. De fait, l’obligation devient indispensable.

D’une manière générale pensez-vous que notre société soit de plus en plus solidaire envers les personnes handicapées??

La société n’est pas forcément plus solidaire, mais sûrement mieux équipée. Aujourd’hui, la ville est plus accessible, et par exemple des aides pour les sourds ou les malentendants se développent. Par ailleurs, je ne suis pas sûr que les personnes handicapées attendent de la solidarité. Je pense qu’elles demandent avant tout de la normalité et une égalité de chance. La solidarité est une affaire individuelle. Il existe un maillage associatif important qui défend les droits des personnes handicapées et des lois qui contraignent les entreprises : est-ce de la solidarité ?
Je n’en suis pas sûr, mais il est certain qu’aujourd’hui la personne handicapée est plus visible. 

Avez-vous travaillé sur l’emploi des seniors, l’égalité homme/femme ou l’accueil des étrangers dans l’entreprise ; la reconnaissance dans le monde du travail ou encore la responsabilité sociale de l’entreprise ?
Quelle vision de l’entreprise avez-vous aujourd’hui ?

J’ai écrit une pièce sur la diversité où il est effectivement question de l’égalité homme/femme, des seniors ou des travailleurs étrangers. C’est aussi une comédie. Chaque fois que l’on aborde ces sujets, on évoque effectivement la responsabilité sociale de l’entreprise. Mais, le paradoxe de l’entreprise est de rêver d’un marché très ouvert avec des clientèles variées et multiples et d’oublier que cette diversité serait aussi une richesse au sein de l’entreprise. Et les contraintes économiques ou financières ne me semblent pas être un argument suffisant pour faire l’impasse là-dessus, au contraire. En Grande Bretagne, vous pouvez être accueilli au guichet d’une banque par un punk, certes en cravate, mais avec une crête en haut du crane et cela ne dérange personne. En France, nous sommes encore dans l’idée d’une société uniforme. Or la société est multiple, et les entreprises ne peuvent pas se contenter de l’uniformité de ses forces vives, des hommes et des femmes qui la font vivre. Quand un corps social oublie de prendre en compte une de ses composantes, c’est l’ensemble du corps qui est handicapé.