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Les scouts et Guides de France d'hier et d'aujourd'hui

Interview de Isabelle de SAINT-ROMAIN et Isabelle HENRY

<< Nous partons de ce qu’est l’enfant au départ, avec ce qui le définit en propre, en essayant de le valoriser. Cette reconnaissance et ce respect de chacun sont sans doute essentiels à toute transmission >>.

Interview d’Isabelle de Saint-Romain, déléguée territoriale et d’Isabelle Henry, ancienne chef de Groupe et membre associé, Scouts et Guides de France.
Les scouts et Guides de France d'hier et d'aujourd'hui : projets et valeurs dans la société actuelle.

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Date : 13/04/2006

Tout d’abord, pouvez-nous nous rappeler brièvement qui sont les Scouts et Guides de France ?

Notre association, Scouts et Guides de France, est reconnue d’utilité publique et elle est agréée par Jeunesse et Sports. Elle est d’obédience catholique, mais elle est ouverte à tous les enfants et les jeunes qui souhaitent devenir scouts, sans distinction d’origine, de culture ou de croyance.
Les Scouts et Guides de France sont issus de l’expérience menée par Robert Baden-Powell qui, au début du 20è siècle, décida d’emmener en camp 20 jeunes originaires des banlieues pauvres de Londres sur l’Ile de Brownsea, partant du principe que chacun d’eux possédait des qualités et des talents et qu’il s’agissait de les aider à les découvrir et à les enrichir. Le caractère et l’intelligence, la santé physique, les capacités manuelles, la relation aux autres, la dimension spirituelle (etc.) sont autant de qualités prises en compte. Nous nous rattachons à ces principes fondateurs, même si nous avons évolué depuis Baden-Powell, en lien avec  la société dans laquelle nous vivons.
L’association est très vivante puisqu’elle compte aujourd’hui 66 000 adhérents en France, dont 12 000 responsables bénévoles. Pour le territoire qui s’étend de l’Ouest lyonnais jusqu’au Léman, ce sont environ 4300 enfants, jeunes et adultes qui participent, dont environ 1100 bénévoles chargés de l’encadrement.
Les enfants et les jeunes sont réunis par équipe selon leur âge et selon qu’ils sont des filles ou des garçons, et font des activités de plein air et de loisirs, prennent des responsabilités et donnent du temps pour les autres à la mesure de leur âge. Ainsi, les plus grands participent à des projets ambitieux de solidarité. Bien sûr, chaque équipe est encadrée par un bénévole plus âgé qui s’engage au service du développement des plus jeunes.
Enfin, tout cela se fait à l’occasion de week-ends, de séjours campés, de temps libres durant la semaine, ou encore lors des grands rassemblements caractéristiques du scoutisme.

 

Quel est le projet des Scouts et Guides de France pour les enfants et les jeunes ? Quelles sont les valeurs portées que vous tentez de leur transmettre ?

L’idée est de faire grandir chaque enfant et jeune par rapport à Dieu, par rapport à son propre corps, par rapport aux autres et par rapport au monde, et ce à partir de ce qu’il est au départ, avec les qualités et les talents qui lui sont propres. Parce que chaque garçon et chaque fille est unique, parce qu’il n’existe pas de modèle tout fait à reproduire, l’idée est bien de soutenir chacun à révéler sa vocation personnelle, à révéler ses talents particuliers, à donner le meilleur de lui-même. Les valeurs de la solidarité, de la fraternité, du vivre ensemble sont aussi fondamentales et se retrouvent entre autres dans l’esprit d’équipe fort qui anime notre mouvement. Elles se retrouvent aussi dans les projets de solidarité que mettent en œuvre les jeunes scouts, au plus proche d’eux-mêmes, et aussi dans des pays parfois lointains. De ce point de vue, nous invitons les jeunes à devenir des citoyens solidaires et responsables, convaincus que le monde peut être changé, qu’il peut devenir moins générateur d’exclusion, plus juste, à condition de plus de solidarité, et de générosité notamment.

 

Quels sont les enfants et les jeunes qui participent aux Scouts et Guides de France ? Y a-t-il des actions spécifiques menées en direction des publics les plus fragiles ?

Nous sommes ouverts à tous les enfants et les jeunes, quelles que soient leurs origines familiales, culturelles, familiales, sociales, religieuses. D’ailleurs, dans nos pratiques, il arrive que certaines familles ne puissent pas envoyer leur enfant en camp pour des raisons financières. Dans ces situations, les avis sont unanimes, et l’enfant part toujours avec le groupe. Et nous faisons toujours en sorte, ensemble, pour que ce soit le cas, en faisant jouer notamment la solidarité. On a aussi des exemples très concrets de situations où le fait d’emmener un jeune en camp avec un groupe a posé de vraies difficultés et où le groupe de jeunes et les chefs ont pris la décision de l’emmener quand même sous la condition de redoubler de présence et de vigilance.
Pour les enfants et les jeunes issus de milieux précaires et/ou de quartiers dits défavorisés, nous organisons aussi des actions spécifiques, notamment l’action Plein Vent qui a concerné, en 2005, 2 300 enfants et jeunes. D’ailleurs, nous constatons que le fait de partir en camp dans la nature, de dormir sous la tente, de faire soi-même les repas et la vaisselle (etc.), même si cela n’est pas toujours facile au début, leur plaît, et parfois plus que des activités de consommation proposées ailleurs. De fait, parmi les enfants et les jeunes qui participent aux camps dans ce cadre, on en a quelques-uns qui, chaque année, rejoignent les Scouts et Guides de France.

 

12 000 bénévoles en France, 1 100 sur votre secteur qui s’étend de la Saône au Léman, c’est un engagement important ! Comment expliquez-vous que les Scouts et Guides de France mobilisent autant de bénévoles alors que l’on dit souvent que notre société s’individualise de plus en plus ?

Ceci est d’autant plus extraordinaire qu’être chef, ce n’est pas une mince affaire, et que ça peut prendre beaucoup de temps !
L’une des premières motivations qui apparaît chez les jeunes chefs est la volonté de s’occuper d’enfants. Mais, en creusant, on s’aperçoit aussi que les trois-quarts des jeunes chefs ont été scouts eux-mêmes lorsqu’ils étaient plus petits. Peut-être y a-t-il donc aussi l’envie de reproduire ce qu’ils ont vu petits à travers leur chef, ou de faire bénéficier d’autres enfants de ce dont ils ont bénéficié eux-mêmes. Pour le dernier quart, ce sont souvent des jeunes qui ont envie de faire des choses et qui voient dans notre mouvement la possibilité de les concrétiser. De ce point de vue d’ailleurs, tous les jeunes apprécient sans aucun doute le fait que le scoutisme leur permet de s’engager sur des compétences qui leur sont propres et qu’ils souhaitent mettre en œuvre et développer. Et c’est bien notre philosophie de permettre à chacun de s’épanouir à travers ce qu’il aime et ce qu’il sait faire. Et beaucoup de jeunes y trouvent leur place pour cette raison. De fait, on les responsabilise beaucoup et on leur fait confiance. En termes d’apprentissages personnels, un jeune qui est chef apprend énormément sur les plans organisationnel, de relation au groupe et de vie collective, de relation à l’enfant, d’ouverture d’esprit et de tolérance, etc. Enfin, les moments collectifs, les grands rassemblements entre chefs par exemple, jouent aussi pleinement dans cet engagement tant il est vrai que ce sont des moments très forts et très riches, très joyeux, et aussi riches de rencontres.

 

On entend parler aujourd’hui de "la crise des valeurs", de la difficulté qu’éprouvent les adultes pour transmettre leurs valeurs aux jeunes générations. Il semblerait que les Scouts et Guides de France y réussissent. Qu’est-ce qui, d’après vous, explique ce succès ?

Tout d’abord, l’ensemble des valeurs évoquées jusque-là ne sont pas formulées en tant que telles aux enfants et aux jeunes, évidemment ! Nous avons principalement axé, et ce depuis toujours, notre pédagogie autour du jeu et des activités de plein air. L’enfant qui est louveteau n’a bien sûr pas conscience des valeurs sous-jacentes à ce qu’il fait. Et les choses passent bien mieux de cette manière ! Signalons aussi l’importance de la nature où se déroulent la plupart de nos activités, et qui est un cadre propice au développement de l’enfant.
De plus, nous partons de ce qu’est l’enfant au départ, avec ce qui le définit en propre, en essayant de le valoriser. Cette reconnaissance et ce respect de chacun sont sans doute essentiels à toute transmission. Comment l’enfant peut reconnaître toute la profondeur d’une valeur si on ne le respecte pas dans son être ? De ce point de vue, nous avons des exemples de mères qui sont venues nous dire que leur enfant se sentait bien dans sa peau chez les scouts, qu’il s’y sentait valorisé, contrairement à tous les autres endroits qu’il fréquentait. Cette reconnaissance des capacités de chacun est d’ailleurs reconnue de manière formelle par la distribution d’insignes devant le groupe – l’architecte, le cuisiner, le globe-trotter – qui sont cousues à la chemise de l’enfant et qui le valorise.
Nous laissons aussi une très grande place à l’initiative et à la proposition, à la mesure de l’âge de chacun. D’ailleurs, plus les enfants grandissent, et moins le chef prend de place dans les décisions prises par le groupe. L’idée est bien de permettre aux enfants et aux jeunes, tout en les orientant et en les soutenant, de réfléchir à ce qu’ils souhaitent faire, de construire leur projet. Et là, on se rend compte de leur incroyable capacité d’invention. Certains vont faire des spectacles de théâtre itinérant sur la base d’un matériel très sommaire, d’autres vont transformer une descente de rivière en radeau en une enquête sociologique sur le rapport des citoyens à l’eau et à leur environnement, etc. Ainsi rendus acteurs et respectés dans leur capacité d’initier, les enfants et les jeunes sont eux aussi réceptifs aux valeurs que l’on tente de leur transmettre.
Enfin, il existe chez les scouts des moments collectifs de très grande ampleur, qui rassemblent de très nombreux scouts – par exemple celui de Jambville de l’été 2006 avec 15 000 scouts et guides de 11 à 15 ans attendus – qui sont vraiment des temps très forts. Les jeunes qui y participent sont en général très contents et très fiers d’y aller. Ces moments leur apportent beaucoup. En plus, ils éprouvent le sentiment d’appartenance à un groupe, qui est un sentiment très fort, en particulier à l’âge de l’adolescence. D’ailleurs, les jeunes qui se rendent à un rassemblement peuvent l’indiquer aussi sur leur chemise par une insigne qui en témoigne. Il y a, outre ces grands rassemblements qui impressionnent par leur ampleur, bien d’autres temps collectifs qui sont de plus en plus importants dans une société où, finalement, il n’y en a plus toujours beaucoup.
Enfin, nous avons aussi su évoluer avec notre société en prenant en compte ses changements, tout en conservant les principes fondateurs du scoutisme auxquels nous adhérons. Par exemple, lorsque nous partons en camp, nous utilisons l’électricité et le gaz, même si nous savons cuisiner au feu de bois, et que du reste, nous le faisons aussi. En cela, nous ne sommes pas en décalage avec notre société. La présence de valeurs et de principes forts et partagés associée à la prise en compte de notre société actuelle participe de notre reconnaissance par les enfants et les jeunes scouts et guides.