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Les entreprises sociales, acteurs du développement local

Interview de Armand ROSENBERG

Portrait d'Armand Rosenberg
Directeur de Val Horizon

<< L'exigence d'efficacité est encore plus grande pour les entreprises sociales. Parce qu'elles se donnent des objectifs sociaux supplémentaires, cela crée pour elles une complexité supplémentaire >>.

Armand Rosenberg est directeur de Val Horizon, un groupe de 11 entreprises sociales situées dans le secteur de Trévoux, et a participé à la création d’une nouvelle entreprise sociale chaque année au cours des six dernières années.

Il anime par ailleurs Domb’Innov, l’un des 18 Pôles Territoriaux de Coopération Economique récemment labellisés par le Conseil National des CRESS et le Labo de l’ESS. Armand Rosenberg prolonge cet engagement en faveur du développement local à travers l’exercice de plusieurs responsabilités institutionnelles (Président de Coorace Rhône Alpes et membre de son bureau national ; Membre du bureau de la Chambre Régionale de l’Economie Sociale). 

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Date : 31/10/2013

Alors que l’économie sociale et solidaire a une histoire ancienne dans notre pays, la notion d’entrepreneuriat social est aujourd’hui en plein essor en France mais aussi en Europe et en Amérique du Nord. Comment expliquez-vous cet engouement ?

les qualités d’efficacité et d’innovation que l’on prête à l’entreprise peuvent être mises au service d’autres finalités

Nous sommes effectivement en train de redécouvrir les vertus de quelque chose qui n’est pas pourtant nouveau. Je pense que la crise de 2008 a fait prendre conscience qu’il fallait envisager l’économie autrement. Même si le « business as usual » reste de mise, une partie de la population s’est emparée de cette idée de changement. On le voit dans le développement de la consommation de produits bio, dans l’essor de la finance éthique, etc. On parle souvent des évolutions du côté de la demande, mais les choses évoluent aussi du côté de l’offre. L’envie de changement s’exprime aussi dans de nouveaux projets entrepreneuriaux.

Jusqu’à présent, les notions d’entreprise, d’entrepreneuriat, ont été accaparées par certains acteurs économiques, et en particulier les patrons des grandes sociétés capitalistes. Ils sont arrivés à imposer l’idée que l’entreprise multinationale cotée au CAC 40 et uniquement tournée vers le profit constituait l’entreprise par excellence. Or, on se rend compte que les qualités d’efficacité et d’innovation que l’on prête à l’entreprise peuvent être mises au service d’autres finalités. On se rend compte aussi que la figure de l’actionnaire est loin d’avoir épuisé la question de savoir à qui appartient l’entreprise. Comme le promeut depuis longtemps l’économie sociale, d’autres parties-prenantes doivent être prises en compte. Au final, on s’aperçoit que les démarches entrepreneuriales alternatives existent depuis longtemps et qu’elles sont parfois mises en œuvre sans que l’on en ait conscience.Tous ces questionnements sont en train de se diffuser aujourd’hui. Pour autant, il reste encore du chemin à parcourir pour faire évoluer les mentalités et reconnaitre l’entrepreneuriat social comme une authentique démarche entrepreneuriale et la société coopérative ou l’association comme des statuts pertinents pour entreprendre.

Lorsqu’il s’agit de définir l’entrepreneuriat social, certains mettent l’accent sur le fait de mettre l’efficacité de l’entreprise marchande au service d’un objectif social. Qu’en pensez-vous ?

Pour moi l’exigence d’efficacité est encore plus grande pour les entreprises sociales

On peut le formuler de cette manière. J’insisterais pour ma part sur un point. D’une certaine manière, on peut considérer que l’exigence d’efficacité est encore plus grande pour les entreprises sociales. Parce qu’elles se donnent des objectifs sociaux supplémentaires, cela crée pour elles une complexité supplémentaire. Par exemple, dès lors que l’on fait de la préservation et de la création d’emplois sur le territoire un objectif central de l’entreprise, vous pouvez être sûr que cette dernière sera gérée bien différemment que lorsque le maintien d’un certain niveau de rentabilité est le critère unique. Si je prends l’exemple de Val Horizon, toutes les entreprises du groupe s’engagent à réserver des postes à des personnes inscrites dans des parcours d’insertion ou de professionnalisation et à conserver ces personnes jusqu’au terme de leur parcours. De ce point de vue, les attentes à l’égard de l’entrepreneuriat social sont particulièrement fortes : dans quelle mesure parvient-il à développer des activités de façon pérenne tout en développant l’emploi ? C’est à nous de faire la preuve que cela est possible ! De la même manière, si les bénéfices que vous générez ne sont pas destinés  à rémunérer vos actionnaires, mais ont vocation à financer des projets à valeur ajoutée sociale, vous ne faites pas les mêmes choix. De même, répondre à certains besoins sociaux suppose de s’engager sur des champs d’activités peu rentables et donc de savoir composer avec cette contrainte.
En même temps, l’entreprise sociale présente un certain nombre d’atouts pour atteindre ces exigences de performance. Par exemple, le sens de son projet peut se révéler particulièrement mobilisateur en interne et par rapport à l’extérieur. La fibre militante des salariés peut constituer une ressource cruciale pour faire réussir des projets. De même, le sens de ce que l’on fait peut trouver un écho dans la société et permettre ainsi de mobiliser des personnes bénévoles. Sur le Pôle territorial Domb’Innov, nous avons ainsi pu compter sur l’intervention bénévole d’une responsable marketing opérationnel à mi-temps pendant un an. Un autre atout de l’entrepreneuriat social réside dans la dimension réseau. A la différence de l’entreprise capitaliste qui cherche à défendre la propriété et l’exclusivité de ses avantages concurrentiels, nous naviguons dans des réseaux où personne n’est propriétaire de ses idées, où la force vient justement du fait que la réflexion stratégique est collective, partagée. L’objectif est plutôt de voir les bonnes idées se diffuser que les garder pour soi.

Une autre facette de l’entrepreneuriat social réside semble-t-il dans la capacité à fournir des solutions novatrices aux besoins sociaux non ou mal satisfaits par le marché et le secteur public. Vous retrouvez-vous également dans cette idée ?

Les exigences de performance que j’évoquais précédemment nous poussent bien évidemment à innover pour proposer de nouveaux services et produire autrement. Encore une fois, la distinction avec l’entreprise capitaliste réside dans le fait que notre objectif n’est pas de trouver des « vaches à lait », ce n’est pas le succès commercial qui nous intéresse mais bien la capacité à répondre à des besoins identifiés sur un territoire. Ceci implique de se remettre en cause pour améliorer sans cesse nos actions.

L’entrepreneuriat social implique-t-il également une évolution du modèle économique de l’économie sociale qui s’appuierait moins sur les subsides publics et davantage sur les revenus tirés de l’activité elle-même ?

lorsque l’on mixe des ressources – subvention publiques, chiffre d’affaires, bénévolat, etc. – on obtient un effet de levier important.

De mon point de vue, cette lecture repose sur beaucoup d’a priori. Comparons deux situations. Lorsqu’une collectivité achète une prestation à un bureau d’étude pour réaliser un diagnostic des besoins sur le territoire, on parle de marché public côté collectivité et de chiffre d’affaires côté prestataire. Lorsque vous confiez cette mission à un centre social sous statut associatif on parlera alors de convention et de subvention entre les deux parties. Et bien souvent, avec des cahiers des charges très proches, comme on peut le voir en matière d’insertion économique, le montant en jeu diffère fortement selon que l’on a recours à un prestataire marchand classique ou à un organisme issu de l’économie sociale. Au final, la vraie question est de savoir qu’est-ce qui est le plus pertinent et le plus efficace : pour un euro d’argent public dépensé, quel résultat obtient-on selon l’organisme à qui l’on alloue cette ressource ? Et l’on se rend compte souvent que lorsque l’on mixe des ressources comme on le fait dans l’entrepreneuriat social – subvention publiques, chiffre d’affaires, bénévolat, etc. – on obtient un effet de levier important. Mais comme souvent, face à ce modèle économique un peu plus complexe, il peut paraitre plus simple, plus rassurant, de s’en tenir à une transaction marchande classique. C’est plus simple à vendre et plus simple à acheter !

Si l’on s’intéresse à présent à votre propre parcours, comment en êtes-vous venu à l’entrepreneuriat social ?

Au départ, je n’étais pas du tout parti dans cette direction-là. J’ai commencé par un DUT techniques de commercialisation et un poste comme chef de rayon dans la grande distribution. J’ai appris beaucoup de choses mais je ne me voyais pas du tout continuer dans cette voie. Ensuite, je suis entré à Sciences Po Grenoble, puis j’ai enchainé avec un Master de management de projet à Lille, avec l’idée de travailler dans le conseil et de monter un jour mon entreprise. Le virage vers le social s’est fait à l’occasion de mon service militaire que j’ai réalisé en civil à la fédération des centres sociaux du Nord-Pas-de-Calais. Le contact est bien passé, j’ai été embauché. Assez vite, je me suis rendu compte que le champ social regorgeait de gens porteurs de multiples projets, que ces gens étaient en fait des entrepreneurs et qu’il y avait lieu d’appliquer les techniques managériales que j’avais apprise à ce type de projet. Depuis le début des années 1990, j’ai connu ainsi plusieurs expériences au sein de différentes structures, jusqu’à prendre la responsabilité du groupe ValHorizon en 2006.

Comment s’est construit ce qui constitue aujourd’hui le groupe ValHorizon ?

il est difficile d'innover lorsqu'on est seul

Tout est parti d’un centre de loisirs créé en 1989 à Trévoux. La particularité de ce centre de loisirs, et qui reste le fil directeur de ValHorizon aujourd’hui, est qu’il s’est donné pour objectif de contribuer au développement social et au développement de l’emploi du territoire. Cette posture-là a conduit à ce que cette structure originelle se saisisse de nouveaux besoins apparaissant sur le territoire. Tout au long de ces vingt dernières années, de nouvelles activités ont ainsi été développées : un centre social, une crèche, un chantier d’insertion en espaces verts, etc. Au départ les choses se sont faite de façon très empirique, sans véritable vue d’ensemble, jusqu’au moment où la structure a connu une sorte de crise existentielle : déficit budgétaire, tensions sociales avec les salariés… En première analyse, les responsables ont pensé qu’il s’agissait d’abord de difficultés économiques passagères. En réalité, lorsque je suis arrivé nous nous sommes aperçus qu’il s’agissait surtout d’une crise de sens : à quoi est-ce que ça sert d’agréger sans cesse de nouvelles activités ? On s’est rendu compte que Val Horizon avait certes apporté des réponses à de multiples besoins mais qu’il était devenu l’interlocuteur unique lorsqu’il s’agissait de prendre en charge de nouveaux besoins : sans Val Horizon, point de salut ! Or, il est difficile de se remettre en question et d’innover lorsqu’on est seul.

Quelle est la dynamique actuelle de Val Horizon ?

Depuis 2006, le groupe Val Horizon a doublé de volume puisque l’on est passé de 2 à 4 millions d’euros de budget, financé à 40% par l’autofinancement, 40% par les subventions et 20% par les aides à l’emploi. On est passé de 90 à 160 salariés, et de 30 à 160 bénévoles. Val Horizon rassemble aujourd’hui 1 500 adhérents, auquel s’ajoutent plus de 1 000 usagers. Cette croissance traduit un changement dans notre approche du développement local. Il ne s’agit plus de vouloir tout développer en interne. Désormais, nous visons plutôt le développement de projets d’activité qui ont vocation à devenir autonomes. Et ça marche ! Val Horizon a créé une entreprise nouvelle chaque année. Aujourd’hui, nous arrivons à une dizaine d’entreprises sociales. Dans la plupart des cas, il s’agit de démultiplier l’offre de services sur le territoire dans nos trois champs d’action historiques : animation sociale, petite enfance, insertion. Toutefois, les projets récents de Recyclerie et d’Épicerie solidaire traduisent notre volonté d’explorer de nouveaux horizons.

Faut-il considérer Val Horizon comme un opérateur de développement local ?

Encore une fois, c’est notre projet depuis le départ ! Développer des services aux habitants par le développement de l’emploi local, voilà notre crédo. Simplement, ce qui s’est passé ces dernières années, c’est que nous avons structuré cette activité d’incubation de nouvelles entreprises pour en faire un champ d’activité à part entière au sein de Val’Horizon : c’est notre pôle « Innovation sociale ». Notre conviction est que la croissance interne n’est pas la seule voie possible et souhaitable pour développer l’économie sociale. Bien souvent, il est plus facile et rapide de faire sortir des projets par l’essaimage. Concrètement, notre volonté est triple : constituer un portefeuille de projets d’utilité sociale pour le territoire ; repérer, accueillir et soutenir des entrepreneurs sociaux ; mutualiser les moyens entre les acteurs. J’insiste sur le fait que cette démarche d’incubation d’entreprises nouvelles nous a amené à renforcer les partenariats avec l’ensemble des acteurs concernés (habitants, collectivités, associations…).

Cette dynamique d’essaimage et de coopération a trouvé une reconnaissance nationale en 2012 avec la labellisation par le Conseil National des CRESS [1] et le Labo de l’ESS [2] du Pôle Territorial de Coopération Economique « Domb’Innov ». Comment s’est concrétisée cette idée de Pôle et quels acteurs rassemble-t-il ?

L’émergence du Pôle Domb’Innov est la suite logique de notre démarche d’incubation d’entreprises nouvelles. Je précise d’emblée que si l’association Val Horizon est la cheville ouvrière de la création du Pôle Domb’Innov, et si les entreprises que nous avons créées (AIDVS, Recyclerie, Elan Création…) forment une bonne partie de ses composantes, le Pôle traduit aussi une évolution du paysage de l’ESS sur le secteur Val de Saône-Dombes ces dernières années. Je peux évoquer notamment la création des entreprises d’insertion Serv’Emploi, Serv’domicile, Cotières Services, le passage de l’entreprise industrielle DESSICA sous le statut Scop. Des échanges entre ces différents acteurs est née une nouvelle vision stratégique du développement local. Face aux besoins de services aux habitants de plus en plus manifestes dans le territoire périurbain de la Dombes et du Val-de-Saone, face aux enjeux d’insertion économique, face à l’intérêt suscité par la démarche entrepreneuriale de l’économie sociale, il nous apparait important aujourd’hui de progresser d’une logique de développement internalisée vers une logique de coopération entre les acteurs de l’économie sociale du territoire. Le développement de cette nouvelle dynamique de réflexion et d’agrégation des acteurs s’est par exemple exprimé par l’organisation depuis 2009 du festival « Économie du 3ème type » et la conception du guide « Consommer autrement près de chez vous » en 2010. La labellisation du Pôle constitue une grande satisfaction mais aussi l’exigence d’être à la hauteur de nos ambitions.
Il faut bien sûr ajouter que le projet de Pôle Territorial de Coopération Economique et les projets qui en découlent ont reçus le soutien de plusieurs partenaires publics : le Conseil Régional à travers son soutien affiché au concept de PTCE [3] et à l’économie de proximité, le syndicat mixte Avenir Dombes Saône qui porte le Contrat de développement durable Rhône-Alpes, la Commune de Trévoux, la Communauté de Communes Saône Vallée, etc.

[1] CRESS : Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire
[2] ESS : Économie sociale et solidaire
[3] PTCE : Pôle territorial de coopération économique

Quels sont les principaux projets de Domb’Innovaujourd’hui ?

Le Pôle poursuit deux grands objectifs. Il s’agit d’une part de développer une stratégie de groupement entre les entreprises de l’économie sociale permettant la mutualisation de moyens (communication, comptabilité/gestion, investissements, formation, etc.) et la définition conjointe de priorités dans les projets de développement.
D’autre part, nous nous engageons à soutenir le développement de nouvelles entreprises sociales. L’un de nos projets phares aujourd’hui est le lancement d’une Coopérative d’activité et d’emploi afin d’accueillir les porteurs de projet de création d’entreprise et sécuriser leur démarche par la mutualisation de moyens. L’entrepreneur serait ainsi salarié pendant la phase de test de son activité puis pourrait rester coopérateur s’il le souhaite un fois son projet opérationnel. Cette coopérative permettra d’offrir une alternative à l’auto-entrepreneuriat et de répondre à l’isolement des entrepreneurs individuels. Elle permettra aussi de mettre en commun des ressources, ce qui peut permettre d’atteindre plus rapidement une masse critique en termes d’activité. Plus largement, notre dispositif d’incubation d’entreprises sociales repose sur les principes suivants : une stratégie marketing partant des besoins des habitants du territoire pour repérer des pistes de création d’entreprise ; une stratégie de repérage des initiatives socio-économiques réalisées ailleurs pour une reproduction locale accélérée ; l’élaboration d’un portefeuille de projets d’utilité sociale pour le territoire ; une démarche de repérage, de soutien à l’émergence, voire de captation sur d’autres territoires d’entrepreneurs sociaux ; une mobilisation solidaire des membres du pôle pour l’émergence de projets ; une démarche d’accompagnement s’adaptant aux spécificités de chaque projet, sans mode opératoire prédéfini et en mettant en exergue la figure entrepreneuriale, qu’elle soit individuelle ou collective.

J’ajoute enfin que nous avons conclu des partenariats avec des organismes de recherche pour renforcer notre vision stratégique du développement du Pôle Territorial de Coopération Economique Domb’innov. Il s’agit de la « chaire économie sociale » de l’Université Lyon2 sur le volet évolution de la gouvernance du Pôle, et des « ateliers de l’entrepreneuriat humaniste » de l’Université Catholique de Lyon sur le volet incubateur d’entreprises sociales.

Selon certains, les entreprises sociales sont davantage propices à développer des liens forts avec le territoire sur lequel elles sont implantées. Val’Horizon et le Pôle Territorial Domb’Innov semblent confirmer cette idée.

Ce raisonnement est juste. Délocaliser l’activité n’a aucun sens si nos objectifs sont de répondre à des besoins sociaux locaux tout en développant l’emploi local, et si nos fournisseurs et nos usagers sont parties prenantes du projet. De ce point de vue, l’ancrage territorial constitue un objectif de l’entrepreneuriat social : c’est sur sa capacité à contribuer au développement de son territoire que l’entreprise sociale doit être évaluée. Je précise que le territoire de référence peut changer en fonction des entreprises : le territoire de  l’insertion par l’économique n’est pas le même que celui de l’animation sociale. Je pense également que cette relation étroite au territoire est sans doute moins évidente au-delà d’une certaine taille : la Macif ou le groupe SOS ont-ils encore une approche territoriale de leurs missions, je n’en suis pas sûr ou en tout cas, pas de la même façon.
Si l’on revient au groupe Val Horizon, une manière de mesurer l’importance du territoire à nos yeux réside dans la place que l’on donne aux habitants. La participation des habitants, en tant qu’adhérents, usagers ou bénévoles, à la définition de nos projets est au centre de nos préoccupations. C’est une nécessité pour identifier quels sont les besoins devant être satisfaits. C’est aussi un enjeu de développement social, d’appropriation par les personnes des actions qui les concernent. C’est enfin un enjeu démocratique. Par exemple, la création de la Recyclerie que j’évoquais tout à l’heure n’aurait pas vu le jour sans l’implication de 25 bénévoles.

L’évaluation des performances sociales des entreprises sociales constitue semble-t-il un levier essentiel pour assurer leur diffusion et leur soutien par les financeurs publics et privés. Qu’en pensez-vous ?

Je vous répondrais tout d’abord qu’une entreprise sociale peut être évaluée sous l’angle de l’efficacité économique à l’instar de l’entreprise classique. Par exemple, nous visons chaque année un résultat net de 1 à 2% sur notre volume d’activité pour pouvoir financer notre R&D, notre fond de roulement, etc. La performance économique reste importante puisqu’elle détermine en partie notre performance sociale.

Pour revenir à votre question, la mesure de l’impact social est d’abord un enjeu pour nous-mêmes. Ne pas se préoccuper de l’impact social effectif de nos activités n’aurait pas de sens. Il est essentiel pour nous de savoir combien d’emplois nous avons créé, combien de personnes ont été réinsérées, combien d’enfants nous avons pu accueillir dans nos structures, combien de bénévoles nous avons réussi à mobiliser, etc. Du point de vue de la puissance publique, un indicateur qui me parait tout à fait essentiel pour mesurer notre performance est celui de l’efficacité de l’investissement public : qu’est-ce que génère un euro de subvention en termes de retour financier pour la collectivité ? Par exemple, on connait le coût d’un demandeur d’emploi pour les politiques d’insertion, donc on connait le coût évité lorsque cette personne travaille dans une entreprise d’insertion. On peut également évaluer précisément le volume d’impôts et de cotisation sociale versé par l’entreprise d’insertion à la puissance publique. Au final, pour ce qui concerne Val Horizon, un euro de subvention publique génère 2,87 euros de retour financier pour la collectivité : 83 centimes de cotisations patronales, 19 centimes d’impôts et taxes et 1,85 euro d’économie sur la prise en charge du demandeur d’emploi. Et la collectivité l’a bien compris ! Si elle a préféré s’appuyer sur l’acteur associatif pour développer un certain nombre de politiques plutôt que de s’appuyer sur l’acteur capitaliste, ce n’est pas par hasard. Il y a des champs d’activités qui ne peuvent être investis dans une logique de rentabilité capitaliste.